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Pour la fondation d’un parti de masse
La NUPES, dans toutes ses imperfections, offre une possibilité historique de fondation d’un parti de masse anticapitaliste et démocratique à même de joindre et de rejoindre, une vision idéologique avec une action directe, réelle et quotidienne.
Par N. Publié in #4 Quel avenir bâtir ?, #POSITIONS le 17 juillet 2022 9 min de lecture
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Pour la fondation d’un parti de masse

L’une des limites inhérentes à la perspective adoptée par la seule organisation institutionnelle conséquente représentant une perspective un tant soit peu de gauche ; organisation dite « de rupture » (rupture avec quoi ? Le capitalisme ou la marche effrénée du néolibéralisme ? Rupture avec un certain agencement des conditions de la production ?) ; est contenue dans la stratégie adoptée par cette organisation et qui ne semble pas capable de résoudre l’équation léniniste de jonction entre la tactique et la stratégie.

La NUPES et la FI ne posent comme stratégie de « rupture » qu’une action propagandiste au sein du dispositif institutionnelle capitaliste : au Parlement, dans les médias, ou lors de meetings. Cette propagande, plus ou moins habile selon les acteurs politiques en charge de la mener, n’a finalement qu’une très faible portée matérielle hors des séquences électorales. Ce qui questionne deux choses : 1- N’y a-t-il aucune volonté tactique, c’est-à-dire d’inscrire dans l’action directe, réelle et quotidienne cette critique idéologique ? 2- Ce qui expliquerait le refus, à tout prix, de constituer un parti de masse authentiquement révolutionnaire.

Jean-Luc Mélenchon n’est pas sans ignorer qu’une organisation gazeuse comme la FI ou la NUPES a l’avantage de sa limite : une plasticité extrême mais une incapacité fondamentale à durer et à se solidifier en agrégeant à elle les différentes organisations populaires en lutte, ou pouvant entrer en lutte pour peu qu’on les structure et les forme idéologiquement. Gageons que ce choix ne tient pas qu’à une erreur constitutive, peut-être, d’une vision bourgeoise du monde considérant que c’est de l’intérieur du système capitaliste que l’on pourra le renverser – si tant est que le projet est celui-ci – ; mais plutôt qu’il s’agit de conserver un pré carré idéologique au sein des différents partis institutionnels et de s’assurer, dans la dynamique ascendante des idées de rupture avec l’ordre capitaliste dans une phase où celui-ci exprime son incapacité à résoudre les crises qu’il provoque et qui se font sur, et contre, les classes populaires, des fiefs électoraux comme le confirme l’attribution des meilleures circonscriptions électorales à tous les barons de Jean-Luc Mélenchon.

Seulement, cette stratégie minimaliste qui n’a d’autre portée réelle que de conserver des positions politiques et de s’en servir pour mener une guerre de positions, rend impossible toute guerre de mouvement permettant une lutte révolutionnaire. Si Jean-Luc Mélenchon croit pouvoir former et unifier une classe révolutionnaire par la stratégie politique qu’il adopte, alors, il se condamne à de répétés échecs électoraux et, pire, à entraîner avec eux, mais surtout, avec lui, une vision du monde alternative au capitalisme néolibérale. En ce sens, nous condamnons fermement la stratégie politicienne adoptée pour son incapacité à établir une stratégie politique qui s’élaborerait dans un parti de masse où les travailleurs travailleraient à leur émancipation par eux-mêmes, et au sein d’une structure à même de leur offrir une formation, des moyens, et un soutien essentiel aux luttes qu’ils mènent ou mèneraient. Entendu, selon nous, qu’un parti de masse viserait à réaliser l’unification idéologique des classes populaires, en même temps que l’unification matérielle de l’organisation. En somme, point de guerre de position sans conjointement une guerre de mouvement.

Séparer une tendance économique, qui confierait la lutte économique à des organisations de travailleurs – organisations que l’on cherche encore quand on voit combien les syndicats se sont ralliés au capitalisme et en jouissent – en la séparant strictement d’une tendance politique qui trouverait à s’exprimer que dans les instances supérieures et par des hommes et des femmes qui, pour une large part, sont séparés des conditions réelles de la production subies par les travailleurs, est une erreur majeure. La médiatisation au sein même de la FI d’une personne comme Rachel Kéké ne vaut pas brevet de rattachement à la base populaire mais valide, au contraire, la stratégie marketing, et seulement communicationnelle, adoptée par l’organisation. C’est bien le caractère exceptionnel de la présence au sein des institutions politiques bourgeoises d’un tel profil qui révèle combien celles-ci sont antidémocratiques et au lieu de se vanter d’une telle prouesse la FI devrait repenser pourquoi, au sein même de ses cadres et donc, de son fonctionnement organisationnel, un tel profil est si rare, au point d’avoir besoin de le rappeler si souvent. Plus que de contester ce fonctionnement antidémocratique, par sa pratique, la FI le valide et le prolonge alors même qu’il est le témoin éclatant de son incapacité à progresser au sein des classes populaires. Parce que son organisation est pensée et réalisée par une petite bourgeoisie intellectuelle, celle-ci ne trouve à s’adresser qu’à des référents vides : « le peuple », « les gens », « les fachés pas fâchos ». Son absence de fonctionnement démocratique est, pour nous, pour le moment et jusqu’à preuve du contraire, un reflet de ses motivations profondes que valide sa structure : à savoir, une confiscation molle des thèmes anticapitalistes dans l’objectif de s’accaparer des positions de domination sociale, qui ne saurait risquer une confrontation avec une base populaire à même de contester la stratégie et les stratèges. Ce faisant, la FI ne peut exister que sur des temps électoraux où « l’union sacrée militante » prime sur la critique, lui permettant alors de siphonner la colère populaire pour la transmuer en carburant électoral – insuffisant pour la prise du pouvoir, mais suffisant pour la prise de pouvoirs.

Cette séparation est, dans une perspective clauswitzienne, une victoire tactique, validée par le score des législatives, mais une erreur stratégique, confirmée par le score à la présidentielle. Dans une perspective léniniste, cette erreur stratégique invalide toute perspective tactique. C’est dans l’unification de ces tendances, au sein d’une organisation aussi bien politique qu’économique, stratégique que tactique, que la conscience de classe peut se forger et la lutte révolutionnaire se mener. Il est vain et nuisible de croire que penser la direction politique à donner à la lutte anticapitaliste peut se conduire sans un aller-retour permanent avec ses victimes ; pire, c’est enfermer les travailleurs dans cette position de victime par incapacité à agir sur leur situation ou les condamner à une perspective trade-unioniste. Un parti de masse doit porter l’émancipation des travailleurs par eux-mêmes comme son unique dogme intangible. La stratégie, quant à elle, doit être en perpétuelle re questionnement et évolution, par l’apport même des travailleurs au sein du parti de masse qui, par leurs actions concrètes dans et contre la production, sont à même de révéler ou éclairer les évolutions perpétuelles de la domination du capitalisme. La perspective hautière de la NUPES et de la FI consiste à penser une politique de rupture qui se ferait sur, et non avec, les principales victimes du capitalisme, à savoir les classes populaires.

La stratégie de la NUPES et de FI est à ce stade piégée dans une stratégie bourgeoise centriste qui, si elle a pu permettre une réelle progression et diffusion de certaines thématiques servant la lutte anticapitaliste, progression rendue possible en raison même de l’évolution de la dynamique économique et sociale mettant à jour l’incapacité ontologique du capitalisme à être durablement autre chose qu’un mode de production prédateur et destructeur du vivant, n’a pas offert de débouché organisationnel révolutionnaire. Posons comme hypothèse que l’hégémonie politicienne occupée aujourd’hui par la NUPES et la FI sur ces thèmes, si elle ne mute pas, risque de retarder plus encore l’émergence d’une autre organisation politique réalisant, elle, la jonction avec les forces sociales du travail dans une perspective authentiquement émancipatrice et non bourgeoise, c’est-à-dire, appréhendant la lutte politique qu’en de petits cercles éclairés portant leurs lumières dans les travées du Palais Bourbon.

Refusant une perspective dogmatique, nous n’appelons pas à rompre avec la NUPES ou la FI qui constituent encore un moyen de limitation de la nuisance capitaliste sur le plan institutionnel, mais nous les appelons, fermement, à repenser leur stratégie et à s’élever à la hauteur des enjeux qui sont les nôtres par la formation d’un parti de masse à même de joindre et de rejoindre, une vision idéologique avec une action directe, réelle et quotidienne. La NUPES, dans toutes ses imperfections, offre une possibilité historique de fondation d’un parti massif et démocratique dont les statuts devraient, à l’issu d’un congrès général, poser très nettement le caractère anticapitaliste et démocratique de celui-ci. Cela permettrait à la fois une clarification idéologique sans ôter la possibilité, au sein de ce parti, de voir coexister des courants dont les antagonismes ne remettraient pas en question les fondements statutaires portant en eux le socle stratégique ; ainsi que l’édification d’une organisation matérielle en mesure d’élever le niveau de conscience révolutionnaire et de mener des luttes permanentes sur le terrain aussi bien économique que politique.

« Sans cette organisation, le prolétariat est incapable de s’élever à une lutte de classe consciente ; sans cette organisation, le mouvement ouvrier est condamné à l’impuissance, et, […] la classe ouvrière ne remplira jamais la grande mission historique qui lui incombe et qui est de s’affranchir elle-même et d’affranchir tout le peuple de son esclavage politique et économique. », Lénine, Les objectifs immédiats de notre mouvement, 1900.


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