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Discussion au sujet de l'épistémologie marxiste – Retour sur les débats engagés par Norman Ajari
Trois choses peuvent être contestées à Ajari. La première est sa lecture de l’épistémologie marxiste. La deuxième est son attachement à un certain idéalisme, hérité des pensées décoloniales latino-américaines, de son approche psychologique du fait politique. La troisième, qui est la plus importante, est sa croyance dans l’inefficacité politique du marxisme, dont nous serions les témoins actuels.
Par Dimitri Lasserre Publié in #ALLIES, #POSITIONS le 4 juin 2025 77 min de lecture
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Discussion au sujet de l’épistémologie marxiste – Retour sur les débats engagés par Norman Ajari

Si le Blanc me conteste mon humanité, je lui montrerai, en faisant peser sur sa vie tout mon poids d’homme, que je ne suis pas ce « Y a bon banania » qu’il persiste à imaginer.

Fanon, Peau noire, masques blancs

Introduction

C’est une discussion difficile dans laquelle nous nous apprêtons à entrer. Elle m’est difficile, en tant que blanc, car le fait d’être blanc m’oblige à la prudence ; la prudence de ne pas reproduire des schémas de domination. Le mépris est l’expression la plus courante d’une domination paternaliste et raciste à laquelle il nous faut tou.te.s, collectivement, échapper. À tout le moins il nous faut y échapper dans le camp progressiste, car nous ne pouvons attendre du camp du mépris, de l’ignorance et de la haine qu’il produise autre chose que du mépris, de l’ignorance et de la haine. Quelques clarifications préalables sont nécessaires.

Un blanc ne peut soutenir les luttes anticoloniales, antiracistes, autrement que dans la radicalité absolue. Il est impossible d’opposer à ces luttes la limite de la radicalité car cela reviendrait à adopter une posture déjà colonialiste, raciste. « Ceci est trop radical », « Vous allez trop loin », « Calmez-vous, vous avez déjà obtenu quelque-chose (des miettes) » : aux oubliettes. Il n’y a jamais trop de radicalité contre le racisme. Le racisme est une radicalité absolue qui nie absolument l’humanité d’autrui, sa dignité réelle, pour reprendre une notion chère à Ajari1. Aucun compromis n’est envisageable avec la négation de la dignité réelle de la personne concrète. Le racisme doit être détruit.

Il est nullement question, par conséquent, de voir dans ce qui suit un compromis avec cette idée inébranlable, cet objectif commun, qui dépasse tous les désaccords et toutes les querelles de chapelle. Reste que ces querelles existent pour de bon ; et elles sont distinctes des luttes sociales concrètes. Aucune révérence n’est due a priori aux discours d’universitaires ni aux discussions d’opinions. Au contraire même, il serait inquiétant qu’un travail intellectuel se présente à nous en tant qu’objet incontestable ; car s’il n’est pas possible de contester un discours, alors il faut s’y soumettre. Nous savons où cela mène.

Trois choses peuvent être contestées à Ajari. Ce faisant, on peut espérer apporter quelques clarifications et permettre aux idées et aux luttes progressistes d’avancer. La première est sa lecture de l’épistémologie marxiste, et avec elle les intentions qu’il porte à ses défenseurs. La deuxième est son attachement à un certain idéalisme, hérité des pensées décoloniales latino-américaines, de son approche psychologique du fait politique et, peut-être, de sa position de classe – mais c’est là une pente plus savonneuse. Ce deuxième point mérite d’être analysé sous deux angles distincts : celui de la centralité de l’analyse épistémologique des rapports de domination dans l’approche décoloniale d’abord ; celui du problème du rôle du désir et de l’économie libidinale ensuite. La troisième, qui est la plus importante, est sa croyance dans l’inefficacité politique du marxisme, dont nous serions les témoins actuels. Cela justifierait une déviation de l’analyse marxiste vers des horizons nouveaux. Cette croyance est peut-être conséquente de ses lectures de Fanon, dont Ajari est spécialiste, qui remarque avec justesse que « les analyses marxistes doivent être toujours légèrement distendues chaque fois qu’on aborde le problème colonial » (1961, p. 43)2. Cela s’explique notamment par le fait que, dans le monde colonial, « l’infrastructure économique est également une superstructure » (id.). Le monde colonial est transparent. Il écrase le colonisé sans parvenir ou chercher à le convaincre par des moyens idéologiques de la nécessité de sa position d’infériorité. Quant au colon, il est déjà convaincu de sa propre supériorité. Le colon n’a pas d’opium à déverser sur les masses colonisées, là où le capitalisme abreuve le prolétariat d’anesthésiants idéologiques3. Concrètement, à l’intérieur du monde colonial, « l’énorme différence des modes de vie ne parviennent jamais à masquer les réalités humaines » (id.). L’existence même d’un opium du peuple colonisé est rendue impossible par les conditions matérielles du colonialisme. Au bout du compte, c’est suite à une lecture matérialiste conséquente des rapports de domination coloniaux que Fanon conclut aux limites d’un réductionnisme de l’analyse des sociétés coloniales à la question de la lutte des classes. Ce point mérite d’être approfondi, dans la mesure où il pousse les analyses d’Ajari vis-à-vis du marxisme dans leurs retranchements.

1. Contester l’épistémologie marxiste

Avant de s’intéresser à la contestation de l’épistémologie marxiste, attardons-nous quelques instants sur les positions que prête Ajari à certain.e.s militant.e.s marxistes sur la question de l’épistémologie. Dans un entretien accordé à Wissam Xelka4, Norman Ajari essaie de ridiculiser les positions épistémologiques défendues par des militants marxistes blancs. Dans cet entretien, d’ailleurs, Ajari cible régulièrement ce qu’il appelle le « marxisme occidental ». Même s’il ne définit pas ce que recoupe cette expression, il est vraisemblable qu’elle réfère au marxisme blanc de tradition européenne ; si tant est que cela ait un sens de qualifier ainsi le marxisme, étant donné la multitude de ses applications concrètes et de ses développements théoriques hors du champ européen. Le sujet blanc européen peut difficilement passer outre ces influences. Et si ce sujet est marxiste, alors on voit mal concrètement comment il peut s’abstraire des transformations et applications non européennes du marxisme. Cette difficulté peut être surmontée à la condition de réduire l’approche philosophique marxiste à une forme de discours entièrement déterminée par son lieu d’énonciation, ainsi que par son sujet d’énonciation – un blanc, des blancs, en Europe – en abstrayant ce sujet de ses propres conditions matérielles, comme si son point de vue l’emportait nécessairement sur les points de vue divers des sujets d’énonciation dont il se nourrit pourtant à travers son militantisme et ses lectures. Mais soit.

La charge d’Ajari contre ces militant.e.s peut se résumer ainsi : des marxistes croient qu’il n’y « a qu’une seule épistémologie. Si tu penses que chaque science a son épistémologie, alors là on ne va plus être d’accord, c’est n’importe quoi » (Xelka, 2025 b.). Puis le philosophe de conclure : « Bien sûr que chaque science a son épistémologie » (id.). Nous sommes d’accord. Chaque science a son épistémologie. Nous ne sommes pas d’accord. Les marxistes dont il est question ici n’ont jamais défendu l’idée absurde selon laquelle l’épistémologie marxiste embrasserait toutes les disciplines scientifiques dans leur pratique concrète. Cela ne signifie pas qu’il est impossible d’analyser la pratique sociale des sciences à travers une épistémologie marxiste ; mais simplement que, concrètement, c’est l’évidence même que chaque discipline scientifique procède de sa propre épistémologie5. C’est être peu charitable avec son interlocuteur que de lui prêter des positions aussi ridicules, pour ensuite les démolir comme si ces positions étaient réellement les siennes.

Quoi qu’il en soit, c’est un point qu’il fallait clarifier. Il n’est pas question ici, comme il n’est pas question ailleurs, de prétendre à l’hégémonie de l’épistémologie marxiste dans le champ de la totalité des pratiques scientifiques. S’il faut le rappeler, le marxisme est avant tout un matérialisme, et non un idéalisme qui croit dans le pouvoir des idées de s’étendre au-delà du champ de leur objet tel que ce champ est donné dans la pratique de l’étude de cet objet, et d’imposer à des objets fondamentalement étrangers leurs propres lois idéelles, comme si le monde était constitué d’idées abstraites et non de rapports matériels concrets. Si la mécanique quantique était explicable avec les hypothèses de Marx et Engels au sujet de l’histoire sociale, cela se saurait depuis longtemps.

Le débat épistémologique de fond que peut opposer Ajari au marxisme est bien plus intéressant que ces discussions superficielles plus gonflées d’ego que de désir de vérité. Ajari défend des thèses radicales au sujet de l’épistémologie marxiste. Ces thèses dérivent des pensées décoloniales de traditions latino-américaines6. La plus importante d’entre elles, qu’Ajari répète çà et là, et qui est tout à fait cohérente avec le courant décolonial américain, est que le marxisme est fondamentalement et nécessairement une approche philosophique raciste.

Ajari (2019, p. 11) assume d’ancrer sa réflexion dans la tradition décoloniale du groupe MCD (Modernité/Colonialité/Décolonialité), à la suite des travaux de Mignolo7. Mignolo écrit lui-même à la suite de Quijano, et de son article fondateur dans lequel il introduit la notion de « colonialité du pouvoir »8. La colonialité du pouvoir, pour reprendre les mots de Colin et Quiroz, suppose un « colonialisme latent […] qui continue d’organiser la distribution inégale des ressources et des droits à toutes les échelles de la vie sociale »9, selon les mêmes logiques d’organisation et de hiérarchies que celles du colonialisme des siècles passés. Le concept de colonialité du pouvoir réfère aussi bien à des problèmes directement matériels – production, distribution – qu’épistémologiques – acculturation, travail intellectuel, langues, art, etc. La question de la manière dont sont constituées les connaissances dans le monde colonisé travaille les penseurs décoloniaux. Elle travaille aussi le philosophe Norman Ajari. Par constitution des connaissances, il ne s’agit pas seulement d’entendre connaissances scientifiques, mais tout ce qui a trait au domaine de l’expression possible du sujet qui vit et subit la colonialité du pouvoir. C’est pourquoi les pensées décoloniales intègrent des problèmes relatifs à l’art et la culture, colonisés par la modernité. La modernité peut être comprise comme l’épistémologie de la colonialité du pouvoir. Sa fonction est de naturaliser ou, dans une moindre mesure, de conserver, en la faisant apparaître comme universelle, la forme coloniale du pouvoir10 (Dussel, 199911 ; Grosfoguel, 200712). La modernité se présente à tou.te.s comme le moyen de lecture universel du monde. Elle produit ainsi une « occultation de l’autre »13, dont la singularité se trouve exclue a priori de l’universel. L’opposition entre universel et particularisme, et la prétention à l’universalité des modes de représentations européens, coloniaux, quitte à anéantir les modes de représentations colonisés, est un thème classique de la littérature anticoloniale. Il se retrouve notamment chez Glissant14, qui montre que le colonisé est constamment assujetti à l’impérialisme culturel et épistémique du colon.

Les problèmes posés par la modernité au monde colonisé, néocolonisé, sujet à la colonialité du pouvoir, pourraient être ramenés à ce que Grosfoguel appelle « épistémologie du point zéro », à savoir un « point de vue qui cache le point de vue particulier comme s’il se situait dans un au-delà de tout point de vue, un point de vue qui se présente comme n’ayant aucun point de vue »15. La modernité, c’est-à-dire le discours du sujet colonial, du colon, se présente à lui-même et à tou.te.s sous l’aspect de la neutralité16 ; alors qu’à l’évidence il s’agit d’un discours situé, européocentré, qui porte avec lui ses représentations et ses velléités impérialistes.

La dimension culturaliste et épistémologique occupe une place importante dans la critique décoloniale. C’est par là qu’Ajari reprend le, ou s’en prend au, marxisme :

Pour le dire de façon trop schématique, de Hegel à Heidegger en passant par Marx (et tant d’autres), les philosophies de l’histoire sélectionnent, à partir d’un diagnostic de l’époque actuelle, les événements passés jugés qualitativement significatifs, mis en ordre selon un principe. Ce geste ouvre sur une anticipation de l’avenir. Selon le groupe MCD, la constante de toutes ces entreprises a, jusqu’à présent, résidé dans un certain européocentrisme. Il entreprendra donc de proposer une nouvelle philosophie de l’histoire, pertinente pour le Sud global (Ajari, op.cit., p. 13).

Du point de vue des pensées décoloniales, le marxisme est européocentré. Sa philosophie de l’histoire vise à l’émancipation du sujet européen, et non du sujet universel. Les colonisés, les « subalternes », sont exclus, d’après les décoloniaux, de cette dynamique historique. Dans le second entretien qu’il accorde à Wissam Xelka, Ajari abonde en ce sens :

Le but de la tradition radicale noire, enfin l’un de ses modes d’opération dans l’histoire intellectuelle, ça a toujours été de dire, par exemple, il y a un gros problème de racisme dans l’histoire du marxisme. Il y a un gros problème de racisme dans l’histoire de la psychanalyse. Il y a un gros problème de racisme dans l’histoire du féminisme (Xelka, op.cit.).

Plus tard, il ajoute :

Le problème, c’est que lorsqu’on regarde les arguments explicatifs des marxistes sur l’histoire et sur la genèse de la négrophobie, ce sont des arguments qui sont très mauvais, et des arguments qui sont très négrophobes (id.)

Il n’y aurait donc pas de neutralité dans les discours marxistes, ni d’universalisme concret, mais bien l’ancrage dans un imaginaire culturel raciste qui ressort de ces discours, quand bien même ils prétendraient à l’universel – surtout parce qu’ils prétendent à l’universel. Le seul moyen de combler les trous, d’ouvrir les points aveugles du marxisme, serait alors de se détacher de l’épistémologie marxiste. Ajari y revient, dans La dignité ou la mort. Fanon, dit-il, dans son analyse de la colonisation, « ne reconduit pas l’épistémologie du point zéro » (op.cit., p. 103), mais « il esquisse une critique de l’ordre dominant dans sa totalité depuis une certaine place, subalterne, dans la géopolitique de la connaissance » (id.). Le glissement épistémologique consisterait en un glissement d’un sujet vers l’autre. On glisse du sujet prolétarien vers le sujet colonisé. Ce glissement consiste en passer du point de vue de la modernité vers celui de ses victimes. Et, dans cette nouvelle perspective, le point de vue de la modernité n’est autre que l’expression des représentations de « l’Occident moderne », qui « n’est pas un lieu parmi tant d’autres, une culture parmi tant d’autres : il est un principe de destruction, de mise en esclavage et de ravage de l’altérité dans l’histoire » reprend Ajari (id.).

Il faut s’attarder un instant sur cette variation épistémologique. C’est l’évidence qu’il n’y a aucune neutralité dans les énoncés philosophiques marxistes ; et c’est évident qu’ils sont historiquement situés. Si Ajari propose de passer du sujet prolétarien au sujet noir, il déplace le point de départ de l’analyse. Il avance avec de nouvelles catégories : celles du dominé, du colonisé, du racisé. Mais il demeure un point commun avec l’épistémologie marxiste. Ajari ne s’écarte pas d’une compréhension du monde en termes, pour reprendre le concept de Lucien Goldmann, de sujets collectifs17. Au lieu d’opposer bourgeoisie et prolétariat, il oppose monde colonisé et monde occidental. Et il inclut le marxisme dans le monde occidental. En principe, alors, le marxisme devient un adversaire idéologique nécessaire.

Ajari propose d’en passer par la « fin de la blancheur » (op.cit., p. 103). Cette idée apparaît d’ailleurs dès l’incipit de son Manifeste afro-décolonial18, dans lequel il cite Walter Rodney qui affirme : « Je ne pense pas que tous les blancs sont des ennemis ; mais tous les blancs sont des ennemis jusqu’à preuve du contraire »19. Il est aussi pressant pour le sujet racisé d’éliminer le sujet blanc qu’il l’est pour le sujet prolétarien de liquider la bourgeoisie. L’ennemi du non-blanc, c’est la blanchité, la blancheur, non pas en tant que caractéristique ethnique ou sociale, mais bien en tant que sujet collectif. Il ne fait aucun doute qu’Ajari abonde dans ce sens. Dans La dignité ou la mort, il distingue les sujets européens individuels, qui ne sont pas « condamnés à ce statu quo » (op.cit.) de la blancheur, constitutive des représentations et des pratiques sociales du sujet collectif européen. Et alors Ajari retombe dans une épistémologie matérialiste du sujet collectif ; épistémologie qui ressemble de très près, à s’y méprendre, à celle du marxisme.

Le sujet individuel blanc appartient au sujet collectif blanc. Le sujet individuel racisé appartient au sujet collectif racisé. Et ces sujets collectifs sont mus par des intérêts divergents. La fin de l’oppression de l’un par l’autre suppose la suppression du sujet collectif blanc. Cette liquidation suppose que soient éliminées toutes les structures matérielles qui rendent le racisme possible. Ces structures sont nombreuses, et bien articulées avec le capitalisme – et ce depuis sa genèse, comme le conçoivent d’ailleurs les décoloniaux. Alors il devient difficile de jeter le marxisme par-dessus bord. Ou bien, s’il faut jeter le marxisme, il devient difficile de se débarrasser d’une approche matérialiste, qui évacue le rôle historique de sujets collectifs. Ce n’est pas parce qu’il y a désaccord sur la priorité à donner à ces sujets que la grille d’analyse philosophique évacue ces sujets. Ajari prend ses distances avec le marxisme tout en mobilisant une épistémologie matérialiste et dialectique. Donc marxiste. Cette prise de distance épistémologique est de ce fait très relative. Elle constitue plutôt un glissement d’un sujet à un autre que la négation de l’existence de sujets collectifs agissant dans l’histoire. Il ne sera pas permis de s’attarder sur ce point précis, car cela dévierait de trop la discussion, mais nous ne pouvons que tomber d’accord sur un point avec Ajari : le racisme accompagne le capitalisme. La constitution du sujet collectif racisé est consubstantielle de celle du sujet collectif prolétarien. Racisme et capitalisme, colonialisme et capitalisme sont, dans nos conditions historiques concrètes, tout à fait indissociables. Ils sont consubstantiels. La bourgeoisie aurait eu grand mal à devenir hégémonique sans l’entreprise coloniale – sans le racisme. Le grand mérite des approches anticolonialistes est d’avoir éclairé le marxisme sur ce point aveugle. Le marxisme n’est plus dans l’ombre.

Pour autant, des points de tensions semblent demeurer entre Ajari et le marxisme. Dans le premier entretien qu’il accorde à Wissam Xelka, il oppose le marxisme à son afro-pessimisme. L’opposition tient à ce que l’afro-pessimisme s’autorise à penser l’avenir postcolonial, postraciste, postcapitaliste, là où le marxisme s’y refuserait :

Demande à n’importe qui de te parler de ce que c’est que la société voulue par le marxisme ; de la société marxiste. Qu’est-ce que c’est le communisme ? Qu’est-ce que c’est que le communisme ? Personne ne va te dire ce que c’est que le communisme. On va même te dire : mais, il ne faut pas définir le communisme, sinon tu tombes dans l’utopisme le plus vulgaire. Tu tombes dans le marxisme utopique et ce n’est surtout pas ce qu’il faut faire.20

Les marxistes réduiraient la conception de la société communiste future à la production d’utopies. Curieux. Dans le Manifeste du parti communiste, Marx et Engels semblent pourtant envisager les modalités de la société communiste. On y lit, par exemple :

Dans la société bourgeoise, le passé domine donc le présent ; dans la société communiste c’est le présent qui domine le passé. Dans la société bourgeoise, le capital est indépendant et personnel, tandis que l’individu qui travaille n’a ni indépendance, ni personnalité. Et c’est l’abolition d’un pareil état de choses que la bourgeoisie flétrit comme l’abolition de l’individualité et de la liberté ! Et avec raison. Car il s’agit effectivement d’abolir l’individualité, l’indépendance, la liberté bourgeoises.21

Certes, il ne s’agit pas d’une description d’une précision absolue du fonctionnement de la société communiste, mais ses principes fondamentaux sont déjà établis. La société communiste abolit les rapports de domination instaurés par la bourgeoisie. Elle consiste en la mise en commun des moyens de production. Ce projet politique est au moins aussi précis, sinon plus, que ne le sont les « États-Unis d’Afrique », qui ne pourront apparaître que suite à la « fin du monde », appelés des vœux de Norman Ajari (Xelka, op.cit.).

Dans L’État et la révolution, Lénine reprend la maxime marxienne du Programme de Gotha : « De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins »22. Du reste, est-il exagéré de concevoir L’État et la révolution en particulier, et la philosophie de Lénine en général, comme un projet politique, c’est-à-dire une conception politique concrète, de ce que sera la société communiste ? Lénine est-il un « utopiste » ? Est-il considéré comme tel par le marxisme ? Cela semble peu vraisemblable. Et puis, que dire du Petit livre rouge, dans lequel Mao Zedong décrit précisément le processus politique par lequel se produit la société communiste23 ? Mao Zedong serait-il un « utopiste » qui n’écrirait que dans des buts spéculatifs ? Difficile à croire.

Cette position, heureusement ponctuelle, et peut-être accidentelle, d’Ajari, est évidemment intenable. Outre ces personnalités historiques, rares ne sont pas les marxistes concrets qui envisagent la formation de la société communiste. S’il n’y avait pas de société nouvelle en ligne de mire, alors à quoi bon en appeler à la révolution ? Certains, aujourd’hui, parlent même de « communisme déjà-là ». Les plus connus sont Friot et Lordon, qui exposent notamment ce concept dans un ouvrage consacré à des réflexions au sujet du communisme24. C’est un concept sur lequel revient régulièrement Friot25, puisqu’il envisage de constituer le communisme futur sur la base de structures communistes déjà présentes, déjà acquises – et qui ne relèvent donc en rien de l’utopie. La réduction du marxisme à une théorie mécaniste qui s’interdirait de réfléchir aux contingences sociales et politiques futures est une caricature qui n’entretient avec son modèle que de très vagues ressemblances26. Pour ne pas dire aucune.
Discuter le marxisme, son épistémologie, peut être fécond. Autant le faire alors sur des bases solides ; à tout le moins, sur des bases qui désignent à peu près correctement leur objet. Au bout du compte, Ajari conserve une épistémologie qui accorde aux sujets collectifs un rôle important – quand bien même il ne les désigne pas en ces termes. Il n’a pas une lecture individualiste de l’histoire politique et sociale. Aucun doute, Ajari ne pense pas en premier lieu à travers le prisme libéral bourgeois. Pourtant, il essaie de se détacher du marxisme au moins de deux façons : d’abord en se réappropriant les pensées décoloniales, qui l’obligent à faire un pas de côté, ensuite en accordant à la question du désir une place que le marxisme a tendance à oublier – peut-être parce que, à travers son prisme épistémologique, elle paraît peu pertinente.

2. Idéalisme décolonial et matérialisme dialectique

Ajari dévie quelque peu de sa trajectoire matérialiste, non pas en niant l’action centrale des sujets collectifs, mais en accordant à leur vision du monde un rôle plus central que ce qu’elle pourrait occuper dans le marxisme. Cette déviation s’explique sans doute par le tournant décolonial, au sens de la tradition latino-américaine, que suit Ajari. Aussi invite-t-il tous les sujets mystifiés par l’épistémologie de la modernité à « changer de référentiel » (op.cit.). L’abandon de « l’Occident » consisterait d’abord en un changement de regard. C’est là un idéalisme dans lequel ni le marxisme, ni Frantz Fanon, auteur dont Ajari est spécialiste, ne peuvent se reconnaître. D’un côté, Fanon admet l’existence de cette « vision du monde […] blanche »27 à laquelle est assujetti le colonisé. Dans Peau noire, masques blancs, il aspire à expliquer les troubles du comportement des Antillais colonisés par sa « situation culturelle » (id.), laquelle situation constitue « la vision du monde de la collectivité à laquelle il appartient » (id.). Mais, d’un autre côté, Fanon ajoute :

La responsabilité de l’homme de culture colonisé n’est pas une responsabilité en face de la culture nationale mais une responsabilité globale à l’égard de la nation globale, dont la culture n’est, somme toute, qu’un aspect. L’homme de culture colonisé ne doit pas se préoccuper de choisir le niveau de son combat, le secteur où il décide de livrer le combat national. Se battre pour la culture nationale, c’est d’abord se battre pour la libération de la nation, matrice matérielle à partir de laquelle la culture devient possible. Il n’y a pas un combat culturel qui se développerait latéralement au combat populaire. Par exemple, tous ces hommes et toutes ces femmes qui se battent poings nus contre le colonialisme français en Algérie ne sont pas étrangers à la culture nationale algérienne. La culture nationale algérienne prend corps et consistance au cours de ces combats, en prison, devant la guillotine, dans les postes militaires français investis et détruits (1961, p. 221).

La culture n’est pas une entité figée. Elle n’est pas un ensemble d’idées flottantes qui transcende le corps social de façon nécessaire et absolue. La culture apparaît dans la pratique sociale. Elle est la conséquence de l’activité du sujet collectif. Fanon est explicite sur ce point : « La culture négro-africaine, c’est autour de la lutte des peuples qu’elle se densifie et non autour des chants, des poèmes et du folklore » (op.cit., p. 223)28. Deux conclusions semblent d’imposer. Céder la priorité à la lutte contre la modernité, c’est donner la priorité au combat intellectuel devant le combat social. La culture n’est pas figée, mais se constitue à partir des pratiques sociales. Par conséquent, la lutte contre la culture en soi et pour soi est un combat à l’objet diffus. Non qu’il n’existe pas quelque chose comme la culture, dérivée ou constitutive de visions du monde ; bref, non qu’il n’existe pas de superstructures idéologiques ; mais ces superstructures ne sauraient être affrontées sur le seul plan des idées. Le racisme structurel ne cèdera pas face à de simples idées.
De façon périphérique, cette approche culturaliste pose un nouveau problème. Elle suppose une sorte d’adéquation entre la culture et le genre de conscience qu’elle génère ; comme si la conscience populaire réelle était le reflet de la culture hégémonique. En termes marxistes, cette description du monde confère à la superstructure idéologique le pouvoir de canaliser la conscience des opprimés ; ici, en l’occurrence, leur conscience de race. Or il est curieux de considérer que la superstructure puisse se projeter directement dans les esprits humains, des sujets concrets, et détienne le pouvoir de les façonner de sorte à entraver leurs actions. Cela revient à supposer que la conscience de chacun de sa propre condition sociale est mécaniquement déterminée par la superstructure idéologique, réduite à sa forme culturelle. Il ne peut en être ainsi, d’abord parce que les personnes racisées ont conscience des asymétries qui se jouent et des rapports de domination desquels elles sont victimes. S’il y avait adéquation entre une culture assimilationniste et la conscience des sujets réels, alors il n’y aurait aucune conscience de l’existence de cet impérialisme assimilationniste chez ces sujets réels. N’est-ce pas là la preuve du rapport dialectique qu’entretient la conscience du sujet, aussi bien individuel que collectif, aux discours qui visent à son assujettissement par des puissances qui se jugent elles-mêmes supérieures ? Dans le premier essai de Histoire et conscience de classe, Lukács montre que, dans le rapport de classes, le prolétariat déjoue ce fatalisme mécaniste. Sa conscience n’est pas entièrement déterminée par la culture bourgeoise :

En reconnaissant sa situation, [le prolétariat] agit. En combattant le capitalisme, il reconnaît sa situation dans la société. La conscience de classe du prolétariat, qui est vérité du processus comme « sujet », n’est pourtant nullement stable, toujours semblable à elle-même ou en mouvement selon des « lois » mécaniques. Elle est la conscience du processus dialectique même ; elle est également un concept dialectique.29

De même, le sujet racisé est en lutte, en tension avec l’impérialisme occidental, et ce quelle que soit la forme que revêt cet impérialisme. Le racisme est une violence frontale, transparente. Ses justifications idéologiques font peu illusion. La lutte contre le racisme est une lutte contre la modernité, mais la lutte contre la modernité, au sens d’épistémologie européocentrée, ne suffit pas à vaincre le racisme. On n’abat pas les rapports de domination matériels en luttant contre les seules idées qui les justifient. Car alors même que ces idées seront tombées, elles seront remplacées par de nouvelles ; par des justifications plus adéquates, plus audibles. Et si la modification des idées est la conséquence de l’émergence de la conscience d’un sujet collectif, alors cela signifie que c’est dans la pratique de la lutte sociale que ces idées nouvelles ont émergé et se sont imposées à la société. N’inversons pas cause et conséquence : la transformation des rapports sociaux n’est jamais le simple effet d’une transformation des esprits. La raison en est que les esprits ne se transforment pas spontanément, sans raison, sans quelque événement qui vienne à la rencontre de leur expérience vécue, et qui les conduise à reconsidérer leur propre position et leur propre rôle au sein de la vie sociale. La rencontre de la matraque policière façonne des consciences de gauche. L’écriture d’articles et de livres dans un bureau à l’université, à l’abri de la violence politique, la fuite de cette violence au profit d’un travail intellectuel militant inorganique, fabrique des consciences conservatrices.

Du reste, il faut souligner les limites de l’approche décoloniale quand elle cherche à suppléer aux angles morts du marxisme par des explications culturalistes, épistémologiques – par la Modernité – ; elle prend le risque de se vautrer dans des contradictions logiques dont elle se fait elle-même prisonnière. Cela ne vaut pas nécessairement pour l’approche décoloniale en général, bien entendu, mais ce genre de contradictions ressortent parfois du discours de Norman Ajari. Ces contradictions, d’ordre strictement logique, sont dépassables par la praxis politique, c’est-à-dire par le militantisme concret, qui s’affranchit de nécessités logiques toujours dépendantes de transformations ontologiques. Car l’émancipation politique est d’abord ontologique ; elle dépend du mouvement dialectique des rapports sociaux, économiques et historiques. Et aucune logique ne peut résister à ce mouvement.

Trois courts exemples suffiront à illustrer ces contradictions. Le premier est le plus anecdotique. Dans l’entretien qu’il a accordé à la chaîne À gauche30, Ajari questionne le militantisme marxiste sur internet à travers la figure du vidéaste PasDürhing. Selon Ajari, ce vidéaste est un bon ironiste. Mais, au-delà, et aussi parce qu’il est un ironiste, il serait en difficulté à avancer des idées politiques pertinentes. Peu importe la véracité de ce propos. Ce qui compte ici, c’est que, pour défendre sa thèse, Ajari fait reposer son propos sur les arguments de Kierkegaard au sujet de la démarche de l’ironiste, plus habile à dénoncer ce qui est faux qu’à dire ce qui est vrai31. Quelle que soit la pertinence de l’argument, on notera que, pour affronter un marxisme qu’il juge trop « occidental », Ajari en passe par les thèses de Kierkegaard, auteur peu connu pour son militantisme contre l’épistémologie de la modernité.
Dans son Manifeste afro-décolonial, Ajari dénonce les dynamiques de surexploitation à l’œuvre dans les entreprises coloniales. « Comme l’a démontré Karl Marx, débute-t-il son argumentation, le capitalisme est fondé sur l’exploitation » (2024, p. 36). Puis de poursuivre :

Mais les formes extrêmement brutales qu’a prises cette exploitation au cours de l’histoire coloniale exigent l’emploi d’un autre concept. Parler de surexploitation vise à désigner les cas où les travailleurs noirs et colonisés ont été soumis à des cadences, des conditions et des traitements où la « reproduction de leur force de travail », c’est-à-dire leurs besoins fondamentaux, n’a pas été prise en compte. Pour être plus clair, contrairement aux Européens, on les a mis au travail sans se préoccuper de leur survie (ibid., p. 37).

Ce que dit Ajari est on ne peut plus vrai, et aussi on ne peut plus éclairant. La catégorie d’exploitation échoue à décrire les mécanismes coloniaux de destruction par le travail d’humanités jugées inférieures par un colonialisme raciste. L’exploitation, au sens de Marx, sous-entend que le travailleur échange sa force de travail contre un salaire qui lui permet de la renouveler – c’est-à-dire de survivre. Aux colonies, rien n’oblige le colon de garantir la survie du colonisé. Si le colon avait éprouvé le besoin de renouveler la force de travail des populations autochtones d’Amérique, ces populations n’auraient pas été génocidées, puis remplacées par une main d’œuvre esclavagisée. Cette surexploitation se manifeste aussi dans la traite des personnes esclavagisées. Le Mémorial de l’abolition de l’esclavage rappelle que « en moyenne, l’espérance de vie d’un esclave de plantation ne dépasse pas dix ans »32. Dans son article sur « Les idées reçues de l’esclavage », l’historienne Myriam Cottias rapporte que « l’espérance de vie des esclaves tourne autour de 30 ans au XVIIIe comme au XIXe siècle ». Alors, « avec de pareils taux, l’accroissement de population est demeuré nul sur les plantations jusqu’au début du XIXe siècle, et le renouvellement de la force de travail s’est fait uniquement avec les captifs de traite »33. Toutefois la comparaison avec la traite s’arrête là. En effet, la réduction en esclavage d’êtres humains suppose un mode de production esclavagiste, et non une forme alourdie, ou autre, de capitalisme. Mais la catégorie de surexploitation demeure effective dans tous les lieux et moments de l’histoire coloniale, où le colonialisme a détruit, pour le profit de la bourgeoisie, les vies des colonisés comme s’il s’agissait de simples consommables. En Europe, hormis lors de l’entreprise nazie, l’exploitation capitaliste n’a jamais atteint un tel degré de déshumanisation. Il n’aura échappé à personne que, pour produire ce brillant développement, Ajari s’est lui-même enraciné dans la philosophie marxiste, qu’il s’est laissé affecter par sa modernité.

Le troisième exemple est le plus intéressant, parce qu’il est le plus politique, et qu’il permet de saisir les limites de la critique culturelle face à une approche matérialiste dialectique. Dans le premier entretien accordé à Wissam Xelka, Ajari dessine à gros traits le projet politique du sujet collectif noir, en vue de l’émancipation des noirs de l’impérialisme colonial et néocolonial. Son projet c’est « la fin du monde ». Il s’agit d’un concept romantique, qui projette la fin du monde impérialiste, sa destruction, son remplacement par un monde tout autre. Les modalités de passage d’un monde à l’autre ne sont pas spécifiées par Ajari. Il postule simplement que la solution politique du problème du racisme et de l’oppression en passe par là. L’un des éléments de cette fin du monde est la constitution d’un monde nouveau, dans lequel apparaissent les « États-Unis d’Afrique ». Ajari reprend ouvertement cette idée à Kwame Nkrumah qui, lors de son discours du 8 décembre 1958, en appelle à l’indépendance immédiate de toutes les nations africaines, ainsi qu’à la constitution future des États-Unis d’Afrique34. L’unité d’États indépendants d’Afrique tient à Nkrumah. Il y revient notamment lors de son discours devant l’Organisation de l’Unité Africaine : « Rien ne servira à rien, sinon l’action unie d’une Afrique unie »35, insiste-t-il. Or, faut-il le rappeler, la notion d’État, tel que nous nous le représentons aujourd’hui, émerge en plein cœur de la modernité. Les philosophes modernes discutent longuement de cette notion, puis de la forme que peut ou doit prendre l’État, de ses limites, ses prérogatives, etc. C’est dans la modernité qu’est née la forme de l’État que brandissent Ajari et Nkrumah. De ce fait, il paraît difficile de disqualifier le marxisme « occidental » au motif de son européocentrisme. On ne peut, d’une main, tenir une théorie de l’État pour émancipatrice et, de l’autre, blâmer le marxisme au motif de son européocentrisme, de son ancrage par trop profond dans la modernité. Il va sans dire, la pratique politique de Nkrumah dépasse cette contradiction théorique, parce que Kwame Nkrumah ancre son action dans la transformation concrète des sociétés colonisées. Peu importe si la catégorie d’État est issue ou non de la modernité, si la fondation d’États-Unis d’Afrique permet aux Africains concrets, aux colonisés, de s’affranchir de la domination coloniale, impérialiste, capitaliste et fondamentalement raciste. La lutte anticoloniale et la lutte des classes ne sont pas des luttes qui aspirent à la victoire de catégories philosophiques et intellectuelles, mais à la victoire de groupes concrets sur d’autres groupes concrets ; de sujets collectifs sur d’autres sujets collectifs.

La référence à l’approche décoloniale n’est pas centrale chez Ajari. Mais le réflexe de la disqualification du marxisme au nom de son racisme est un peu plus systématique. Ce réflexe découle, selon toute vraisemblable, du même genre de logique à l’œuvre dans la critique qu’adressent les pensées décoloniales à la modernité. C’est pourquoi il semble pertinent d’avoir clarifié ces quelques points et soulevé ces contradictions.

3. L’économie libidinale

Le point de tension le plus important entre la pensée d’Ajari et la philosophie marxiste porte sur l’importance attribuée au désir pour expliquer les rapports de domination. En tant qu’analyse matérialiste et dialectique, le marxisme refuse de mobiliser les catégories d’affects, de désir, de psyché, bref, toute catégorie qui renvoie à la psychologie ou aux tendances individuelles, pour expliquer les phénomènes sociaux. Il ne faut pas voir par là la négation de l’individu. Le centre du désaccord – et ici nous rejoignons Goldmann (op.cit., p. 5) – vient de ce que la psychanalyse est une discipline qui a pour objet le sujet individuel, et qu’elle efface ainsi la possibilité de penser, à travers ses catégories, le sujet collectif. Or le comportement d’un sujet collectif ne peut être compris comme l’agrégat d’actions individuelles. La raison en est que le sujet collectif est ontologiquement – et dialectiquement – distinct du sujet individuel. Il y a là deux épistémologies inconciliables. Elles le sont d’autant plus qu’il leur est impossible d’étudier les mêmes objets. La psychanalyse, en tant que théorie du sujet individuel, est impuissante face au sujet collectif.

Ce débat pourrait être transposé vers un autre, plus ancien, qui oppose l’approche matérialiste dialectique à celle de la science économique, dont la fonction est « [d’]identifier les « lois naturelles » découvertes par Smith et Ricardo avec la réalité sociale, pour trouver dans la société capitaliste la seule société possible conforme à la « nature » l’homme et à la raison » (Lukács, op.cit., p. 53). Mais il ne s’agit pas de faire un faux procès aux philosophes des affects, qui ne nient pas l’existence de classes et de races sociales, ni celle du genre ; ils mobilisent des catégories psychologiques pour expliquer, ou décrire (cela dépend des nécessités du moment) le comportement du colon. C’est un thème récurrent chez Ajari. Il surgit d’un constat : le marxisme ne suffit pas à expliquer, ou à décrire, le mouvement du colonialisme et, avec lui, le racisme et la négrophobie. D’où la nécessité de trouver d’autres facteurs explicatifs ou descriptifs de ces phénomènes sociaux violents.
Dans un entretien qu’il accorde au média Lundimatin, Ajari est explicite : ce que dit Marx est incomplet, « et c’est tellement incomplet que ça en devient faux »36. Il est absolument certain que Marx n’a pas consacré une partie importante de son œuvre à la question coloniale ; et cela est tout à fait regrettable. Aussi convient-il de s’intéresser au propos d’Ajari et à l’analyse qui en découle, analyse à travers laquelle il aspire à mettre en évidence les erreurs et insuffisances de Marx dans son approche du travail en pays colonisé :

Marx en parle [de la question noire]. Il y a cette fameuse phrase du Capital selon laquelle l’esclavage en Amérique, l’esclavage sous peau noire et flétri, là où le travail sous peau blanche ne l’est pas […] En fait, il pose, dans sa phrase, qu’il y a, entre le travailleur noir – esclavagisé donc – et le travailleur blanc, une différence quantitative ; c’est-à-dire que le travailleur noir est plus maltraité que le travailleur blanc. Le travailleur noir est plus exploité que le travailleur blanc. Mais au fond, sous ce vêtement de la peau, sous cette apparence trompeuse de la peau, c’est le même travail, c’est la même force de travail.37

Que dit Marx dans le Capital 38? On lit, dans le chapitre VIII du Livre 1 :

Aux États-Unis d’Amérique du Nord, toute espèce de mouvement ouvrier autonome a été paralysée tant que l’esclavage défigurait une partie de la république. Le travail en peau blanche ne peut pas s’émanciper là où le travail en peau noire demeure marqué d’infamie. Mais la mort de l’esclavage a aussitôt fait éclore une vie nouvelle et régénérée. Le premier fruit de la guerre a été l’agitation pour les 8 heures, qui s’est propagée avec les bottes de sept lieues de la locomotive de l’Atlantique au Pacifique, de la Nouvelle-Angleterre à la Californie (Marx, 1867, pp. 291-292).

Le propos est clair. Marx affirme la difficulté de revendiquer, pour les ouvriers blancs, la possibilité d’obtenir des droits qui amélioreraient leurs conditions tant que l’esclavage a cours. L’obtention de la journée travaillée de huit heures, et donc la diminution de l’exploitation pour tous, a dû en passer par l’abolition de l’esclavage. « Le travail en peau blanche » est le travail prolétarien, tandis que « le travail en peau noire », « marqué d’infamie », est un travail esclavagisé. Ces deux formes de travail sont, par définition, de natures différentes. Il n’y a pas de différence de degré entre l’exploitation capitaliste et l’esclavage, mais une différence de nature. Il n’est par conséquent pas question de considérer qu’il s’agisse de « la même force de travail » dans le sens où l’activité du prolétaire et celle de l’esclave obéiraient au même processus productif et à la même logique. La force de travail de l’esclave est vendue une fois pour toutes au maître, à qui revient la charge, s’il le souhaite, de renouveler sa force de travail – afin de pouvoir continuer à l’exploiter, jusqu’à la mort. La force de travail du prolétaire se négocie autour d’un salaire. Sa rémunération est sans cesse renouvelée, et ainsi renouvelle-t-il sans cesse sa force de travail. L’ouvrier ne vend pas sa force de travail une fois pour toutes au capitaliste, sinon il se constituerait lui-même en tant qu’esclave. Or, comme le remarque Marx, alors qu’il s’intéresse au processus d’accumulation primitive du capital, l’entreprise coloniale tout entière a pour « fondement naturel » l’esclavage (Marx, op.cit., p. 740). Et, faut-il encore le rappeler, le travail esclavagisé n’est pas de même nature que le travail prolétarien. Il n’y a donc aucune raison de penser que, pour Marx, il n’est qu’une différence de degré entre l’esclave et le prolétaire. Ajari évacue totalement un point central de l’analyse marxiste, à savoir l’étude des rapports de domination relativement au mode de production. Mais, s’il en passe par là, par cette déformation des thèses de Marx, c’est parce que c’est pour lui un moyen de justifier la nécessité d’interprétations extra-marxistes, pour ne pas dire extra-matérialistes, de la domination coloniale.
La critique de Marx est le moyen, pour Ajari, d’insister sur la centralité du désir comme mobile du colonialisme et du racisme. Car c’est une idée qui revient chez Ajari : les Européens ont esclavagisé des Africains alors même qu’ils auraient pu coloniser d’autres Européens, des blancs (Xelka, 2025 a.). Ce qui explique l’orientation raciale du colonialisme est, dans cette perspective, une sorte de pulsion raciste première, qui préside à une nécessité strictement matérielle :

Eltis, qui est un historien […] du vingtième siècle, posera la même question. Il dira ; mais c’est quand même bien étrange qu’on ait fait tout ce détour vers l’Afrique pour aller prendre des populations, essayer […] d’établir des relations commerciales parfois compliquées, parfois coûteuses […]. Pourquoi les noirs ? On a du mal à répondre à cette question. Je veux dire, on ne peut pas juste économiquement expliquer ça. C’est ça que je veux dire. La rationalité économique voulait que les blancs esclavagisent d’autres blancs de la même manière que les noirs mais ça n’a jamais existé (id.).

C’est vrai. Dans l’absolu, il existe un monde possible, un monde pensable, dans lequel les blancs réduisent en esclavage d’autre blancs ; un monde totalement différent – cela ferait sans doute une bonne expérience de pensée de philosophie analytique. Ce n’est pas ce qu’il s’est passé. Mais prenons garde. Ce n’est pas parce que la « rationalité économique » eût exigé ce genre d’esclavage, de blancs par des blancs, que les différentes sociétés européennes de la Renaissance obéissaient au principe de rationalité économique. Le capitalisme, comme rapport social, n’obéit pas aveuglément à une loi que la science économique a inventée à la fin du dix-neuvième siècle. La société capitaliste est mue par d’autres structures, d’autres lois, d’autres mœurs, d’autres aspirations culturelles et juridiques, fondamentalement étrangère au principe de rationalité économique. C’est prêter à l’analyse marxiste une position mécaniste et quasiment mystique que d’imaginer qu’elle postule l’indexation nécessaire du fonctionnement concret des sociétés concrètes sur une loi abstraite inventée par des économistes postérieurement à l’éclosion de ces sociétés. Il n’y a absolument aucun paradoxe entre la rationalité économique supposée des premiers capitalistes et la réduction en esclavage de populations africaines en lieu et place d’une possible (au sens métaphysique) réduction en esclavage de populations européennes. De nombreux facteurs socio-historiques et culturels peuvent largement expliquer cette contradiction apparente, sans pour autant avoir besoin d’en passer par une justification d’ordre a priori psychologique. Ajari, pour évacuer le marxisme et justifier des explications ou descriptions autres, suppose la primauté socio-historique de la rationalité économique. Mais c’est une hypothèse gratuite. C’est une hypothèse d’économiste d’université, pas de militant politique de terrain.

L’enjeu, pour Ajari, sur le plan intellectuel, est d’introduire de nouvelles hypothèses, de nouvelles explications, là où le marxisme traditionnel aurait échoué. Alors, il questionne : « pourquoi est-ce que les flics voient un noir et vont tout simplement le tabasser sans aucune raison, et sans aucune autre justification que le fait de le massacrer ? » (2022, op.cit.). Le matérialisme répondrait que la cause est le racisme. Mais Ajari prend une nouvelle fois le contrepied du marxisme, en affirmant que le lynchage systémique des noirs par une police systémiquement raciste « échappe complètement à la logique économique » (id.). Nul ne sera en désaccord. Le racisme ne s’explique pas exclusivement par une logique économique. Dans des cas nombreux, d’ailleurs, les intentions et sentiments racistes sont étrangers à une logique économique. Une analyse marxiste, qui prendrait en compte la variable de l’oppression raciale dirait-elle autre chose ? Sans doute pas. Mais alors, quel est l’adversaire théorique d’Ajari ici ? Eh bien il semblerait qu’il s’agisse d’une forme d’économisme, comme si Ajari considérait que le marxisme, qui est la cible de son propos, était un économisme ; comme si le marxisme réduisait toute analyse sociale à des mécanismes économiques. Ce genre de réductionnisme, pourtant, est largement rejeté par l’analyse marxiste. Parmi d’autres, Antoine Vatan rappelle, dans un entretien accordé au Café marxiste, que la réduction du marxisme à un économisme suppose le passage du matérialisme dialectique vers un mécanisme39. La perspective économiciste suppose une explication de tout phénomène social à partir de l’histoire de l’économie. Nulle place, alors, à la contingence, à l’agentivité. Or Marx et Engels défendent une position strictement contraire. Faut-il rappeler la dernière phrase du Manifeste du parti communiste ? « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » (op.cit., p. 35). Pourquoi Marx et Engels en appelleraient-ils à la révolution prolétarienne, à l’action du prolétariat, s’ils pensaient que l’avenir social était entièrement déterminé par des rapports économiques ? Ils ne le feraient pas. C’est donc qu’ils ne croient pas que l’avenir social soit déterminé entièrement par des rapports économiques inexorables. Aussi n’est-ce peut-être que parce que Ajari réduit le marxisme à un économisme qu’il croit nécessaire de mobiliser de nouvelles hypothèses explicatives qui réintroduiraient de l’agentivité à l’intérieur de la théorie sociale – alors même que cette agentivité est déjà présente.
Ajari considère que c’est le désir de destruction du noir qui explique le comportement des blancs vis-à-vis des noirs à l’époque de l’esclavagisme ; et que c’est ce même désir qui est à l’œuvre dans les manifestations racistes contemporaines. Il fonde son explication sur la lecture du baron de Vastey40 qui, Ajari aime le rappeler non sans ironie, n’écrit « pas encore dans le langage de la science du matérialisme dialectique » (Xelka, 2025 a.). De sa lecture de Vastey, Ajari retient une explication de l’histoire de la traite par le désir de violence et de domination des blancs sur les noirs :

La violence souveraine des Blancs est au principe du colonialisme […]. L’accumulation de richesses et la violence sont deux choses dont le colonialisme est en quête. La rapacité de l’enrichissement ne va pas sans ce que Vastey nomme à travers l’ouvrage « sensualité » et qu’il définit comme une propension de jouir de la torture, du viol et d’une absolue souveraineté sur les vies des esclaves comme des Noirs libres. L’accroissement de la fortune des colons comme le remplissage des caisses de l’État furent évidemment un motif capital de l’entreprise coloniale moderne. Mais existe-t-il au monde plus grande richesse que de se découvrir comme une forme de vie suprême ? De s’affirmer supérieur aux autres humains ? Le colonialisme, comme règne ininterrompu de la violence et de la terreur, a permis aux Blancs de jouir d’une position surhumaine (Ajari, 2024, pp. 32-33).

Ajari décrit fidèlement les effets pratiques du racisme, ainsi que ses causes idéologiques : la supériorité du blanc sur toute autre forme de vie. Or ces causes idéologiques fonctionnent, si l’on veut demeurer matérialiste, avant tout comme des justifications. Au bout du bout, l’enjeu principal, pour Sepúlveda, est de justifier la réduction en esclavage et l’anéantissement des natifs américains par le fait qu’ils seraient « esclaves par nature », parce qu’ils seraient « en tous points conformes à la description d’Aristote »41. Une fois ceci posé, tout est permis. Mais remarquons que si cette justification n’avait pas été nécessaire, si, par les contingences de l’histoire, les marchands et les colons avaient trouvé un autre moyen d’accumuler du capital, alors il est vraisemblable que l’histoire du racisme eût été tout à fait différente. Le racisme est consubstantiel au capitalisme parce que c’est historiquement par le racisme qu’a pu exister le capitalisme. Mais le racisme n’est pas réductible à la croyance de la supériorité des uns vis-à-vis des autres, qui serait non seulement cause de la domination raciale, mais aussi causa sui. Le racisme est la pratique concrète d’asservissement de populations entières auxquelles les blancs nient l’humanité afin de servir leurs intérêts particuliers. Sans cette logique de servitude, elle-même liée à la logique d’enrichissement, il est très vraisemblable que l’idée de race, telle qu’elle se manifeste aujourd’hui encore dans le monde moderne, n’ait jamais vu le jour.

Il ne s’agit pas de nier le sadisme des esclavagistes, ni le plaisir qu’ils ont pu éprouver à dominer de façon absolue d’autres vies humaines. À l’évidence, il faut être la dernière des ordures, animée par un désir de domination sans fin, pour consentir à esclavagiser des humains. Mais alors en quoi cela explique-t-il l’esclavage comme moment de l’histoire ? « Les Européens sont des fous, mus par un désir de domination sans limite, c’est pourquoi ils ont esclavagisé des Africains ». Est-ce réellement une explication satisfaisante ? Explique-t-on la barbarie de la Shoah par la seule folie d’Hitler, des nazis et, en dernier recours, des Allemands ? Est-ce parce qu’ils avaient envie de s’ériger au-dessus de toute forme d’humanité que les nazis ont entrepris de coloniser l’Europe et d’exterminer les juifs ? Nul besoin de longs développements pour s’accorder sur le fait qu’une telle explication est totalement absurde. Les désirs de violence ne se transforment pas tous, bien heureusement, en racisme, esclavage et génocide. Même quand Arendt en passe par le concept très discutable de « banalité du mal » pour expliquer les attitudes individuelles des nazis, c’est-à-dire quand elle suggère une approche psychologique de la barbarie nazie, elle ne laisse jamais entendre que la somme des psychologies individuelles est la cause du phénomène nazi dans sa globalité42. On n’explique pas l’histoire sociale par la psychologie individuelle.

Tout au plus, il est possible de décrire des événements historiques en en passant par des récits qui ont pour objet la psychologie des individus. Mais cela n’est pas extensible au champ de l’explication, au sens de la puissance prédictive que peut contenir une explication théorique, au sens de l’explication comme forme générale de la prédiction. D’ailleurs Ajari le reconnaît lui-même à demi-mot dans le second entretien qu’il accorde à Wissam Xelka (op.cit.). Aussi atteignons-nous là une difficulté. Si le désir est un élément descriptif du colonialisme sans en être un élément explicatif, pourquoi le mobiliser pour expliquer l’entreprise coloniale ? Il est certain que l’analyse de Marx en elle-même est insuffisante pour rendre compte de la période coloniale. Mais pourquoi s’écarter de la méthode matérialiste en expliquant par la psychologie des événements historiques qu’elle ne peut de toute façon pas expliquer ? Les analyses matérialistes de la colonisation, qui comblent les points aveugles de la pensée de Marx, ne manquent pas. Aucune ne fait de la psychologie des uns et des autres la cause du colonialisme. Et, qu’on ne s’y méprenne pas, ces matérialistes, ces marxistes, qui s’efforcent de dépasser Marx par le matérialisme, ne sont pas tous des blancs obsédés par un universalisme européocentré ; loin de là. Pour n’en citer qu’un, parmi de nombreux autres, le philosophe vietnamien Tran Duc Thao mobilise l’analyse marxiste pour expliquer la primauté de la lutte contre les dominations raciales dans les rapports de dominations coloniaux43. On ne peut pas suspecter Thao, qui a quitté la France pour prêter main forte au Viêt Minh dans sa guerre d’indépendance contre la puissance impérialiste française, d’être le laquais de la « modernité européocentrée et raciste ». Pour parvenir à cette conclusion, à laquelle parviendrait sans doute également Ajari, Tran Duc Thao n’a pas besoin d’évoquer le « désir » de domination du colon sur le colonisé, ni même « l’économie libidinale » à l’œuvre dans le rapport de domination raciste. Thao recourt à une analyse historique, et non à une analyse psychologique.

Il est d’ailleurs urgent de questionner cette notion d’« économie libidinale ». L’économie libidinale est une notion qu’Ajari admet reprendre à la psychanalyse. Pour la définir, il en passe par une interprétation de ses lectures de Marx :

Ça veut dire l’économie du désir simplement. Et ça […] d’une certaine façon même Marx en parle parce que, à mon avis, le fétichisme de la marchandise, c’est une manière de penser l’économie libidinale […]. Il y a une manière de s’illusionner, non pas seulement intellectuellement et cognitivement, mais y compris dans son désir (Xelka, 2025 a.).

Marx aborde la question du fétichisme de la marchandise dans le premier chapitre du premier livre de son Capital. Nulle part il ne fait intervenir le désir, l’économie libidinale, dans l’avènement de ce fétichisme. Le fétichisme de la marchandise est un processus de voilement des rapports sociaux concrets qui donnent lieu à la production des marchandises. La marchandise apparaît comme un objet en soi, qui par nature peut s’échanger, alors que ce qui rend commensurables les marchandises entre elles est le travail abstrait producteur de valeur d’échange. L’essence de la marchandise n’est pas sa seule valeur d’usage, alors même que c’est ainsi qu’elle apparaît en premier lieu au sujet, au consommateur. Ce qu’elle est, c’est une certaine quantité de travail abstrait constitutif de la valeur d’échange au sein du mode de production capitaliste. Quand la marchandise n’apparaît que sous la forme objectivée d’une valeur d’usage, alors le rapport social qui en est l’essence, c’est-à-dire l’exploitation capitaliste, est invisible. Ce mécanisme n’a absolument rien à voir avec le désir. Il ne s’explique pas par le désir. Il n’est jamais question de dire que la marchandise est un fétiche en tant qu’elle est un objet de désir44. Qu’elle soit objet de désir ou non ne change rien au caractère profondément étranger du désir dans sa manifestation sociale en tant que fétiche. Affirmer que les humains désirent des marchandises, dans une économie capitaliste, est une simple tautologie, et non une explication. Ou alors, dirait-on, « c’est parce que le sujet désire la marchandise qu’il n’en saisit pas l’essence ». Est-ce bien sérieux ? Il est tout à fait possible de se passer de l’hypothèse du désir comme moteur du fétichisme de la marchandise pour expliquer que les sujets voient d’abord dans l’objet, l’objet tel qu’il se manifeste empiriquement, et non dans son essence. Si nous croyons de prime abord que la terre est plate, ce n’est pas parce que nous désirons qu’elle le soit, mais parce que c’est ainsi qu’elle nous apparaît dans l’expérience sensible.

4. Les marxistes sont des perdants

Dans le second entretien accordé à Wissam Xelka (2025 b.), Ajari répète à plusieurs reprises que les « marxistes occidentaux » sont des « losers », ou encore une « bande de losers », qui ont « échoué toutes [leurs] révolutions », et dont les seuls succès ont consisté à « pousser l’État-providence ». Il revient sur cette question dans son entretien face à À gauche (op.cit.), en insistant sur le fait que la seule adversité des capitalistes, de la police, de la répression armée, ne suffit pas à expliquer l’échec des tentatives de révolutions des « marxistes occidentaux ». Ces échecs, selon lui, auraient servi à « accélérer le mantra judéo-bolchévique, qui mène après à accélérer le fascisme et le nazisme ». C’est, pour Ajari, l’échec de Rosa Luxemburg à imposer une révolution socialiste en Allemagne qui a « [mené] à accélérer le fascisme et le nazisme ». Si les fascistes ont réussi, c’est à cause des échecs des communistes. Alors oui, en un sens, si le communisme était parvenu à l’emporter dans les principales nations impérialistes, les mieux armées pour le combattre, le fascisme et le nazisme n’auraient jamais triomphé. Mais c’est de l’histoire-fiction. Et faire de l’échec des tentatives de révolutions communistes dans les principales nations impérialistes la cause de l’accélération du fascisme et du nazisme est a minima exagéré, a maxima peu honnête et très peu rigoureux. Les causalités historiques sont évidemment très difficiles à établir. Mais, et surtout, faire d’un événement qui aurait pu en empêcher un autre la cause de ce dernier événement ne répond à aucune forme de rigueur dans le raisonnement. Si on suit à la lettre ce genre de logique, alors on fait des victimes de l’histoire les responsables de leur propre sort. Chacun.e jugera des conséquences concrètes de ce genre de raisonnement.

Du reste, faire l’inventaire des échecs pratiques du marxisme est, depuis longtemps, la stratégie des adversaires du camp progressiste. « Vous voyez bien que ça n’a pas marché le communisme ! Vous voyez bien que le marxisme ne débouche sur rien ! » Ces affirmations viennent assez rarement des forces progressistes. S’ensuit généralement cette injonction : « Laissez tomber ! » Sous-entendu : « Devenez libéraux (devenez conservateurs (devenez réactionnaires)) ». Ajari se targue, dans son entretien pour la chaîne À gauche, de produire un discours qu’aucune force réactionnaire ne pourrait reprendre pour elle-même. N’a-t-il jamais vu des libéraux autoritaires, des réactionnaires ou des fascistes tenir des discours fracassants contre le marxisme et les marxistes ? Ne les a-t-il jamais vus menacer et agresser des militant.e.s marxistes ? C’est curieux, car les exemples foisonnent dans notre histoire récente. Et ils foisonnent aujourd’hui encore. Ce qui met à l’abri le discours d’Ajari de ce genre de récupération, c’est son contexte d’énonciation. Il en va de même pour le discours des militant.e.s marxistes. Toute tentative de récupération par l’extrême droite de ces discours est par nature malhonnête car elle omet délibérément le contexte d’énonciation des désaccords qui animent les discussions des militant.e.s progressistes. Ainsi est-il au moins aussi malhonnête de considérer que cette récupération, si elle a lieu, dit quelque chose de l’un de ces discours progressistes, de leur caractère potentiellement réactionnaire ; d’où qu’il vienne. Voilà un piège dans lequel nous nous efforçons de ne pas tomber. Parce que nous nous efforçons d’être honnêtes malgré nos désaccords.

Ajari disqualifie l’analyse marxiste parce qu’il juge que les tentatives de « mélanger » la théorie marxiste avec l’étude des phénomènes racistes, en ce qui concerne précisément « la question noire », n’a jamais vraiment fonctionné (Xelka, 2025 a.). Cette idée peut surprendre, quand on sait comment les révolutionnaires racisé.e.s ont repris pour leur propre compte l’analyse marxiste afin de défendre leur position sociale et politique dans un monde capitaliste réuni autour d’un pacte racial – raciste. Ceci est vrai pour la plupart des mouvements de résistance face à l’impérialisme capitaliste au vingtième siècle, mais cela vaut également pour des mouvements plus récents.
En 2009, la Guadeloupe, colonie française, a connu un mouvement social d’ampleur : la grève générale du LKP45, qui dura quarante-quatre jours. Cette grève générale, à l’initiative de syndicats, partis politiques, et aussi militant.e.s du milieu associatif, a permis l’obtention d’un certain nombre de droits réels revendiqués par le LKP. Alors certes, le mouvement n’a pas conduit à une révolution, puisqu’il va de soi que les forces en présence étaient particulièrement déséquilibrées, mais l’Etat colonial et capitaliste français a reculé face à un mouvement social de masse mené par des groupements indépendantistes et marxistes. Dans son ouvrage LKP. Ce que nous sommes !46, qui retranscrit les prises de parole des principaux chefs de file du mouvement lors d’un colloque organisé à l’Université des Antilles en 2010, Philippe Verdol offre des éclaircissements remarquables au sujet de la ligne idéologique du LKP. Rosan Mounien, qui a occupé la place de secrétaire général de l’UGTG, principal syndicat indépendantiste et révolutionnaire guadeloupéen, l’admet volontiers : « dans le LKP, il y a des marxistes » (in Verdol, 2010, p. 122). Verdol, quant à lui, insiste sur « l’importance de la lutte des classes » (id.) comme motrice de la lutte révolutionnaire. Le même Verdol, dans Déshumanisation et surexploitation néocoloniales reprend les catégories marxistes d’exploitation pour expliquer les phénomènes de surexploitation dont sont victimes les Antillais47. L’Antillais est, selon Verdol, un « citoyen de seconde zone » :

Dans la Néo-colonie, deux sous-régimes coexistent : une citoyenneté de première zone – celle du Colonisateur – et une citoyenneté de seconde zone – celle du Colonisé. Même en Guadeloupe et a fortiori en métropole parmi les autres immigrés, les Guadeloupéens sont majoritairement des citoyens de seconde zone, discriminés par ce qui peut être qualifié de néo-racisme (2012, p. 205).

La surexploitation néocoloniale s’explique, d’après Verdol, par le racisme. Et le racisme, lui, s’explique par la situation coloniale. Ce racisme s’étend au-delà des frontières antillaises et vaut pour tout citoyen antillais, discriminé parce que noir, parce que non blanc. Or, toujours d’après Verdol, ces discriminations raciales, cette domination fondée sur la race perçue, demeurent étroitement liées à la logique de surexploitation coloniale ; c’est-à-dire à la logique d’accumulation de capital. Cet attachement au marxisme n’empêche pas du tout les militant.e.s antillais.e.s d’avoir une forte conscience de race, qui les engage très directement dans la lutte anticoloniale, comme en témoignent leurs engagements nombreux, aussi bien sur le plan matériel qu’intellectuel au service de ce combat résolu48. Philippe Verdol est maître de conférences à l’université, mais il est aussi un militant de terrain qui a toujours eu le souci des luttes concrètes afin de défendre les colonisés aux Antilles. Il est l’un des intellectuels organiques des mouvements indépendantistes antillais. Toute sa production intellectuelle est liée à son engagement militant concret. Et son militantisme ne se réduit pas à la production de livres, d’articles, de théories. La théorie est toujours au service de la pratique, et jamais d’elle-même. C’est pourquoi son travail intellectuel ne donne jamais lieu à la production d’une inflation théorique gratuite. Les militant.e.s politiques progressistes, noir.e.s, racisé.e.s, blanc.he.s, ont toujours d’abord en vue les transformations concrètes de la société concrète. La théorie est pour iels un instrument, et non une fin en soi.

Au-delà du marxisme, Ajari cible aussi, de temps en temps, les théories féministes. Il juge que les théories féministes blanches ne sont pas transposables au cas spécifique des personnes noires, et que certaines théories féministes noires (comme celles de Bell Hooks) doit inspirer la méfiance parce qu’elles sont aisément récupérables par les féministes blanches. C’est peut-être vrai. Toutefois, aussi bien quand un blanc attaque frontalement des éléments théoriques d’intellectuel.le.s racisé.e.s en vue de ridiculiser leurs luttes concrètes, la prudence est de mise quand un homme s’en prend aux théories féministes et à leur interprétation de ces mêmes luttes. Il est parfaitement possible d’être à la fois dominé en tant que personne noire, et dominant en tant qu’homme, que bourgeois, que professeur à l’université. Les blancs, bien qu’ils aient de l’avance dans tous ces domaines, n’ont pas le monopole de la production de mépris de classe et de mépris de genre.

Reste que, selon Ajari, les structures patriarcales ne se reproduisent pas à l’identique dans les familles noires, telles qu’elles existent dans les familles blanches. N’étant pas spécialiste de la question, je ne discuterai pas le fond du problème, mais uniquement la pertinence des arguments d’Ajari sur leur plan formel. Face à la charge selon laquelle le mouvement des Black Panthers reproduirait la logique patriarcale, Ajari se défend :

Pourquoi est-ce qu’il n’y avait pas plus de femmes qui étaient leaders de premier plan, même si elles avaient parfois la supériorité intellectuelle, en tout cas elles avaient des qualités exceptionnelles ? Eh bien voyez comme tous les membres principaux du Black Panther Party ont fini. Alors vous pouvez me dire que c’est, comment dire, patriarcal, c’est machiste de considérer les choses comme ça. Mais il se trouve que les hommes étaient en avant parce qu’il y avait véritablement un danger de mort par rapport au FBI. Et c’est eux qui se sont faits buter. C’est-à-dire que si c’était les femmes, ça serait elles qui se seraient faites buter ; c’est-à-dire que c’était pas un privilège à l’époque d’être dans une lutte a même fini avec l’armée révolutionnaire noire. Ce n’est pas un privilège d’être à la tête d’une guérilla […] Être le porte-voix d’un mouvement comme ça, où vous savez que vous êtes en danger de mort permanent, ce n’est pas un privilège masculin (Xelka, 2025 a.).

On croirait entendre l’argument réactionnaire, qui a souvent cours chez les influenceurs masculinistes : « ce n’est pas un privilège pour les hommes de faire la guerre ». Notez que cet argument est extensible aux hommes blancs, et que par conséquent il n’est pas la démonstration de la spécificité des relations hommes-femmes entre personnes noires. Prenons toutefois un instant, pour revenir à l’argument. L’absence des femmes dans des rôles de premiers plans au Black Panther Party n’est pas l’exemplification du patriarcat qui structure les relations femmes-hommes chez les personnes noires parce que les personnes qui occupent un rôle de premier plan dans ce mouvement sont en danger de mort. Inutile d’avancer de longs développements pour remarquer que cet argument est spécieux.
Enfin, et il faudra clore ici le propos, Ajari insiste, dans son entretien pour À gauche, sur le caractère vain du débat autour de l’épistémologie marxiste. Ajari insiste, y revient plusieurs fois. Le marxisme, pour lui, n’est pas une épistémologie mais une philosophie de l’histoire. Ainsi une philosophie de l’histoire ne serait-elle pas en elle-même une manière de connaître le monde, ni de se questionner sur comment nous connaissons la réalité. Il pourrait donc exister une philosophie qui s’énonce sans aucun cadre d’énonciation, sans aucune catégorie, sans aucune hypothèse, à partir desquelles cette philosophie appréhenderait son objet. Il s’agirait d’ailleurs d’une philosophie sans objet, puisque la catégorie d’objet présuppose déjà que la philosophie en question puisse se pourvoir d’un objet. En bref, il ne s’agirait pas d’une philosophie, parce qu’une telle philosophie ne pourrait pas être énoncée – en dehors, peut-être, d’un cadavre exquis ; et encore, rien n’est moins sûr, car le jeu du cadavre exquis présuppose déjà certaines règles d’énonciation, certaines hypothèses, qui envisagent notamment qu’il est possible par ce jeu de connaître les phénomènes de l’activité de l’inconscient.

Conclusion

Les discussions animées autour de la question de l’épistémologie marxiste, et de sa contestation, sont fondées, au moins en partie, sur l’inadéquation entre les approches marxistes et les approches décoloniales. La pensée de Norman Ajari se situe dans une zone grise. Il est difficile de le positionner, de le rattacher à un courant intellectuel bien identifié. Il se revendique tantôt de l’afro-pessimisme, de la tradition radicale noire, de la pensée décoloniale, des idées de Fanon, de Marx, parfois de celles de Hegel. Il pioche çà et là ce qui lui semble utile à ses propres édifices théoriques, sans nécessairement se soucier de la cohérence réciproque des différentes approches qu’il mobilise. « Mes idées changent sans cesse, dit-il […], même d’une interview à l’autre » (À gauche, op.cit.). La source du malentendu réside peut-être ici. Ajari, pour développer ses idées, ne se fonde sur aucun cadre théorique prédéfini. En s’affranchissant de cette exigence, il s’affranchit aussi de la nécessité de la cohérence.

Le « pessimisme », la « fin du monde », sont autant de notions séduisantes et romantiques, quand bien même il serait difficile de percevoir leur efficacité politique, que mobilise Ajari au cours de ses ouvrages et de ses entretiens. Ajari a son Marx, son Fanon, son approche. C’est pourquoi, en un sens, il est insaisissable. C’est pourquoi il n’a jamais tort.

Nous avons essayé de montrer ici les limites de l’approche d’Ajari, et le genre d’impasses vers lesquelles elle peut conduire. Les désaccords portent d’abord sur le problème de l’épistémologie marxiste, dont le sacrifice se justifie, chez Ajari, par la nécessité, pour lui, de combler les angles morts du marxisme à partir d’une extériorité théorique. Ce qui rend nécessaire l’intervention de cette extériorité n’est jamais véritablement justifié. L’argument qui ressort, en dernière instance, est bien connu : le marxisme est un courant philosophique européocentré, et donc structurellement raciste. Malgré les limites logiques, nombreuses, de cette thèse, malgré ses contradictions empiriques, Ajari semble s’y accrocher. Pourquoi ? Nous y revenons : parce qu’il en a besoin pour justifier la nécessité d’une critique du marxisme de l’extérieur. Oui, on tourne en rond.

Les angles morts du marxisme ont pourtant été comblés par le passé, et continuent à l’être aujourd’hui encore, à partir d’une critique matérialiste dialectique, laquelle n’est pas toujours européocentrée. Bien sûr, on voit venir l’objection : même si cette critique est le fait de militant.e.s ou intellectuel.le.s racisé.e.s, ces personnes s’enferment elles-mêmes, qu’elles le veuillent ou non, dans une perspective européocentrée, etc. Il est toutefois risqué de pousser jusqu’à ce stade le raisonnement, puisque cela peut revenir, concrètement, à ce qu’un professeur d’université en vienne à donner des leçons de militantisme à des personnes, des travailleuses et travailleurs, qui consacrent une partie importante de leur existence à des causes militantes concrètes. Pas sûr, au fond, qu’Ajari aille jusque-là.
L’introduction de la notion de désir, de celle d’économie libidinale, là encore, est séduisante sur le plan intellectuel. Ces notions, articulées à d’autres, déjà ancrées dans la tradition de la philosophie politique, donnent lieu à un jeu intellectuel plaisant, à la construction d’édifices d’idées attractifs, qu’on peut avoir envie d’explorer. Mais quelle est leur puissance effective ? Ajari lui-même semble le reconnaître dans son second entretien avec Wissam Xelka : « l’importance du désir dans l’histoire de l’esclavagisme, dans l’histoire de la négrophobie, est un bon argument explicatif, c’est un bon argument descriptif ». En philosophie de la connaissance, on ne met pas sur le même plan description et explication. Une description suppose un simple rapport empirique à l’objet. Une explication, elle, suppose la mise en lumière de rapports de causalité. En ce sens l’explication théorique est-elle assez proche de la prédiction – si les conditions empiriques permettent de fournir une observation capable de tester l’explication49. Si la notion de désir permet d’expliquer, au sens où elle permet seulement de décrire des comportements singuliers, des événements historiques a posteriori, elle n’a malheureusement aucune puissance prédictive dans le cadre de la philosophie politique ou, si l’on juge que parler de « philosophie » est trop européocentré, dans le cadre de la théorie politique. Supposer qu’il est possible de prédire, au sens d’une prédiction théorique, les événements de l’histoire sociale à partir du désir revient à postuler la capacité de connaître a priori les mouvements de la psyché humaine. Mais ni la science, ni la philosophie, ne sont de la psychohistoire. Et la psychohistoire n’est pas révolutionnaire.

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  1. Ajari, N. (2019). La dignité ou la mort, Éditions La Découverte. Nous utilisons la version numérique pour la pagination.
    ↩︎
  2. Fanon, F. (1961). Les damnés de la terre, Éditions La Découverte, 2002. ↩︎
  3. Référence évidente à l’ouvrage du jeune Marx, K. (1843). Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel, trad. Victor Béguin, Alix Bouffard, Paul Guerpillon et Florian Nicodème, Editions Sociales, 2018. ↩︎
  4. Xelka, W. (2025 b.). « Les théories radicales noires et techno-fascisme – Norman Ajari, Deuxième Round – Talkie-Wiwi », 30 avril 2025, url : https://www.youtube.com/watch?v=6h1SYSX0yG4&ab_channel=WissamXelka. ↩︎
  5. Pour qui s’intéresse à ces questions et est surpris par cette évidence, il suffit de lire le classique de Thomas Kuhn, La structure des révolutions scientifiques (1962, trad. Laure Meyer, Flammarion, Champs Sciences, 2008) pour s’en convaincre. Des paradigmes différents reposent sur des hypothèses différentes, souvent contradictoires avec celles d’autres paradigmes, et mobilisent des représentations spécifiques à leur contexte d’énonciation. ↩︎
  6. La précision est faite ici car les traditions décoloniales se sont déployées très différemment en France et sur le continent américain. La tradition des pensées décoloniales américaines est d’abord un mouvement d’intellectuels, d’universitaires, tandis que la tradition française est plutôt née dans la lutte concrète, notamment à travers la création et les actions du PIR (Parti Indigène de la République) ; et ensuite par la récupération de certains concepts décoloniaux par les intellectuels organiques du mouvement décolonial français – dont la figure la plus connue est sans doute Houria Bouteldja, qui reprend aux pensées décoloniales, dans Beaufs et Barbares (2023, La Fabrique Éditions), leur lecture historique ainsi qu’une partie de leurs catégories. Cette idée d’une distinction entre deux traditions décoloniales est également soutenue par Ajari (2019, p. 11). ↩︎
  7. Mignolo, W. (1998). La désobéissance épistémique. Rhétorique de la modernité, logique de la colonialité et grammaire de la décolonialité, trad. Yasmine Jouhari et Marc Maesschalck, Bruxelles, P.I.E. Peter Lang, 2015, p. 27. ↩︎
  8. Quijano, A. (1992). Colonialidad y Modernidad/Racionalidad. Perú Indígena, 13(29), pp. 11-20, p. 19. ↩︎
  9. Colin, P. & Quiroz, L. (2023). Pensées décoloniales. Zones, p. 139. ↩︎
  10. Je reprends ici l’approche que j’avais développée dans mon article « Une analyse décoloniale et matérialiste des politiques de développement à travers la lecture de Tran Duc Thao » (Lasserre, D. (2024), Études caribéennes, 59, pp. 1-18, p. 2. ↩︎
  11. Dussel, E. (1999). « Más allá de eurocentrismo : el systemo-mundo y los límites de la modernidad. » In Castro-Gomez, S., Guardiola-Rivera, O. & Millán de Benavides, C. (dir.), Pensar (en) los intersticios. Teoría y práctica de la crítica postcolonial. CEJA, pp. 148-149. ↩︎
  12. Grosfoguel, R. (2007). « Descolonizado los universalismos occidentales : el pluriversamo transmoderno decolonial desde Aimé Césaire y los zapatistas ». In Castro-Gómez, S. & Grosfoguel, R. (dir.), El giro decolonial, Siglo del Hombre Editores. ↩︎
  13. Dussel, E. (1992). L’occultation de l’autre, trad. Christian Rudel. Éditions ouvrières. ↩︎
  14. Glissant, E. (1981). Le discours antillais, Gallimard, pp. 172-173. ↩︎
  15. Grosfoguel, R. (2006). « Les implications des altérités épistémiques dans la redéfinition du capitalisme global »,  Multitudes, 26(3), pp. 51-74, trad. Anouk Devillé et Anne Vereecken, p. 53. ↩︎
  16. Castro-Gomez, S. (2005). La hybris del punto cero. Editorial Puntificia Universidad Javeriana. ↩︎
  17. Goldmann, L. (1967). « Le sujet de la création culturelle », L’homme et la société, 6, pp. 3-15, p. 8 sq. ↩︎
  18. Ajari, N. (2024). Le Manifeste afro-décolonial. Le rêve oublié de la politique radicale noire, Éditions du Seuil. ↩︎
  19. Rodney, W. (1968). Congrès des écrivains noirs de Montréal. ↩︎
  20. Xelka, W. (2025 a.). « Négrophobie et Afro-pessimisme – Avec Norman Ajari – Talkie-Wiwi », 30 avril 2025, url : https://www.youtube.com/watch?v=VW43QMeKV4Y&t=415s&ab_channel=WissamXelka ↩︎
  21. Marx, K. et Engels, F. (1848). Manifeste du parti communiste, trad. Laura Lafargue, Bureau d’Éditions, 1938, p. 25. ↩︎
  22. Marx, K. (1875). Critique du programme de Gotha, § 5, cité in Lénine, V. I. (1917). L’Etat et la révolution, trad. issue des Œuvres de V. I. Lénine, tome 25, Editions Sociales, Paris-Moscou, 1971, Editions Science Marxiste, 2020, p. 112. ↩︎
  23. On peut y lire, par exemple : « C’est seulement lorsque le peuple dispose d’un tel Etat qu’il peut, par des méthodes démocratiques, s’éduquer et se réformer à l’échelle nationale et, avec la participation de tous, se débarrasser de l’influence des réactionnaires de l’intérieur et de l’étranger (influence très grande encore à l’heure actuelle, qui subsistera longtemps et ne pourra pas être détruite rapidement), rejeter les habitudes et idées néfastes acquises dans l’ancienne société, éviter de se laisser entraîner dans une fausse direction par les réactionnaires et continuer à avancer vers la société socialiste et la société communiste » (1964, « De la dictature démocratique populaire », 30 juin 1949, pp. 275-276). Outre ce passage, qui questionne la refonte idéologique de la société, c’est le Livre rouge entier qui échafaude un projet politique communiste concret. ↩︎
  24. Friot, B. et Lordon, F. (2021). En travail. Conversations sur le communisme, La Dispute. ↩︎
  25. Friot, B. (2024). « Des îlots de « Déjà-là communistes ». Entretien avec Bernard Friot », Mouais, 26 mars 2024. ↩︎
  26. Dans son article paru chez Contretemps, « Rêver ensemble, pour un patriotisme internationaliste » (2025), Houria Boureldja, en miroir, réduit le marxisme, et notamment le projet léniniste, à une « utopie ». Cette lecture est, autant que l’est celle d’Ajari, très éloignée de la manière dont le marxisme considère les expériences politiques de transformations sociales. ↩︎
  27. Fanon, F. (1952). Peau noire, masques blancs, Éditions du Seuil, p. 124. ↩︎
  28. Je souligne. ↩︎
  29. Lukács, G. (1923). Histoire et conscience de classe, trad. Kostas Axelos et Jacqueline Bois, Les Éditions de Minuit, 1960, p. 62. ↩︎
  30. Ajari, N. (2025). « Norman Ajari (Marxisme, Fanon, panafricanisme) – Face à À gauche – Épisode 47 », À gauche, 26 mai 2025, url : https://www.youtube.com/watch?v=pzu6ltwBW1M&ab_channel=%C3%80gauche. ↩︎
  31. Voir Kierkegaard, S. (1841). Œuvres complètes. Tome II. Le concept d’ironie constamment rapporté à Socrate. Confession publique. Johannes Climacus ou De omnibus dubitandum est, trad. Paul-Henri Tisseau et Else-Marie Jacquet-Tisseau, Éditions de l’Orante, 1975. ↩︎
  32. Mémorial de l’abolition de l’esclavage. « La traite atlantique et l’esclavage colonial », url : https://memorial.nantes.fr/la-traite-atlantique-et-l-esclavage-colonial/#:~:text=R%C3%A9duits%20en%20esclavage%2C%20ils%20travaillent,Europe%20pour%20y%20%C3%AAtre%20vendues. ↩︎
  33. Cottias, M. (2019). « Esclavage – Les idées reçues sur l’esclavage », in Jean-François Marmion (dir.), Histoire Universelle de la connerie, Sciences Humaines Éditions, pp. 195-206, p. 205. ↩︎
  34. Nkrumah, K. (1958). Speech by the Prime Minister of Ghana at the opening session of the All-African People’s Conference, 8 décembre 1958, url : https://www.columbia.edu/itc/history/mann/w3005/nkrumba.html. Nkrumah tient lui-même ce concept, selon Ajari, du militant jamaïcain Marcus Garvey, auteur du poème Hail ! United States of Africa (1924, url : https://aaregistry.org/poem/hail-united-states-of-africa-by-marcus-garvey/). ↩︎
  35. Nkrumah, K. (1963). Speech to the Organization of African Unity (OAU) in Adis Ababa, 24 mai 1963, url : http://www.professorcampbell.org/sources/nkrumah.html. ↩︎
  36. « Norman Ajari : Afropessimisme, fin du monde et communisme noir », Lundi Matin, 17 janvier 2022. ↩︎
  37. C’est un détail, mais Ajari reprend une traduction ancienne du Capital, mise à jour depuis. ↩︎
  38. Marx, K. (1867). Le Capital, Livre 1, trad. Jean-Pierre Lefebvre, Éditions sociales, 2022. ↩︎
  39. « La méthode Karl Marx – avec Antoine Vatan – Série Le Capital de Marx (2/5) », Café marxiste, 22 mars 2025. ↩︎
  40. Vastey, Baron de (1814). Le système colonial dévoilé, Cap-Henry, P. Roux. ↩︎
  41. Carrière, J-C. (1992). La controverse de Valladolid, Le Pré aux clercs, p. 102. ↩︎
  42. Arendt, H. (1963). Eichmann à Jérusalem : Rapport sur la banalité du mal, trad. Anne Guérin, Gallimard, 1991. ↩︎
  43. Tran Duc Thao (1947). « Les relations franco-vietnamiennes », Les temps modernes18, pp. 1053-1067, p. 1055. ↩︎
  44. J’insiste sur ce point, car certain.e.s ont voulu faire dire cela à Ajari. Il y revient d’ailleurs dans l’entretien qu’il accorde à la chaîne À gauche (op.cit.). Une écoute un minimum honnête de son propos chez Wissam Xelka (2025 a.) suffit à comprendre qu’il ne commet pas une confusion aussi grossière. Et la charité intellectuelle minimale qui est due à un intellectuel de son rang exige qu’on ne lui prête pas a priori une position aussi ridicule. ↩︎
  45. Acronyme pour Liyannaj Kont Pwofitasyon – en français Collectif contre la surexploitation. ↩︎
  46. Verdol, P. (2010). LKP. Ce que nous sommes !, Éditions Méniabuc. ↩︎
  47. Verdol P. (2012). Déshumanisation et surexploitation néocoloniales, Démounaj et pwofitasyon dans la Guadeloupe contemporaine, L’Harmattan, Pensée Africaine. ↩︎
  48. Pour exemple, le débat virulent qui opposa, en 2015, l’historien Jean-François Niort au militant Danik Zandwonis à la suite de la publication d’un ouvrage universitaire qui minimisait la violence raciste et colonialiste du Code Noir (Le Code Noir – Idées reçues sur un texte symbolique, Cavalier Bleu, 2015). Zandwonis avait publié une lettre en réponse, dans laquelle il rappelait que « nous [les Antillais] sommes dans un pays ENCORE sous domination coloniale, que tu [Niort] es un BLANC EN FRANCE, et que du côté des militants et patriotes TOUT est vu, perçu et analysé selon cette grille, qui n’est pas la tienne » (Zandwonis, D. (2015). « Lettre de Danik I Zandwonis à Jean-François Niort », Creoleways, 3 avril 2015). Être marxiste n’entre ainsi pas en contradiction avec le fait d’être indépendantiste et de donner la priorité à la lutte contre la domination coloniale raciste. ↩︎
  49. Nous n’allons pas ici entrer dans de longues discussions au sujet de la philosophie des sciences. Je renvoie à la lecture du premier chapitre de l’ouvrage de Blaug, Méthodologie économique, qui aborde cette question – entre autres nombreux philosophes qui la traitent, bien entendu (1992, trad. Alain Alcouffe et Christiane Alcouffe, Economica, Deuxième Edition). ↩︎


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