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De Gaza à Nouméa : l'arc colonial se tend
Entre Gaza et Nouméa séparés par un continent et des spécificités uniques, un continuum s'étire : l'arc colonial. Celui-ci est en train de se briser et, dans cette crise qui ne vient plus mais qui est chaque jour un peu plus intense, il tire ses dernières flèches.
Par N. Publié in #POSITIONS le 29 mai 2024 7 min de lecture
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De Gaza à Nouméa : l’arc colonial se tend

Depuis le 7 octobre, les journalistes du monde entier ont découvert Gaza, petite langue de terre de 355 km2 sur laquelle essayent de survivre 2.3 millions d’habitants.

Depuis le 13 mai, les journalistes français ont découvert la Nouvelle Calédonie, l’un des 17 territoires non autonomes du monde selon l’ONU.

Entre ces deux espaces géographiques séparés par un continent et des spécificités uniques, un continuum s’étire néanmoins : l’arc colonial.

Nous entendons par arc colonial, la situation commune de dépossession de sa terre, de ses droits et de sa parole auxquelles des populations indigènes sont contraintes par la force et qui est sans cesse légitimée et justifiée médiatiquement et politiquement. Justification qui n’est pas que le fait de l’État occupant mais aussi d’autres États colonisateurs ou ex colonisateurs qui rendent sciemment impuissant le droit international et ses principales institutions.

De Gaza à Nouméa cet arc colonial se retrouve tendu à l’extrême ces derniers mois. Les situations coloniales se révèlent dans toute leur violence : Israël génocide la population palestinienne aussi bien à Gaza qu’en Cisjordanie, profitant de l’attaque du Hamas pour réaliser un projet mis en place depuis 1948 et qui s’accélère opportunément ; Nouméa brûle du feu d’injustices alimenté depuis plus de 150 ans par l’État colonial français et ravivé par la loi de dégel du corps électoral visant à spolier définitivement le peuple kanak de sa terre et de ses prétentions à la gouverner.

A travers ces deux exemples singuliers nous voyons combien le rapport colonial demeure extrêmement vivace dans nos sociétés. Le discours dominant sur Gaza ou sur la Kanaky est celui des classes dominantes. Ces dernières sont structurées aussi bien par une position de classe qu’une position de race, et celle-ci sont deux aspects d’une même domination qui leur permettent aussi bien de légitimer le passage de la retraite à 64 ans, une énième réforme du chômage ou le génocide à Gaza et la constitution de milices en Kanaky. Le sous-bassement de ce positionnement vise à effacer les rapports coloniaux contestés par les colonisés et justifier la position dominante des colons : la légitime défense d’Israël ou celle des blancs en Nouvelle-Calédonie. Les classes dominantes cherchent systématiquement à invisibiliser les rapports sociaux qu’elles imposent par leur domination : le patron n’exploite pas l’employé, il lui offre un travail ; le colon n’exploite pas le colonisé, il met en valeur son territoire selon sa propre définition de ce qui constitue une valeur. La bourgeoisie est donc prompte à prendre la défense du colon, même lorsque ces deux positions ne se croisent pas, parce que le sous-bassement de l’un est celui de l’autre : l’exploitation. Si la colonisation israélienne a pour spécificité de s’être faite à la fois pour des motifs nationalistes et religieux et pour déculpabiliser l’Occident des atrocités de la Seconde Guerre mondiale, il n’empêche qu’elle repose sur des mécanismes similaires à celle subie par le peuple kanak en Kanaky : spoliation, infériorisation et déshumanisation (”animaux” palestiniens ou ”chair de violence” kanak), répression féroce et systématique, inégalité systémique dans l’usage des droits (formelle en Israël, plus maquillée en Kanaky : propriété économique, accès à l’emploi, ségrégation spatiale, etc.).

Néanmoins, et malgré le battage médiatique et politique quasi unanime en faveur du maintien de ces situations coloniales, le consensus colonial est en train de s’étioler au sein même des populations occidentales. Son invisibilisation a permis longtemps d’éviter de se positionner sur sa prolongation tacite ou non (”oh je comprends rien à ce qu’il se passe au Moyen-Orient” ou ”la Nouvelle calédoquoi?”).

Aujourd’hui, nous assistons à une montée en radicalisation, principalement sur la question palestinienne mais nous gageons que cela aura aussi une incidence sur la question kanak à court terme, un peu partout en Occident au sein de populations ayant héritées d’une position dominante dans la distribution internationale des richesses. Occupations d’universités, de gares, manifestations monstres, pétitions, interruptions de meetings, bandeau de soutien lors d’émissions télévisées, etc. Cette radicalisation mériterait une étude plus approfondie mais nous émettons l’hypothèse qu’il y a un marqueur générationnel à poser : les nouvelles générations n’appartenant pas à la bourgeoisie et n’étant pas originaire de ces territoires colonisés n’ont plus aucun bénéfice matériel au maintien des situations coloniales. De fait, elles adhérent davantage à une conception égalitaire des rapports sociaux, d’autant plus quand ceux-ci sont éloignés de leur territoire – là où le discours inégalitaire et raciste du RN a toujours un ancrage puissant. La passivité coupable et intéressée des gouvernements leur apparaît dans toute l’ignominie qui est la leur ; si cette ignominie vient se confronter aux valeurs des sociétés civiles qui la rejettent plus sur un plan moral que politique (rejet du système d’exploitation colonial), elle participe de leur montée en conscience politique.

Cette montée en conscience a été saisie très précocement par une seule force politique en France : la France insoumise. Sa capacité à saisir la situation et à occuper et tenir une position minoritaire et extrêmement risquée médiatiquement tient probablement de l’avance qu’à la FI sur sa critique du système d’exploitation capitaliste – ce qui lui permet de rejeter le colonialisme comme une autre forme d’exploitation. Là où les autres forces politiques de gauche sont promptes à se déclarer antiracistes sur un plan discursif, elles sont véritablement incapable de matérialiser cette position morale politiquement. Ainsi sont-elles doublement coupables : pour n’avoir pas été capables, à partir du 7 octobre (il y avait-il une question palestinienne auparavant ?), de recontextualiser l’attaque du Hamas tout en la condamnant et pour avoir cherché par opportunisme à détruire la France insoumise en même temps que l’État répressif l’accusait d’apologie du terrorisme.

Cette position politique désastreuse ne sera pas oubliée et réduira plus encore l’espace politique dans lequel elles se vautrent à celui des classes intermédiaires supérieures et à la bourgeoisie encore vaguement sensible à la social-démocratie. Cela pèse peu électoralement, 6-8%, mais énormément historiquement. Aussi bien EELV, le PCF que le PS ont choisi d’apposer sur le fronton de leur caveau le masque blanc du colon et du bourgeois. N’attendons pas l’histoire pour les juger et, dès le 9 juin, hâtons leur disparition de la gauche et leur reconfiguration petite bourgeoise sur une ligne macroniste que l’ex sarkozyste Glucksmann rêve d’incarner – ou sur un pré carré nostalgique à rebours de l’histoire au présent mais confis dans celle au passé pour le PCF.

L’arc colonial est en train de se briser et, dans cette crise qui ne vient plus mais qui est chaque jour un peu plus intense, il tire ses dernières flèches. Tout comme la résistance palestinienne sortira plus forte et légitime que jamais de ce génocide, le peuple kanak verra son rêve d’une Kanaky indépendante advenir. De Gaza à Nouméa, le système colonial est condamné à mourir. Nous devons, sans cesse, poursuivre la lutte pour l’abattre comme nous devons abattre tous les systèmes d’exploitation qui visent à assujettir une partie de l’humanité sous la botte d’une autre.

Mort au colonialisme !

Mort au capitalisme !

Palestine et Kanaky vivront !


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