Unir les leurs, briser les nôtres
Suite à la décision du ministre Attal, force est de constater que la gauche bégaye. Certains trahissent vigoureusement (Roussel), d’autres trahissent en chuchotant (Binet), d’autres évacuent la question sous le vocable « diversion ».
Plutôt qu’une diversion, terme peu politique, j’ai vu un militant CGT[1] parler de « division » et ce vocable me paraît déjà plus juste. Mais pire que ça, je pense que nous devons parler de réunion.
La politique c’est aussi unir les siens et diviser les autres. Cette mesure raciste n’est pas une diversion. Elle a pour effet politique de réunir la droite et de diviser la gauche à partir du racisme.
Diviser la gauche parce que cette dernière doit allier trois classes différentes : les quartiers pauvres dont les habitants sont visés implicitement par cette mesure mais aussi les campagnes et les intellectuels petits bourgeois qui eux n’ont rien a priori contre cette mesure. Une alliance contient toujours ses contradictions.
Le problème étant que nous n’avons pas tenté de résoudre cette dernière. On a laissé couler en disant simplement et lâchement « diversion ». Je pense qu’on avait surtout peur de nos contradictions internes.
Mais ce racisme ne se contente pas de nous diviser, il unit la droite. Divisés sur les retraites, le RN, LREM et LR vont enfin pouvoir se réconcilier sur la construction de l’ennemi intérieur. Nous n’avons plus 3 blocs mais 2 blocs divisés eux même en deux. Une gauche antiraciste et une gauche qui n’est pas antiraciste qui vont s’opposer à une droite prétendument sociale (RN) et une droite qui s’assume capitaliste (LREM). La gauche s’unit donc sur le social quand la droite s’unit sur le racisme. Le moment retraite a unit la gauche, le moment racisme réunira la droite. La mesure d’Attal sur l’abaya n’est pas une « diversion » mais un mariage entre le RN et LREM.
Prenons pour exemple la classe enseignante à laquelle est adressée cette mesure. Depuis combien de temps le ministère de l’éducation n’avait-il pas fait une mesure aussi appréciée des enseignants ? Binet n’invente pas ce racisme, elle le représente. Les enseignants de classe moyenne et parfois même des bourgeois, se fichent du racisme de la mesure, souvent ils le partagent mais ce qu’ils veulent c’est surtout de la clarté. Les enseignants de gauche se retrouvent donc à être les ennemis de futures travailleuses et de filles de prolétaires qu’ils ne perçoivent que comme des intégristes prosélytes ou comme des provocatrices. Les enseignants de droite peuvent enfin s’assumer de nouveau, eux qui devaient se promener tête baissée lors de la réforme des retraites. Certains enseignants ne partagent pas ce racisme bien sûr mais ils ne pèsent rien, le seul syndicat exprimant cette position c’est SUD.
Il faut donc prendre ce problème comme un défi qui va revenir régulièrement. L’union de la droite vit de ce racisme et nous devons nous armer face à ce dernier. Comment ? Pas en disant « diversion » dès que la polémique apparaît. Il faut unir la gauche sur cette question.
D’abord l’honnêteté intellectuelle nous invite à ne pas mentir sur ce qu’est la laïcité. La laïcité n’est pas censée être une chasse aux musulmans ! Que cette gauche bourgeoise si prompte à trahir nous trouve un seul article de 1905 justifiant ce qui se passe actuellement. Cela n’existe pas. Elle s’appuiera donc sur la loi de 2004, sur une laïcité théorisée par le parti LR[2] (Baroin), connu pour son amour de la laïcité et du matérialisme dialectique. Elle ne parle plus des 7300 écoles privées catholiques[3] financées en partie par l’Etat.
Revenons aux fondamentaux[4]. Aristide Briand en 1905, s’opposait à Charles Chabert quand ce dernier voulait interdire au nom de la laïcité des vêtements ecclésiastiques. Voici trois arguments qu’il est bon de se remémorer : un Etat qui définit lui-même ce qu’est le vêtement ecclésiastique ne respecte pas la laïcité (séparation des Eglises et de l’Etat, liberté de conscience), cela produira une conflictualité inutile, cela n’empêchera pas le religieux de montrer son appartenance à partir d’un nouveau vêtement, ce qui mènera à un nouveau conflit[5].
Il est donc mensonger et lâche d’invoquer la laïcité pour faire nos sales besognes racistes. Mais parlons stratégie. Peut-il exister une gauche sans prolétaires pour la porter ? Non. Or, ce racisme vise le prolétariat des quartiers pauvres du pays. Les classes existent, il suffit de voir un HLM pour le savoir. Il faut donc que la gauche parte de cette classe, même si actuellement cette dernière est paradoxalement minoritaire dans les votes et les sondages. Minoritaire car elle s’abstient et parfois n’a pas le droit de vote (2,7M de travailleurs sans papiers[6]) et minoritaire car elle contient elle-même ses divisions internes.
Il faut donc unir sur l’antiracisme et cela demande un travail de longue haleine capable de rattraper des décennies de déni et même de complicité raciste. Cela implique un parti sérieux sur l’antiracisme, capable de produire autre chose que l’argument « diversion » lorsque la droite attaque. L’antiracisme doit devenir une deuxième peau du militant car il est la condition de la solidité de notre classe. Sinon on pourra diviser cette dernière à partir du moindre prétexte, du moindre quiproquo comme ce fut le cas il y a deux semaines avec l’affaire Médine.
La campagne de Mélenchon en 2022 jusqu’à aujourd’hui paraît être un essai encourageant dans ce domaine. Il ne se contente pas de dire « je m’en fous », il argumente contre et se positionne. Cela est un investissement sur l’avenir qui a d’abord un coût. Mélenchon subira les divisions actuelles de notre camp, il verra certains militants le fuir, il s’exposera à la moindre trahison. Mais il produira aussi une conscience de classe plus solide pour l’avenir car seul cet antiracisme pourra dépasser les contradictions qui caractérisent actuellement notre classe.
Cela est certes timide mais c’est inédit à gauche et c’est le premier pas d’un chemin qui sera long mais incontournable. Il est étonnant de voir des gauchistes ne pas le remarquer et ne pas s’inscrire dans ce rapport de force qui existe au sein de la gauche. Pour anéantir la gauche chauvine de Roussel, poison au sein de notre classe, il faut investir LFI malgré les défauts de ce parti, critiquable même sur l’antiracisme, mais que l’on doit juger comme on juge les premiers pas d’un enfant. Les solutions existent nous n’avons plus qu’à agir pour rendre solide et solidaire notre classe.
[1] https://twitter.com/YassineJioua/status/1697602031031140591
[2] https://www.voltairenet.org/rubrique506.html?lang=fr
[3] https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/06/09/ecole-hors-contrat-ou-a-la-maison-de-quoi-parle-t-on_4945162_4355770.html
[4] J’invite les militants à lire les ouvrages de Baubérot (historien et sociologue) sur le passage du vocable « laïcité » de la gauche à la droite.
« Le projet énoncé par Baroin se trouve réalisé bien au-delà de ce que ce dernier aurait lui-même pu prévoir. La « nouvelle laïcité » transforme la laïcité en marqueur culturel actuel d’une identité française séculaire : la laïcité positive se situe en étroite continuité avec l’action civilisatrice – et dominatrice – de la chrétienté : c’est une « catho-laïcité » ».
Extrait de La laïcité falsifiée.
[5] https://infos-ouvrieres.fr/2022/11/05/vetements-et-religions-la-mise-au-point-faite-par-aristide-briand-rapporteur-de-la-loi-de-1905/
[6] https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/interception/interception-du-dimanche-28-mai-2023-8327726