Philippe Aghion, prix Nobel de la bourgeoisie
« Certains intellectuels reprennent ainsi l’idée stalinienne – déjà présente dans la pensée de Lénine – qu’il n’y a pas de science neutre, que les assertions des scientifiques sont déterminées par leur condition sociale et par l’idéologie dominante qui façonnent leur manière de penser. »,
Pierre Cahuc et André Zylberberg, Le négationnisme économique.
Introduction : En deux mots, qui est Philippe Aghion ?
Philippe Aghion est le récent lauréat du « Nobel » d’économie. Les guillemets sont de rigueur car, en vérité, de Nobel d’économie, il n’y a pas. Il s’agit d’un prix, décerné par la Banque de Suède, « en mémoire d’Alfred Nobel ». C’est un fait bien connu, mais il est toujours bon de le rappeler. Le « Nobel » d’économie est décerné sous l’égide de banquiers. Toutefois, afin d’alléger le style, « Nobel » apparaîtra sans les guillemets à la suite de ce texte. Les lecteur.rice.s sont désormais averti.e.s.
Philippe Aghion, disions-nous, a été couronné de la plus prestigieuse récompense à l’intérieur de sa discipline. Ses pairs ont reconnu en lui, ainsi qu’en Peter Howitt et Joel Mokyr[1], des économistes de haute valeur ayant produit des recherches décisives. Ces chercheurs ont démontré le rôle actif de l’innovation dans la croissance économique. Philippe Aghion s’est inspiré des travaux de Schumpeter qui faisait de l’innovation une des clés de voûte de l’économie. Il reprend à son compte la notion schumpeterienne de « destruction créatrice » afin d’éclairer les mécanismes à l’œuvre dans la croissance économique. En s’inscrivant dans cette tradition somme toute très mainstream de la science économique, il proclame défendre des « idées iconoclastes sur l’économie »[2]. Les économistes rebelles aiment brûler leurs idoles, mais si possible en costume cravate, uniforme de la réussite sociale, et, surtout, sans allumer de feu. Philippe Aghion, un rebelle qui a son siège réservé à l’université de Harvard.
Arrêtons-nous un instant sur le motif de la récompense : la découverte d’un effet de l’innovation sur la croissance. Sacrée découverte ! Heureusement que la société a à disposition les économistes les plus brillants pour découvrir que l’innovation joue un rôle dans la croissance économique. Et heureusement, plus encore, qu’on a su créer des institutions pour couvrir de lauriers ces valeureux.ses scientifiques, capables de pareilles découvertes. En rester là serait cependant quelque peu de mauvaise foi – encore que… Les travaux d’Aghion ne se limitent pas à cette simple découverte. Il essaie d’articuler les données empiriques aux modèles de recherche dans le but d’expliquer les relations concrètes qui existent entre croissance et innovation. Aghion propose une alternative aux modèles néocolassiques, alors dominés par les thèses de Solow[3], qui présentent le capital comme un facteur qui suffit à auto-alimenter la croissance économique – car oui, c’est ainsi que pensent ces économistes. Et quand Solow envisage que l’innovation doit bien jouer un rôle dans la croissance, il ne sait expliquer ni comment, ni pourquoi. Aghion se propose d’expliquer ce phénomène, demeuré obscur chez Solow, de l’innovation (Aghion, op.cit.).
Une des premières raisons qu’il fournit aux échecs des modèles économiques pour expliquer le rôle de l’innovation dans la croissance est que ces modèles postulent que le profit des entreprises est nul. Cela peut étonner, mais ce genre d’hypothèses farfelues est courant en science économique. En ajustant ces modèles, il devient possible de rendre compte théoriquement de résultats obtenus empiriquement, résultats qui mettent en évidence une corrélation entre innovation et croissance.
Les présentations sont faites. On pourrait certes ajouter que Philippe Aghion a été conseiller d’Emmanuel Macron, mais nul besoin de l’accabler car, au bout du compte, il n’est pas responsable de l’échec cuisant de la politique économique menée par le président de la République. A tout le moins, on peut espérer que cet échec ne soit pas la conséquence directe de l’application des préconisations du tout récent Nobel d’économie. Ici il ne sera pas tant question de croissance, d’innovation, de capital, de modèles, que de vision du monde. A la place de « vision du monde », on pourrait dire qu’il sera question d’épistémologie. En fait, c’est parce qu’il est question d’épistémologie qu’il est question de vision du monde – et vice-versa. Pour l’analyse à proprement parler, il est d’abord question d’épistémologie. Mais en ce qui concerne la constitution de cette épistémologie, il va de soi qu’elle est en premier lieu enfantée par une vision du monde. Ceci est de peu d’importance.
D’abord il s’agira de questionner cette vision du monde qui constitue le discours de la science économique à travers les idées avancées par Philippe Aghion. C’est un cas intéressant car Aghion n’est pas n’importe quel économiste : il est l’élite de la discipline, il incarne ce à quoi la discipline accorde les honneurs. Son discours n’est pas seulement concordant avec la science économique, il lui est absolument adéquat. Aghion épouse l’épistémologie de la science économique, et cette épistémologie rejaillit sans cesse de son discours. Bien sûr, il n’y a pas une épistémologie pour la science économique. Mais le but de cet article n’est pas de creuser en profondeur les spécificités épistémologiques de la discipline. Et, si une épistémologie unique et unifiée n’existe pas, il y a tout de même des invariants qui permettent tout simplement à tout discours de la science économique d’être audible et compréhensible par les pairs ; sans quoi ce discours ne serait pas même discuté, et moins encore récompensé. Un certain nombre de représentations et de présupposés fédèrent les thèses produites par la science économiques, et reviennent à l’intérieur de ses compromis et de ses controverses[4]. Le marché, la croissance, l’offre, la demande, le capital, le travail, l’innovation, etc. sont autant de concepts dont les acceptions sont déjà encadrées et orientées par le discours scientifique, de sorte qu’il ne soit pas possible de les employer dans des acceptions différentes et d’être entendu.e par la communauté des économistes. Par exemple, le capital est, en science économique, un facteur de production qui ne suppose aucun rapport social. Intégrer le problème des rapports sociaux dans la définition du capital est un non-sens pour la science économique.
Dans le dictionnaire de référence de la discipline, à l’entrée « Capital », on trouve, sur un article de neuf pages, une seule référence à Marx, qui tient sur deux lignes[5]. Aucune mention des développements nombreux auxquels sa théorie a donné lieu dans l’histoire récente de la pensée économique. En revanche l’auteur de l’article accorde une place centrale aux approches plus concordantes avec la science économique actuelle, lesquelles excluent de définir le capital à travers un regard historique et social. Le capital est avant tout considéré comme un facteur de production abstrait de ses relations historiques et sociales. Le capital est le moyen de produire des biens, des richesses, et c’est tout.
Ensuite nous nous saisirons d’un exemple concret : le problème du changement climatique. Comment Philippe Aghion entend-il régler ce problème ? Les politiques écologiques sont-elles compatibles avec des modèles de croissance ? La croissance devra-t-elle être remise en cause par l’urgence climatique ? On devine la réponse : évidemment non. Pour Aghion, un monde sans croissance économique est impensable. Un monde dans lequel la croissance ne constituerait pas la solution à tous nos problèmes, y compris celui du climat, n’existe pas. Il faudra analyser les arguments mobilisés, mettre en avant leur indigence, pour qu’apparaisse l’obscénité des thèses défendues par cet économiste dont le plus haut fait est d’avoir obtenu la reconnaissance et l’approbation d’une banque. Bravo à lui.
1. La science économique dans l’idéologie
Coupons court tout d’abord aux accusations en lyssenkisme qui ne tardent jamais à venir quand il s’agit de remettre en cause la pertinence d’un discours de science économique sous un angle politique. Cette stratégie, très pauvre et très indigne, a notamment été utilisée par Cahuc et Zylberberg dans leur Négationnisme économique, livre grâce auquel ces deux économistes n’ont pas manqué de se couvrir de ridicule[6]. Les deux auteurs qualifient, dès l’introduction de leur livre, de « lyssenkisme » toute démarche visant à interroger les valeurs politiques à l’œuvre à l’intérieur de la science économique (p. 11, sq.). Ils désignent alors des « faux savants », au premier rang desquels les économistes atterrés, Sartre et Bourdieu, qualifiés de « négationnistes », de « lyssenkistes » et de « staliniens » (p. 31). Rien que ça. La raison ? Une critique de la science économique, discipline considérée comme véhicule de l’idéologie libérale et néolibérale. Nous laisserons aux lecteur.rice.s le loisir de juger librement de la valeur de jugements aussi lapidaires et aussi peu documentés.
Porter sur la science économique un discours critique, qui essaie d’analyser les limites de ses conditions d’énonciation, est une démarche féconde qui permet de se situer soi-même, en tant que sujet, vis-à-vis de la réception de ce discours. Cela permet aussi d’en saisir la portée, les enjeux, la direction. Ne pas s’efforcer à cette démarche critique, c’est prendre le risque de se laisser aveugler par tous les préjugés de ce discours. Cette absence d’effort, à l’évidence, est profondément anti philosophique – les économistes, cela va sans dire, ne sont pas des philosophes.
Les travaux de Philippe Aghion portent sur les relations entre la croissance économique et l’innovation. Il met en avant certains paradoxes internes à la théorie économique et montre dans quels cas les entreprises ont plutôt intérêt à innover. Pour résumer en des termes simples ses idées directrices : les entreprises proches de la frontière technologique ont intérêt à innover afin d’échapper à la concurrence. Et donc la concurrence encourage l’innovation. Dans sa leçon inaugurale au Collège de France, Aghion prend l’exemple de l’Argentine. Si ce pays a réussi à maintenir un rythme de croissance analogue aux États-Unis de la fin du dix-neuvième siècle aux années 1930, il a ensuite connu un étonnant décrochage. En cause des mesures protectionnistes qui consistaient à produire localement ce qui aurait pu être importé. Parce que l’Argentine a refusé la mise en concurrence de certains secteurs d’activités, elle s’est fermée à la possibilité d’innover et n’a donc pas pu bénéficier des effets bénéfiques de l’innovation. C’est aussi simple que cela. Le contexte économique argentin s’explique aussi simplement. En science économique, toutes les routes mènent à la concurrence.
Les effets de l’innovation sur la croissance sont l’objet de l’attention d’Aghion. Le premier effet est l’enrichissement des personnes les plus riches. Le « top 1% » des plus riches s’enrichissent plus encore grâce à l’innovation. Ce phénomène s’explique notamment par la mécanique juridique des brevets qui, grâce à la protection de la propriété intellectuelle qu’ils offrent, permettent aux entreprises qui les déposent de bénéficier de monopoles grâce auxquels leurs dirigeant.e.s peuvent accumuler beaucoup de richesses. L’innovation permet de faire des marges très supérieures au reste du marché, et ainsi de faire gonfler le capital. Il n’est bien sûr jamais question d’imaginer que la richesse nouvellement produite soit redistribuée à des fins d’égalités économiques. Pour Aghion, il va de soi que l’innovation bénéficie (doit bénéficier ?) en premier lieu aux patrons d’entreprises. Ce point-là n’est jamais discuté. C’est presque une nécessité métaphysique.
Fort heureusement l’innovation a des vertus : elle dynamise la croissance. La relation causale entre innovation et croissance a été mise en évidence par les travaux d’Aghion. Selon toute vraisemblance, il ne s’agit pas d’une simple corrélation, mais bien d’un lien causal. Soit. Si l’innovation engendre la croissance, alors il est probable qu’elle bénéficie, à terme, au plus grand nombre. C’est tout le propos d’Aghion. Quand bien même l’innovation enrichirait-elle démesurément les 1% les plus riches, elle ne produirait pas d’effets général sur le niveau des inégalités. Aghion prend l’exemple de la Suède. En Suède, l’éducation est gratuite jusqu’au doctorat, la santé est intégralement prise en charge par l’Etat mais, en même temps, l’Etat a mis en place des régimes fiscaux très avantageux pour les entreprises afin, dans les années 1990, de développer l’innovation. D’après Aghion, les effets sont les suivants : croissance économique, enrichissement des 1% les plus riches, augmentation de la mobilité sociale, stabilité de l’indice de Gini – qui mesure les inégalités. Ainsi, si cet indice n’a pas augmenté, alors il est vrai que l’innovation, en même temps qu’elle engendre plus de croissance et de mobilité sociale, n’augmente pas les inégalités. Vérifions.
Le site de la Banque Mondiale donne, pour l’indice de Gini, les informations suivantes[7] :

En Suède, l’indice de Gini évolue tendanciellement à la hausse depuis les années 1970. Aucune inflexion n’est observée à partir de la décennie des années 1990, et la tendance à la hausse semble se confirmer jusqu’à présent. Par conséquent, les inégalités économiques sont plutôt en train de croître en Suède – contrairement à ce qu’affirme Philippe Aghion dans sa leçon inaugurale de 2015 ; alors même que la tendance à la hausse était déjà bien présente.
Aghion prend pour contre-exemple la France qui, selon lui, devrait imiter le régime fiscal suédois, plus favorable aux entreprises, afin de dynamiser sa croissance, sans que cela n’ait de conséquences sur les inégalités. Or en France, l’évolution de l’indice de Gini est un peu différente :

En France, la tendance de l’indice de Gini est plutôt à la stabilité depuis les années 1990, et très à la baisse depuis les années 1970[8]. Il semblerait donc que les inégalités économiques soient mieux jugulées en France qu’en Suède. Mais il ne faut pas s’arrêter là et comparer les taux de croissance du PIB des deux pays, afin de vérifier si les allégations de Philippe Aghion sont justifiées :

Les différences de variation du PIB en France et en Suède sur les trois dernières décennies sont loin d’être considérables[9]. La croissance du PIB évolue, dans les deux pays, dans les mêmes ordres de grandeur. Il semblerait donc, contrairement à ce qu’affirme Aghion, que les politiques fiscales conduites par le gouvernement suédois se soient plutôt accompagnées d’une hausse des inégalités, et qu’elles n’aient pas permis, en même temps, un miracle pour la croissance économique de la Suède.
Ces remarques ne sont pas anodines, car c’est le même genre d’arguments que mobilise aujourd’hui Philippe Aghion pour rejeter la taxe Zucman. Il craint que cette taxe ne transforme la France en « prison fiscale »[10]. Pour que ce genre de mesure soit efficace, il conviendrait, toujours selon Aghion, de l’appliquer au niveau européen ; sans cela, « l’attractivité » de la France sera affectée, et les investisseurs risqueraient de la fuir. A cet argument quelque peu spécieux, Zucman rétorque qu’il n’y a pas d’obstacle à ce que cette taxe devienne, dans un deuxième temps, européenne ou mondiale. Mais le discours est bien connu : « les investisseurs ont peur », « il faut rassurer les marchés », bref « Il n’y a pas d’alternative ».
Il y aurait du sens à accorder du crédit aux propos d’Aghion, d’adhérer à son expertise, si elle ne s’était pas déjà montrée défaillante. Or, comme nous l’avons établi plus haut, Aghion ne craint pas de tronquer ou cacher des données, de leur faire dire ce qu’elles ne disent pas, quand il ne leur fait pas dire le contraire ce qu’elles disent, de tordre les observations empiriques, tout ceci dans le but de rendre une réalité qui lui échappe adéquate à ses spéculations « scientifiques ».
L’idéologie se déploie doublement dans le discours d’Aghion. Sur un premier plan, elle avance de manière brutale, très directe. Elle ne se cache pas. Aghion défend des politiques économiques en accord avec le paradigme néolibéral. C’est une position qu’il assume. Même dans sa leçon inaugurale au Collège de France, il revendique l’utilité du discours de la science économique lorsqu’il se met au service des pouvoirs politiques. Et si ce discours va dans le même sens que le néolibéralisme, alors il faut défendre des politiques publiques néolibérales. A l’évidence, si Philippe Aghion n’avait pas été aligné à cette doctrine, il n’aurait pas trouvé grâce aux yeux d’Emmanuel Macron et n’aurait pas été son conseiller.
Sur un deuxième plan, l’idéologie joue un méta-rôle. Par idéologie, nous entendons ici tout discours issu du travail intellectuel qui remplit une fonction superstructurelle de maintien d’elle-même ainsi que de son infrastructure. C’est une reprise de la définition classique de Marx et Engels dans L’idéologie allemande[11]. Cette définition pourrait être affinée, mais elle suffit ici à poser un cadre et à rendre intelligible le propos. L’idéologie pré-structure le discours, lui fournit ses conditions d’énonciation. Elle est porteuse de valeurs qui peuvent être contestées par d’autres valeurs, et de préjugés susceptibles d’être remplacés par d’autres préjugés.
Il ne s’agit pas de discuter en profondeur du caractère idéologique de la science économique. Cette question est semblable à un puit sans fond et donne lieu à une littérature abondante, aussi bien à l’intérieur qu’à la périphérie des milieux académiques[12]. Le discours d’Aghion sert ici à exemplifier cette idéologie, qui s’affirme aussi bien dans ce qu’elle dit – premier plan – que dans ce qu’elle est incapable de prononcer et de penser – deuxième plan. Cette barrière intellectuelle infranchissable est une barrière idéologique. Elle prive l’esprit d’hypothèses alternatives, pourtant parfois évidentes. Le sujet ne peut plus envisager les questions sociales et politiques que de manière restreinte. C’est cette hypothèse, peu ambitieuse, que cet article essaie de creuser.
Le méta-rôle idéologique, le rôle structurant que joue l’idéologie, dans le discours d’Aghion saute aux yeux. Il est incapable de penser son objet au-delà des catégories que lui impose sa discipline. Les explications de cet aveuglement sont nombreuses, et chacune d’entre elles mériterait sans doute de longs développements. La plus évidente est l’autorité scientifique qu’impose par elle-même la science économique. Si un discours est scientifique, alors on est forcé d’y croire. La vérité devient le critère de ce discours, et comme ce critère a besoin d’être validé pour qu’il puisse prétendre au rang de science, le problème est déjà réglé pour la science économique qui, pour elle-même au moins, est une science. Si la science abonde systématiquement dans le sens de l’idéologie néolibérale et des formes de pouvoirs capitalistes auxquelles elle est subordonnée, c’est parce que, du point de vue de l’économiste, la vérité est du côté du capitalisme. Les économistes ne se posent d’ailleurs même pas la question en ces termes. Il ne s’agit pas, pour eux, d’admettre la supériorité d’un modèle sur autre. Mais c’est l’implication nécessaire de leur engagement scientifique qui, dans l’adhésion qu’il suppose aux hypothèses théoriques de la science, place la vérité du côté du capitalisme. Le capitalisme va de soi. Il est pour ainsi dire naturalisé. Il n’est l’objet d’aucune question à l’intérieur de la science économique. Se retrouvent ici les caractéristiques fondamentales de l’idéologie, ce discours qui justifie et rend nécessaire, sans le rendre nécessairement conscient, l’ordre économique et politique installé par la classe dominante.
La naturalisation du modèle idéologique capitaliste transpire dans le discours d’Aghion. Dans sa leçon inaugurale, il ne craint jamais de transposer les comportements des entreprises à ceux des individus. Il ne s’en tient pas à de simples analogies, dont les limites sont d’emblées affichées. Non, au détour d’un exemple, il affirme littéralement que « les firmes sont comme des individus ». Le comportement des entreprises est pareil à celui des individus réels. Il y a comme une essence commune. Et, nul ne sera surpris à ce stade, cette essence est donnée par la science économique elle-même, qui fait des entreprises comme des individus des « agents rationnels » qui « maximisent leur utilité ». Peu importe que cela soit vrai ou faux, c’est l’hypothèse qui préside au régime de vérité de la science économique à laquelle Aghion doit tant de reconnaissance et de gloire.
Dans la totalité de ses travaux, Aghion fait la course à la croissance économique. Il ne se demande jamais quelles sont les limites du modèle de croissance, si cette croissance est toujours souhaitable, ce qu’elle signifie, ce qu’elle implique, etc. Non, en bon soldat du capitalisme, il cherche des moyens efficaces pour favoriser la croissance. Et il a trouvé son secteur : l’innovation. Aucun regard critique n’est jamais porté sur les modalités de la croissance, ni sur les coûts de l’innovation – ses « externalités négatives », comme disent les économistes. Tout ce qui compte, c’est la sainte croissance. La croissance comme idole. On a déjà vu plus « iconoclaste ».
Et c’est même pire, il y a un cynisme transparent (ou un aveuglement terrifiant) dans cette quête de la recette miracle vers la croissance infinie. Outre ses mensonges sur les inégalités, qui n’engagent à pas grand-chose, Aghion en vient à se réjouir de la misère humaine. Alors qu’il explique, dans sa leçon inaugurale au Collège de France, ce qu’est un instrument en économétrie, il prend pour exemple les politiques publiques conduites par Thatcher au Royaume-Uni. L’enjeu, pour l’économétrie, est de distinguer les corrélations des causalités. Si les politiques menées par Thatcher « étaient peut-être horribles », et « ont rendu à plein de gens la vie très difficiles », en revanche, « pour l’économètre, c’était une aubaine parce que, évidemment, les déréglementations de Madame Thatcher, c’est un merveilleux instrument d’augmentation de la concurrence en Angleterre, donc on peut analyser l’effet causal de la concurrence sur la croissance en utilisant cet instrument ». La belle affaire. L’appauvrissement des classes laborieuses, l’explosion des inégalités, la croissance de la mortalité infantile, etc., sont bien peu de choses au regard de « l’aubaine » que cela constitue pour la science économique.
Une décennie après cette conférence, Aghion n’a pas changé de cap. Il a aujourd’hui « envie de s’intéresser de plus près » à ce que fait Milei, au motif que celui-ci aurait obtenu des « résultats économiques et sociaux »[13]. Dans le même paragraphe, Aghion dit se sentir éloigné de Milei et de ses idées. Il en est éloigné, mais il a tout de même envie de s’y intéresser, puisque ces politiques ont l’air, de son point de vue, de fonctionner. Qui pourra croire, après cela, qu’un économiste qui se range systématiquement du côté du néolibéralisme et du libertarianisme est neutre sur le plan des valeurs ? Et que la science qu’il pratique et le conduit à ce genre de jugements peut prétendre à cette neutralité ?
Mais accordons encore à cette science et à ses scientifiques le bénéfice du doute. Il est une idée qui puisse mettre tout le monde d’accord : si les économistes revendiquent la légitimité de leurs discours au nom de leur scientificité, de leur objectivité, iels doivent adhérer par nécessité à tout discours paré de la même légitimité scientifique. Dans le cas contraire surgit une contradiction. Dans le cas contraire apparaît immédiatement le caractère idéologique d’un discours dont la scientificité est la justification avant même qu’il ait à se soucier d’un quelconque critère de vérité – la science sans la vérité, en somme. Est-il envisageable qu’il en aille ainsi des discours d’Aghion et de sa science économique ?
2. La croissance économique face au changement climatique
Les scientifiques du GIEC propagent un message qui ne souffre d’aucune ambiguïté : les activités humaines génèrent un changement climatique. Si ces activités ne sont pas transformées, ralenties, pour certaines, peut-être, arrêtées, c’est l’humanité elle-même qui se retrouve en danger. La communauté des économistes ne nie pas le changement climatique. Toutefois, que ce soient les prises de positions des économistes du GIEC, ou celles, pour ce qui nous intéresse ici, de Philippe Aghion, dans le but de faire face à ce problème majeur, c’est un euphémisme de dire qu’elles en prennent la pleine mesure.
Dans ce qui va suivre, je vais en partie reprendre une communication que j’avais produite lors de la Sixième conférence internationale de philosophie économique[14]. Le texte reprend à son compte les critiques adressées par Steve Keen[15] et Clive Spash[16] aux économistes du climat. Il est de notoriété publique que Keen et Spash tiennent des positions très controversées à l’intérieur de la science économique, positions qui sont souvent ignorées, parfois raillées.
Il est important de présenter, même brièvement, le consensus actuel en science économique sur la question du climat. Cela aidera à mieux comprendre la logique interne qui gouverne aux positions d’Aghion. En 2018, William Nordhaus reçut le prix Nobel d’économie pour ses travaux sur le climat ; notamment sur sa mise en relation entre les hausses de températures et les variations de la croissance du PIB[17] – oui, toutes les routes mènent à la croissance. Ces modèles reposent sur un calcul en termes de bénéfices-risques. Dans son discours de réception du prix Nobel, Nordhaus affirme à cet égard que l’optimum est atteint lorsque la hausse des températures se situe aux environs de 3,6 degrés Celsius[18]. Ce résultat peut surprendre car, d’après Will Steffen, climatologue qui a aussi publié dans le rapport du GIEC, ainsi que d’autres spécialistes de la question climatique, dans ces conditions, la terre ne devrait plus être viable pour l’écrasante majorité de l’humanité[19].
Les propos des économistes du GIEC sont dans la même veine. Dans le sixième rapport du GIEC, ils affirment que tant que l’on demeure à un niveau de réchauffement inférieur ou égal à 4 degrés Celsius, il n’y a aucune raison de s’inquiéter pour l’économie mondiale[20]. Les extinctions massives, la montée des eaux, la destruction d’une partie considérable des ressources naturelles, l’anéantissement d’une partie de l’humanité, n’auraient donc, d’après la science économique, aucun effet sur la croissance du PIB. Le contexte est posé.
Avant de s’aventurer plus loin, il convient de souligner les contradictions entre les thèses avancées par les spécialistes du climat en sciences naturelles et celles des économistes du climat. La croissance comme fin, pour les économistes, semble concorder avec la fin de l’humanité, pour tou.te.s les autres scientifiques. Voici donc une de ces contradictions que nous n’osions pas même imaginer pouvoir mettre en lumière. Tout se passe comme si la priorité donnée à la croissance économique venait occulter quelques faits minimes – la destruction d’innombrables habitats naturels, entre autres – qui rendent pourtant la poursuite de cette croissance impossible. A certains égards, les choses se déroulent comme si le discours de la science économique refusait le discours des sciences du climat. Difficile, dans ce contexte, de faire du critère de scientificité un critère de vérité. Il est risqué de confondre, de prendre pour une seule et même chose, le critère de reconnaissance sociale de scientificité et le critère de vérité. Autrement dit, à la lumière de ces contradictions, la prudence oblige à traiter avec méfiance un discours qui, bien que reconnu socialement comme scientifique, rejette la vérité d’autres discours reconnus socialement scientifiques, alors que ces derniers discours ont obtenu cette reconnaissance sociale grâce à leur capacité à produire des vérités. Car à l’évidence, depuis la deuxième moitié du dix-neuvième siècle, la science économique moderne ne s’est pas illustrée par la profusion d’une quantité impressionnante de vérités empiriques. Sa reconnaissance sociale semble procéder d’autres mécanismes, de mécanismes extra-scientifiques, au sens normatif où le critère de la science devrait être la vérité ; mais ce n’est pas ici le problème qui nous occupe.
Dans un ouvrage paru en 2014, coécrit avec Gilbert Cette et Élie Cohen, Aghion prend à bras le corps le problème du changement climatique[21]. D’emblée les auteurs annoncent rejeter l’idée de « décroissance » (p. 64). Pourquoi ? Parce qu’il s’agirait d’un raisonnement malthusien :
Le problème est que ce raisonnement est profondément malthusien : il suppose un monde « fini », où toute activité de production est limitée par une quantité fixe de ressources naturelles. Or l’innovation permet de faire sans cesse reculer les limites du possible grâce à la découverte de nouvelles sources d’énergie ainsi que de nouveaux procédés de production permettant d’économiser sur l’usage des ressources existantes. Autrement dit, pour domestiquer les risques environnementaux et lutter contre le réchauffement climatique, il faut stimuler l’innovation verte et la transition énergétique (pp. 64-65).
Cette idée est reprise quasiment à l’identique dans un livre plus récent d’Aghion, Le pouvoir de la destruction créatrice, dans lequel il oppose la vision malthusienne à la vision schumpeterienne de la croissance[22]. Cette affirmation soulève deux problèmes, qu’il convient de traiter séparément. D’abord, elle ramène les propositions de décroissance à des propositions malthusiennes. Ensuite elle propose, comme alternative, une solution qui ressemble à s’y méprendre aux idées de Bernard Arnault, selon qui « c’est par le progrès technologique qu’on enrayera l’élévation des températures, pas en stoppant le développement économique »[23] – solution qui a l’avantage de préserver toutes les activités économiques du multi milliardaire. Lutter contre le changement climatique, c’est important, mais pas question de sacrifier le business et la croissance. Il y a des priorités.
Le premier problème est le plus intéressant car il s’agit d’un problème théorique. Aghion ramène la théorie malthusienne et les difficultés qu’elle soulève à la question de la finitude des ressources disponibles. Si les ressources disponibles sont limitées, alors il n’y a pas de croissance infinie. Cela conduit l’économie capitaliste, si on transpose cette interprétation à l’époque contemporaine, à une double impasse : elle ne pourra pas croître indéfiniment et même son techno-solutionnisme est sans avenir – il se heurte à la limite des ressources concrètement disponibles. D’où l’objection d’Aghion, qui règle ces deux problèmes par le miracle de l’innovation.
Là où l’analyse d’Aghion fait défaut, c’est qu’elle est à proprement parler inexacte sur le plan théorique. Elle l’est tellement, et c’est malheureux d’avoir à le dire, qu’un.e étudiant.e en première année d’économie – sinon un.e élève de terminale quelque peu informé.e sur le sujet – aurait sans difficulté pu montrer ses lacunes. Le propos de Malthus ne consiste pas à opposer à une quantité de ressources finies l’impossibilité d’une production qui croît à l’infini. La raison en est que Malthus rédige son Essai sur le principe de population à la fin du dix-huitième siècle[24]. A cette époque, l’industrie naissante n’est pas en mesure de se poser le problème de la limite de sa croissance. Et donc Malthus ne pose pas ce problème. Par conséquent la lecture que fait Aghion de Malthus est absolument anachronique.
Malthus pose le problème démographique. Il y a une tension entre la croissance de la population et la croissance de la production. Le propos est bien connu :
Nous pouvons être certains que lorsque la population n’est arrêtée par aucun obstacle, elle double tous les vingt-cinq ans, et croît ainsi de période en période selon une progression géométrique […] Nous sommes donc en état d’affirmer, en partant de l’état actuel de la terre habitable, que les moyens de subsistance, dans les circonstances les plus favorables à la production, ne peuvent jamais augmenter à un rythme plus rapide que celui qui résulte d’une progression arithmétique (Malthus, 1798, pp. 10-11).
Comme, au dix-huitième siècle, la population croît plus rapidement que la production, il en résulte que, au bout d’un certain nombre de générations, « la population – arrivée à quatre-vingt-huit millions – ne trouvera des moyens de subsistance que pour la moitié de ce nombre » (ibid., p. 11). Malthus écrit à une période où, selon lui du moins, il existe un risque très concret de famine à cause d’un déficit de la sphère productive. Il n’écrit pas à une époque où la production mondiale de l’industrie agro-alimentaire suffit quantitativement à nourrir toute la planète – cela ne signifie pas que toute la planète est nourrie, bien entendu. Cela n’a absolument rien à voir avec la question de la croissance infinie. D’ailleurs Malthus ne pose même pas la question de la limite des ressources disponibles. Il pose le problème de la limite des capacités productives. Mais, pour Philippe Aghion, ces deux phénomènes, pourtant distincts, sont identiques.
Le problème soulevé par les théories décroissantes, qu’on soit ou non d’accord avec elles, qu’on leur préfère ou non d’autres alternatives plus ou moins radicales, est la limite d’un monde qui dispose de ressources finies. Et quand bien même parviendrait-on, par le recyclage, à employer ces ressources à de multiples reprises, au bout du compte, elles sont toujours en quantité finie : c’est une barrière ontologiquement infranchissable. Le techno-solutionnisme – c’est le deuxième aspect du problème – d’Aghion est par conséquent une fable fondée sur des arguments spécieux, eux-mêmes fondés sur une lecture plus que lacunaire de l’un des auteurs les plus classiques de l’histoire de la pensée économique. Misère.
Il est à noter, du reste, que la reprise approximative de la théorie malthusienne est devenue une démarche habituelle chez nos économistes. Dans leur Négationnisme économique, Cahuc et Zylberberg mobilisent la théorie de Malthus pour expliquer la reprise économique relativement plus dynamique dans les régions du Rwanda dans lesquelles le génocide a sévi le plus sauvagement (op.cit., pp. 151-152). Pour être plus précis, d’après ces deux auteurs, le génocide rwandais est la preuve empirique qui « vérifie donc bien » la loi de Malthus. Que dire ?
Dans un chapitre consacré à « l’innovation verte » du Pouvoir de la destruction créatrice, Aghion revient sur les modèles économiques de Nordhaus que nous avons exposés plus haut (p. 183, sq.). Il reprend les principales idées de Nordhaus ainsi que les problèmes soulevés par l’économiste du climat ; au premier rang desquels le risque que, dans le jeu de la coopération internationale pour la lutte contre le changement climatique, se glissent des « passagers clandestins » (p. 186). Ce risque est important puisque, dans la perspective de Nordhaus, seule une coopération internationale orientée vers la régulation des émissions de carbone par des moyens régaliens ou mercantiles, pourra permettre une lutte efficace contre le changement climatique. La lutte contre le changement climatique suppose l’intervention de « trois piliers que sont le marché, l’État et la société civile » (p. 188). Quoi qu’il en soit, il n’est jamais envisagé d’évacuer ou, a minima, de très sérieusement réguler et contraindre, les logiques mercantiles et capitalistes qui sont pourtant la cause du changement climatique.
Philippe Aghion, un peu à l’image des économistes du GIEC, ne craint pas d’entrer en contradiction avec les discours des sciences naturelles. Quand la planète, et donc l’humanité, et donc en particulier et avant tout les classes les plus précaires, pauvres, rejetées, de l’humanité par le mode de production capitaliste et sa classe dirigeante, la bourgeoisie, sont en train de cramer, Aghion parle d’innovation verte et de croissance. C’est une plaisanterie.
Les contradictions entre les discours des sciences du climat et ceux de la science économique sont à nouveau apparentes. Les jugements de fait de la science économique entre en contradiction avec les jugements de fait des sciences naturelles. Il s’ensuit des divergences sur le plan des jugements normatifs. Quand les scientifiques du climat altertent sur l’urgence de transformer nos activités sociales et économiques, Philippe Aghion parle de croissance et d’innovation. Autrement dit, il n’envisage aucune transformation de fond ; simplement des modifications d’ordre cosmétique.
Le problème épistémologique posé trouve ici des éléments de réponse. Le critère de reconnaissance sociale de scientificité est absolument distinct du critère de vérité. Si tel n’était pas le cas, alors les universités seraient contraintes de botter les départements de science économique en dehors de leurs enceintes, pour la simple raison que cette science semble particulièrement fâchée avec la vérité scientifique. Que les procureurs qui chassent les lyssenkistes entendent cette contradiction – en sont-ils capables ? Si ce n’est pas le critère de vérité qui confère aux économistes leur titre de scientifiques, alors c’est nécessairement autre chose. Et, dans la mesure où les discours de ces économistes sont systématiquement pro-business, favorables au néolibéralisme, qu’ils ne remettent jamais en cause le capitalisme, considéré comme donnée naturelle de la réalité sociale, l’hypothèse que nous défendrons est que la science économique n’est science que parce qu’elle est l’instrument de légitimation de l’activité d’exploitation, de spoliation, de destruction, bourgeoises. Jamais cette « science » ne parle d’impérialisme, de racisme, d’exploitation. Non. Ce sont là, comme le capitalisme, des données naturelles de la réalité sociale. Nous ne dénoncerons jamais assez cette escroquerie.
Conclusions
Une fois fait état de cette farce permanente, de ce discours obscène, inhumain, de la science économique, se pose souvent la question de savoir comment l’améliorer, par quoi le remplacer. C’est une objection que j’ai souvent rencontrée quand je m’intéressais encore de près à la science économique : « c’est bien beau de dresser ce constat, mais que proposes-tu ? » Ma proposition est simple : il est urgent de faire disparaître cette discipline. Il est urgent de la dévoiler. La science économique est l’instrument scientifique de l’idéologie capitaliste, et il est certain qu’elle disparaîtra avec lui.
Philippe Aghion n’est que la figure archétypale de cette science. Il est l’image de ses collègues qui, pour la plupart, sont à son image. La Banque de Suède est parfaitement assortie. La science économique est l’instrument idéologique scientifique de la domination qui s’exerce sur les classes laborieuses, sur les personnes racisées, sur le genre féminin, sur toutes les personnes opprimées. Elle est l’ennemie de la société amputée de la classe bourgeoise. Elle travaille contre elle dans l’intérêt de la bourgeoisie.
Prudence toutefois, car il n’y a là nul complot. C’est presque de manière mécanique que l’idéologie produit pour elle-même une justification scientifique. C’est même une nécessité à une époque où la Modernité a consacré le discours scientifique comme idéal de vérité, et la vérité comme idéal d’émancipation et de progrès. Si la science économique avait l’apparence de la religion, elle serait impuissante à justifier la violence sociale. Il se trouve, derrière toutes les réformes économiques violentes, un discours scientifique qui en justifie la nécessité. Mais la nécessité de ce discours n’est pas épistémique, elle est sociale : c’est la nécessité sociale de la classe bourgeoise. La science économique n’est nécessaire que pour la bourgeoisie – pour justifier que la bourgeoisie est nécessaire. Pour nous, elle est un adversaire redoutable, l’instrument mystificateur de justification de toutes les violences néolibérales. Voilà ce que récompense le prix Nobel d’économie.
Références bibliographiques
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[1]Nous ne discuterons pas de l’opportunité d’octroyer une récompense aussi prestigieuse à un économiste qui a fait carrière à l’Université de Tel-Aviv alors que se déroule encore actuellement un génocide à Gaza. Si l’académie désire faire honneur à des institutions coloniales subordonnées à un État criminel, libre à elle. Ce n’est pas le problème soulevé ici.
[2]Voir sa leçon inaugurale au Collège de France, « Les énigmes de la croissance », 1er octobre 2015, en ligne sur : https://www.college-de-france.fr/fr/agenda/lecon-inaugurale/les-enigmes-de-la-croissance/les-enigmes-de-la-croissance.
[3]Solow, R. (1956). « A Contribution to the Theory of Economic Growth », The Quarterly Journal of Economics, 70(1), pp. 65-94.
[4]Je reprends ici l’approche kuhnienne de la « matrice disciplinaire », développée dans la postface de La structure des révolutions scientifiques (1962, trad. Laure Meyer, Flammarion, Champs Sciences, 2008).
[5]Hennings, K. H. (1987). « Capital as a Factor of Production », The New Palgrave : A Dictionary of Economics.
[6]Cahuc, P. et Zylberberg, A. (2016). Le négationnisme économique, Et comment s’en débarrasser, Flammarion. Cette affirmation est tellement vraie que cet ouvrage a été un temps l’objet d’un running gag dans les congrès internationaux de philosophie économique. Nombre de collègues avaient rebaptisé ce livre le Traité d’épistémologie économique pure. Il est vrai toutefois qu’on n’a moins entendu les économistes de profession sur le sujet.
[7]Site de la Banque Mondiale : https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/SI.POV.GINI?locations=SE.
[8]Site de la Banque Mondiale : https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/SI.POV.GINI?end=2023&locations=FR&start=1970&view=chart.
[9]Sur le site de la Banque Mondiale : pour la France : https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/NY.GDP.MKTP.KD.ZG?locations=FR ; pour la Suède : https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/NY.GDP.MKTP.KD.ZG?locations=SE.
[10]« Taxe Zucman : Débat intégral Gabriel Zucman et Philippe Aghion au FDDAY 2025 », Les voix de la tech, en ligne sur : https://www.youtube.com/watch?v=6pUgHTqctF0.
[11]Marx K. et Engels, F. (1932). L’idéologie allemande, trad. Henri Auger, Gilbert Badia, Jean Baudrillard et Renée Cartelle, Editions Sociales. Pour la question de la relation entre infrastructure et superstructure, voir notamment l’introduction à la Contribution à la critique de l’économie politique, trad. Maurice Husson et Gilbert Badia. Editions Sociales (1972). Là encore, les rapports qui régissent superstructure et infrastructure pourraient être discutés, mais ce n’est pas l’objet de cet article.
[12]Je renvoie les personnes curieuses à ma thèse de philosophie, Le réel et le rationnel. Non qu’elle traite parfaitement la question car, à dire vrai, son propos est largement critiquable et son contenu très améliorable, mais elle propose des ressources bibliographiques assez larges pour introduire la question du rapport qu’entretient la science économique avec l’idéologie bourgeoise ; c’est-à-dire l’idéologie dominante, néolibérale, qui organise et régente le discours économique. Le texte est disponible en ligne sur HAL : https://hal.science/view/index/docid/5317580.
[13]Dans un entretien accordé au Le Figaro : Guigné, A. (2024). « En France, le cas Javier Milei enthousiasme les libéraux », Figaro, 10 décembre 2024.
[14]Lasserre, D. (2023). « La science économique va-t-elle sauver la planète ? », 6th International Conference of Economic Philosophy, Sciences Po Lille, juin 2023, en ligne sur HAL : https://hal.science/hal-05314564.
[15]Keen, S. (2019). ≪ Flawed Approaches (and a New Approach) to Environmental Challenges ≫, Averting Systemic Collapse, OECD Conference ; Keen, S. (2021). ≪ The appallingly bad neoclassical economics of climate change ≫, Globalizations, 18(7), 1149-1177.
[16]Spash, C. (2012). ≪ New Foundations for Ecological Economics ≫, Ecological Economics, 77, 36-47 ; Spash, C. (2017). ≪ Social Ecological Economics ≫, in Clive Spash (éd.), Routledge Handbook of Ecological Economics, Routledge, 3-17 ; Spash, C. (2023). ≪ Rethinking Economics in the Age of Social and Ecological Catastrophes ≫, in 6th International Conference of Economic Philosophy, Sciences Po Lille ; Spash, C. & Hache, F. (2022). ≪ The Dasgupta Review deconstructed : an exposé of biodiversity economics ≫, Globalizations, 19(5), 653-576.
[17]Voir, entre autres, Nordhaus, W. (1994). ≪ Expert opinion on climatic change », American Scientist, 82(1), pp. 45–51.
[18]Nordhaus, W. (2018). ≪ Climate change : The ultimate challenge for economics ≫, in Lecture to the Memory of Alfred Nobel, Nobel Media AB, p. 452.
[19]Steffen, W., Rockström, J. et al. (2018). ≪ Trajectories of the earth system in the anthropocene ≫, Proceedings of the National Academy of Sciences, 115(33), pp. 8252-8259, p. 8256.
[20]Pörtner, H-O., Roberts, D. et. al. (2022). ≪ Climate Change 2022 : Impacts, Adaptation and Vulnerability ≫, Working Group II Contribution to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change, Cambridge University Press, pp. 66-67.
[21]Aghion, P., Cette, G. et Cohen, E. (2014). Changer de modèle. De nouvelles idées pour une nouvelle croissance, Odile Jacob – pour la pagination, j’utilise ici la version numérique.
[22]Aghion, P. (2020). Le pouvoir de la destruction créatrice, Odile Jacob, p. 176 – version numérique. Les écrivailleurs de faculté n’hésitent jamais à ressasser ad nauseam encore et toujours les mêmes idées du début à la fin de leur carrière. C’est un moyen facile de multiplier les publications sans avoir jamais besoin de dire quoi que ce soit de nouveau.
[23]Tiberi, J. (2023). « Pour Bernard Arnault, c’est par le progrès technologique qu’on enrayera l’élévation des températures. Voici pourquoi c’est faux ! », Low-Tech Journal, 29 juin 2023, disponible en ligne sur : https://www.lowtechjournal.fr/blog/editos/pour-bernard-arnault-c-est-par-le-progres-technologique-qu-on-enrayera-l-elevation-des-temperatures-voici-pourquoi-c-est-faux.html.
[24]Malthus, T. (1798). Essai sur le principe de population, trad. P. Theil, Édition électronique de l’UQAM, en ligne sur : https://classiques.uqam.ca/classiques/maltus_thomas_robert/essais_population/essais_population.html.