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Macron est mort, que meure la Ve !
Le sujet principal ne doit plus être de s’entendre sur un hypothétique premier ministre dont on sait par avance qu’il ne sera capable de rien, sauf à avoir renoncé à tout, mais de réfléchir aux moyens de sortir de la Ve république.
Par N. Publié in #POSITIONS le 17 juillet 2024 9 min de lecture
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Nous arrivons à une impasse. Et face à une impasse, il n’y a que deux options possibles. La première consiste à s’y enfoncer, toujours plus, jusqu’à atteindre un mur. D’aucun dirait que ce mur : c’est la réalité. On ne peut la fuir que jusqu’à un certain point. La deuxième option, c’est celle visant à anticiper l’existence de ce mur, et décider, pour ne pas s’y heurter, de faire demi-tour et de s’offrir la possibilité d’un horizon différent.

L’impasse dans laquelle nous nous enfonçons est triple : économique, institutionnelle et politique.

Le capitalisme est en crise. Economiquement, il stagne et peine à augmenter ses marges de profit tandis qu’il doit gérer un surplus de main d’œuvre encombrant – tordue entre chômage et sous-emploi. Incapable de développer les forces productives et d’accroître la productivité, il est contraint pour s’assurer une progression de ses bénéfices d’augmenter le temps de travail et de contracter les salaires. Son orientation extractiviste et sa production intensive engendrent une destruction écologique à laquelle il est incapable d’apporter des solutions compte-tenu qu’il constitue le problème principal. Impasse économique.

L’Etat est en crise. En cherchant à atténuer les effets de la crise économique par un soutien sans faille à l’économie capitaliste par le biais de subventions des entreprises, d’exonérations de cotisations patronales, de réformes austéritaires et répressives, l’Etat se révèle parfaitement impuissant à offrir une réponse aux besoins de sa population. Davantage, il fait la preuve que l’exercice démocratique est un leurre et que le contrat de citoyenneté bâtit lors de la Révolution française entre le citoyen et l’Etat a été trahi. Ce contrat impliquait que l’Etat était au service des citoyens qui lui confiaient, par le biais de représentants, leur pouvoir souverain. Un pouvoir délégué temporairement mais à jamais la possession des citoyens en droit de le récupérer. Tels les Gilets jaunes déferlant place de l’Etoile, à quelques mètres d’un monarque qui défiait ses opposants de « venir le chercher ». Un capitalisme en crise, donc, et un Etat incapable de proposer une réponse qui ne soit autre chose qu’une fuite en avant. Et un blocage institutionnel total, interdisant aux citoyens de pouvoir infléchir sur le cours des choses. Les institutions de la Ve République ont dévitalisé le parlement et donné au président un pouvoir démesuré lui permettant de s’affranchir de tout : de sa parole comme des résultats électoraux dont personne d’autre que lui ne peut sortir gagnant. L’illibéralisme devient alors une condition structurelle de gestion de la crise économique et écologique. Impasse institutionnelle.

La politique est en crise. La bipolarisation politique qui a organisé la Ve République jusqu’en 2017 consistait en une alternance entre le PS et l’UMP. En 2017, Emmanuel Macron solidifie autour de sa candidature le bloc bourgeois et propose une troisième voie centriste permettant d’alimenter l’illusion d’une sortie de l’impasse UMPS. En 2022, péniblement, il reconduit la même opération mais en déplaçant son discours sur une ligne nettement plus droitière. La promesse progressiste étant impossible sans une refondation totale des institutions et du mode de production, Macron se révèle comme ce qu’il est : un gestionnaire arrogant et imbu de lui-même menant une politique néolibérale agressive et autoritaire. De fait, l’éphémère parenthèse d’une sortie de crise par une émancipation libérale se referme brutalement. 2022 consacre, à gauche, la victoire de la ligne de rupture proposée par la France insoumise. Celle-ci s’étant employée à analyser la situation, propose par son programme une voie progressiste de dépassement de la crise économique et institutionnelle en réformant à la fois le mode de production capitaliste (sans l’abolir) et la Ve République (par une assemblée constituante). Cette proposition modeste mais unique en Europe permet à la gauche de perdurer dans un contexte de déferlement des droites autoritaires. On se rappelle de la présidentielle, 400 000 voix manquantes et un second tour raté de peu. La NUPES et un PS sauvé in-extremis. Puis, les Européennes, la dissolution et dorénavant : le NFP.

Le Nouveau Front Populaire sort des élections législatives en tête (187 députés alliés compris) mais sans majorité. Il se trouve confronté à un bloc ex-majorité présidentielle nettement affaiblit par rapport à la précédente législature (159 députés) et à un bloc d’extrême droite, lui, en nette progression (142 députés). L’incapacité des chefs de partis de gauche à s’entendre sur un nom ne repose pas que sur des guerres d’égos (analyse superficielle), ou de ligne (analyse plus sérieuse), mais aussi sur le blocage des structures de la Ve République. Le pouvoir quasi illimité du président à prolonger l’exercice de son gouvernement, à faire passer des décrets sans vote ni validation aucune lui permettant, par exemple, d’appliquer 15 milliards supplémentaires de coupes budgétaires, révèle combien l’impasse actuelle s’étend bien au-delà d’une simple question de volontés divergentes d’appareils. Le NFP est condamné à échouer qu’il gouverne ou non, avec ou sans la FI. Il est condamné à échouer parce que les structures institutionnelles sont verrouillées. Tels les députés du tiers face aux grilles fermées de la salle où ils se réunissaient pour débattre, le 20 juin 1789, décidant de se rendre au Jeu de Paume pour promettre de ne plus séparer tant qu’ils n’auraient pas donné à la France une Constitution, il faut que la France insoumise se saisisse du moment pour dépasser cette impasse institutionnelle par la création d’une possibilité révolutionnaire. Le sujet principal ne doit plus être de s’entendre sur un hypothétique premier ministre dont on sait par avance qu’il ne sera capable de rien, sauf à avoir renoncé à tout, mais de réfléchir aux moyens de sortir de la Ve. Impasse politique.

Il n’y aura pas de possibilité révolutionnaire dans des conditions conservatrices. Le destin de la France insoumise n’est pas de tenter en vain de faire émerger au PS un hollandisme révolutionnaire. Ce qui a été impossible en 2012 ne le sera pas plus en 2022. On ne saurait attendre du bouffon du roi qu’il devienne son bourreau.  Le destin de la France insoumise est de souffler sur les braises de révoltes et de colères pour permettre à un 14 juillet d’émerger comme saut qualitatif dans le processus révolutionnaire. Rappelons que le 14 juillet naît dans un contexte de blocage institutionnel total. Face à une monarchie sourde et rétive aux réformes en raison notamment de la pression constante de la frange conservatrice de l’aristocratie, la seule option possible était le débordement. Sortir du cadre des Etats généraux. Les subvertir. La France insoumise doit être aujourd’hui les Montagnards d’hier. Face à un marais socialiste et écologiste mou, systématiquement ramené à la collaboration par peur de perdre sa respectabilité bourgeoise, la FI doit appeler le peuple à se constituer en comités travaillant aux moyens de sortir de la Ve. De même que des comités s’étaient constitués partout en 2005 pour analyser la constitution européenne qui leur était proposée, il faut réitérer l’expérience. Ces comités ne doivent plus militer à l’application d’un programme, mais travailler à construire les conditions de son application et de son extension par la sortie de la Ve République. Ces comités ou soviets doivent être, sur tout le territoire, des rampes de lancement de la révolte. Que dans chaque circonscription soit mis à disposition un local, que les Groupes d’action soient mobilisés et réunis pour organiser des soirées régulières de discussion et de débat. La dynamique collective ne doit pas prendre fin avec celle de l’échéance électorale. Faisons de ces comités des braises incandescentes à partir desquelles enflammer un pays qui crève de son immobilisme et qui risque de s’éteindre dans l’expérience fasciste qui vient.

C’est la Grande peur que nous cherchons, celle qui à l’été 89 comme à celui de 36 terrorisa les possédants. Parce que c’est par elle que les conquêtes sont possibles. N’en déplaise aux champions de l’apaisement, de la tendresse et de la modération, qui ignorent tout de l’histoire et qui en seront chassés, la chute du roi, comme les accords de Matignon ou l’application du programme du CNR, n’ont pas été concédés par la bonne volonté d’une classe possédante affable, mais arrachés en lui imposant un rapport de force qu’elle ne pouvait plus abattre.

Nous ne sommes pas en 1793 et nous n’appelons pas à la mort du roi, mais à celle du régime qui le porte. Que Macron vive, mais que la Ve meure !


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