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La louve noire
Elle est louve dans notre regard. Elle est noire dans le leur. Nous voyons son combat. Ils ne voient que ses origines. Ethniques, géographiques, sociales, tribales. Arrachons le masque noir pour démasquer le regard blanc.
Par N. Publié in #SNIPER le 8 mai 2021 6 min de lecture
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La louve noire

 

Elle est louve dans notre regard. Elle est noire dans le leur. Nous voyons son combat. Ils ne voient que ses origines. Ethniques, géographiques, sociales, tribales. Arrachons le masque noir pour démasquer le regard blanc.

Adama Traoré est mort le 19 juillet 2016 à la gendarmerie de Persan. Il avait 24 ans. Trois gendarmes l’interpellent au domicile d’un ami après une tentative de fuite et réalisent un placage ventral. « I can’t breath » dit George Floyd quelques minutes avant de décéder. « J’ai du mal à respirer » dira Adama. Menotté, il est conduit à la gendarmerie. A l’arrivée des pompiers, ils retrouvent Adama, face contre terre, les mains dans le dos. Ils appellent le SAMU. A 19h05 le verdict est prononcé. Adama Traoré est mort. S’engage alors une bataille non pas judiciaire, mais politique.

Expertises, contre-expertises, rapports d’enquête trafiqués, causes médicales inventées, déontologie oubliée, serments bafoués de blancs menteurs soulèvent la noire fureur. La France élabore un nouveau Dreyfus, victime expiatoire d’un pays fracturé, pour ne pas avoir à se regarder. Dreyfus était le miroir d’un antisémitisme systémique dans un contexte de montée des nationalismes et d’humiliation face à la défaite de 1870. Adama est le miroir d’un racisme systémique dans un contexte d’effondrement économique et de sursaut nationaliste autour d’une identité fantôme qui n’a de contours que dans sa détestation de cette diversité que l’on tolérait tant qu’elle était invisible et soumise. Mais elle se dressa. Peut-être pas la première. Il y eu sûrement d’autres Rosa Parks. Mais il y a eu Rosa Parks. Il y a eu sûrement d’autres Assa Traoré. Mais il y a Assa Traoré.

Elle est la louve noire. Louve dans notre regard, pour son courage, pour sa ténacité, pour sa combattivité. Noire dans le leur, pour sa peau, pour sa chevelure, pour sa famille, son père, ses frères. Dans ce double regard, se dévoile notre histoire. En 1848, la France mettait fin à l’esclavage. Formellement. Mais ce qui a permis de rendre l’esclavage possible, c’est-à-dire, la superposition de conditions productives requérant l’exploitation d’une main d’œuvre bon marché ne pouvait être dissocié de la construction idéologique d’une altérité en l’Africain. Un autre infériorisé par sa couleur, ses traits physiques et sa culture. En 1848, la France a mis fin à l’esclavage. En 2021, elle n’a toujours pas mis fin à cette négation de l’humanité du noir ou du maghrébin. Un homme noir l’est d’abord dans le regard de l’autre, dans ce sentiment d’étrangeté qui lui est imposé. S’il est une vérité du privilège blanc, c’est surtout celle-ci : ne pas avoir à se soucier de ce que l’on est. Pouvoir se déterminer librement. Le noir est prisonnier d’une couleur qu’on lui renvoie toujours et qui l’enferme dans le regard que la société lui adresse. Alors Assa Traoré s’est levée. Et avec James Baldwin, elle a dit : « On ne peut pas changer tout ce qu’on affronte, mais rien ne peut changer tant qu’on ne l’affronte pas. ».

Adama, son frère, est mort. Il s’agit de la mort d’un homme, et non de celle d’un passif judiciaire, d’une généalogie, ou de pratiques culturelles. Il s’agit de la mort d’un homme. Et toute mort, quelle qu’elle soit, exige justice. La première justice, est celle de la reconnaissance, prélude au deuil. On a interdit le deuil à la famille Traoré à partir du moment on leur a dénié leur droit à la vérité. Le Comité Vérité et Justice pour Adama est né. Pour sécher les larmes. Pour relever la tête. Pour arracher la vérité et la justice à un Etat qui ne pouvait les céder sans révéler sa véritable nature. Si « les gens sont emmurés dans l’Histoire, l’Histoire est emmurée en eux ». Il fallut alors au Comité pour Adama fracturer le mur de l’Histoire pour la dévoiler, pour forcer la France à reconnaitre ce qu’elle refusait de voir. Le combat d’Assa Traoré n’est plus celui d’une sœur. Il n’est plus celui d’une famille. Le combat d’Assa Traoré est celui d’une histoire refoulée qui n’entend plus rester enchaînée. Adama n’est plus Adama, il est Alfred Dreyfus, Zyed et Bouna, Babacar Gueye, Zineb Redouane et tant d’autres.

Il révèle un basculement historique majeur. Les marches pour Adama de novembre 2019 et de juin 2020 ont vu 100 000 personnes se réunir autour d’un même projet collectif : obtenir justice et vérité. Assa Traoré porte en elle une génération sortie de l’insouciance et du silence qui exige aujourd’hui des comptes. Face à toutes ces enquêtes au point mort, se découvrent des poids morts. Mais Assa Traoré ne porte plus seule, avec elle défilent dans les rues parisiennes des milliers d’Apaches bigarrés qui réveillent la Grande Peur de la bourgeoisie de voir sa position dominante remise en question. Face à cette génération, la bourgeoisie oppose Génération identitaire. Cette France moribonde n’aura pas assez de bras et de matraques pour interdire le franchissement des cols aux millions d’hommes et de femmes qui partout se dressent. Nous exigeons la vérité et la justice pour Adama, parce que dorénavant, il est nous. Ce procès public sera celui d’un peuple invisibilisé et humilié qui verra avancer à la barre Assa Traoré pour arracher la condamnation d’une Histoire dont nous ne voulons plus. Le jour où chacun sentira dans sa chair la meurtrissure de l’injustice à travers l’affaire Adama, et espérera obtenir la vérité par l’entremise d’Assa, en tant que louve, et non en tant que noire, alors la réconciliation historique aura opérée.

 

« L’histoire des Noirs en France,

c’est l’histoire de la France.

Et ce n’est pas une belle histoire.

Mais celle-ci n’est pas achevée,

et nous ne reposerons pas la plume,

tant que nous n’aurons pas écrit une nouvelle page. »

 


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