François Bégaudeau, Nietzsche et la morale de ressentiment
Qu’importe la vérité à la femme ? Rien n’est dès l’origine plus étranger, plus antipathique, plus odieux à la femme que la vérité. Son grand art est le mensonge, sa plus haute préoccupation est l’apparence et la beauté.
Nietzsche, Par-delà le bien et le mal, §232.
Introduction
Lors de l’émission Squat Philo, diffusée sur la chaîne de Dany Caligula en mars 2021, François Begaudeau se dit lecteur de Nietzsche et, à ses heures, exégète[1]. Dans un entretien accordé à la chaîne A gauche, en février 2023, il affirme que « Nietzsche était quand même un penseur extrêmement subversif » parce qu’il « subvertit la morale » ; avant d’ajouter que, « le renversement des valeurs, cela nous mène très très loin »[2]. Bégaudeau revient souvent à Nietzsche. Nietzsche, dit-il encore dans cet entretien, ne réfléchit pas la question sociale, il pense « autrement, avec d’autres paradigmes ». Nietzsche n’est pas de gauche mais, pour Bégaudeau, penser avec lui peut être intéressant. Et là où Nietzsche est intéressant pour le camp progressiste c’est, toujours d’après Bégaudeau, dans sa capacité à questionner les axiomes de la gauche à partir de sa subversion morale. L’entreprise de critique morale opérée par Nietzsche, son aspiration à renverser les valeurs, serait, pour la gauche, une opportunité aussi bien éthique – par définition – que politique. Soit.
Mais alors, en quoi consiste la mobilisation de Nietzsche chez François Bégaudeau ? Quel narratif sert-elle ? Quels arguments et quelles thèses soutient-elle ? Ce questionnement est intéressant à double titre ; d’abord parce qu’il permet d’examiner d’un peu plus près la lecture bégaudienne de Nietzsche ; ensuite parce qu’il conduit à un certain nombre de tensions au sujet de la fécondité politique de Nietzsche pour le camp progressiste, lesquelles tensions peuvent être désamorcées. Pour tirer a minima au clair ces problèmes, nous en passerons, entre autres, par la lecture du dernier livre de Bégaudeau, Comme une mule[3]. Il s’agira de montrer comment François Bégaudeau s’empare de la question morale chez Nietzsche, quel traitement il lui réserve et, enfin, sur quel genre d’applications à des problèmes spécifiques ce traitement aboutit. La thèse défendue ici est que Bégaudeau s’approprie les théories nietzschéennes écrites contre la morale chrétienne pour les réduire à un système qui fait des mécanismes singuliers de cette morale les soubassements de toute espèce de morale. Cela lui permet d’opposer systématiquement la morale aux faits, dans une démarche positiviste assez naïve. C’est à partir de cet angle de vue que Bégaudeau aborde de grands problèmes philosophiques comme le fonctionnement de la justice, le rôle des théories féministes, ou encore le sort réservé aux œuvres d’art et au jugement esthétique.
L’ouvrage Comme une mule, lui-même fruit d’une querelle, a été l’occasion de querelles multiples. Il est également l’occasion pour François Bégaudeau de déployer son nietzschéisme et de l’appliquer théoriquement à des situations de la vie pratique – même si parfois les applications pratiques ont précédé une écriture qui en fait état. La situation concrète d’où est issue le livre est une « blague » de François Bégaudeau au sujet de l’historienne Ludivine Bantigny. « Dans le milieu radical parisien, Ludivine est connue pour être jamais la dernière. Tous les auteurs de la Fabrique lui sont passés dessus, même Lagasnerie » (Bégaudeau, 2024, p. 19). C’est si drôle. Cette « blague » est une fenêtre ouverte sur une réflexion au sujet de l’art, mais aussi de l’éthique et de la politique. D’abord de l’éthique et de la politique, et seulement ensuite de l’art ; car c’est dans cet ordre que Bégaudeau traite ces sujets dans Comme une mule. Mais jamais, bien sûr, ce livre ne consiste en un règlement de compte. Ce n’est pas ainsi qu’il est présenté. Et tous les amoureux transis de la plume bégaudienne s’en défendent. Non, cet ouvrage n’a rien à voir avec Ludivine Bantigny. Au mieux, c’est une porte d’entrée, un prétexte même. Mais le livre, lui, non, il n’en parle que peu, sinon très peu. Le livre en parle si peu qu’on dénombre un total de 178 occurrences qui renvoient directement à Ludivine Bantigny sur un total de 433 pages de texte, soit un peu moins d’une citation toutes les deux pages. C’est si peu. Un nietzschéen avisé et poussé par quelque malice y verrait sans doute l’expression inavouée – puisqu’il ne l’avoue pas – d’un ressentiment durable et mal digéré. Mais passons.
Assez curieusement, alors que Bégaudeau se revendique fréquemment de Nietzsche, que Nietzsche est un fil directeur de ses écrits[4], il ne craint pas de s’écarter des positions nietzschéennes quand cela contrevient à ses propres visées. Rien d’étonnant, bien sûr, et on pourrait même dire salutaire. Ne serait-il en effet pas dogmatique de s’accrocher coûte que coûte à un auteur pour s’accrocher coûte que coûte à cet auteur, quand bien même avancerait-il des idées contraires à nos croyances et à nos valeurs ? Néanmoins il convient de faire un pas de côté. Le nœud du problème ne réside pas tant dans le fait de s’écarter de Nietzsche sinon plutôt dans celui de défendre des thèses sur la base de régimes de vérités contradictoires[5] – d’épistémologies contradictoires. Le problème est de taille dès lors qu’un régime de vérité rend raison d’une certaine idée, tandis qu’un autre, mobilisé parallèlement, rend raison d’une autre idée, quand bien même ces deux manières de rendre raison, si elles étaient à peine plus poussées dans leur propre logique, parce qu’elles entrent en contradiction, empêcheraient de rendre raison de quoi que soit. Sauf à accepter que p et non p peuvent être simultanément vraies.
Ce symptôme d’une tension épistémologique apparaît dès Histoire de ta bêtise, où poignent déjà des velléités positivistes. Alors que le personnage de Bégaudeau indique qu’il n’y a pas de contradiction à défendre une position marxiste d’abolition de la propriété privée – il ne précise pas la propriété lucrative – tout en étant soi-même propriétaire d’un appartement dans le centre-ville parisien, il justifie cette prise de position par une saillie positiviste, par un surprenant renvoi au « réel » :
Une des modalités de ta bêtise est de bloquer la pensée à l’échelon moral, c’est-à-dire en-deçà de la pensée. Penser c’est toujours penser le réel et le filet de pêche moral attrape peu du réel (2019, p. 39).
D’abord la posture nietzchéenne classique : rejet d’une position morale. A noter que Bégaudeau rejette une position morale parce qu’elle est une position morale ; ce qui est déjà réducteur pour une analyse nietzschéenne – mais nous y reviendrons. Il choisit d’acculer son adversaire en disqualifiant sa position à cause de sa qualité intrinsèquement morale. Et à la morale il oppose « le réel ». On retrouve ici la position positiviste naïve, qui oppose tout aussi naïvement jugement de fait et jugement de valeur[6]. C’est là une position bien curieuse quand on connaît les thèses de Nietzsche au sujet de l’établissement de la vérité par les faits, au sujet, même, de la nature intangible des faits. On peut citer, par exemple, « Le voyageur et son ombre » :
De même que nous comprenons des caractères de façon imprécise, de même faisons-nous des faits ; nous parlons de caractères identiques, de faits identiques : il n’existe rien de tel. Cependant, nous ne louons et ne blâmons qu’en vertu de ce faux postulat qu’il y a des faits identiques, qu’il existe un ordre hiérarchisé de genres de faits auquel correspondrait un ordre hiérarchisé de valeurs […] Le mot et le concept sont la raison visible qui fait que nous croyons à cet isolement de groupes d’actions : ils ne nous servent pas seulement à désigner les choses, c’est l’essence de celles-ci que nous nous figurons à l’origine saisir par eux (1878, § 11)[7].
L’usage de la langue implique un découpage des choses, et la définition des faits consiste précisément en ce découpage. Tout ce qui est dit préjuge déjà d’une prise de vue, et en cela, pour reprendre encore Nietzsche, « toute parole est un préjugé » (ibid., § 55), toute parole « vraie » y compris. Il en découle que toute description du « réel » est conditionnée par l’acte arbitraire de désignation, auquel préside l’acte contingent d’établissement des conditions de possibilités de désignation – de ce qu’est le réel.
Nietzsche entretient de plus, de façon systématique, un rapport subjectif à la notion de vérité, rapport qui présuppose une relation tout aussi subjective au « réel ». Dans Ecce homo, Nietzsche doute par exemple pouvoir jamais trouver qui que ce soit capable de saisir « [ses] vérités » (1908, p. 130)[8]. Il récuse l’idée de « chose en soi », qu’il tient pour une « pure niaiserie » permettant précisément d’échafauder des morales de l’absolu (ibid., § 4, p. 135). Nietzsche rejette toute possibilité de vérité correspondance, et donc d’établissement de propositions inébranlables fondées sur les faits. En cela il se rapproche du second Wittgenstein[9], et très éloigné, de ce fait, du Wittgenstein qui pensait pouvoir établir la vérité sur la base de jugements de fait fondés sur un rapport logique du sujet au « réel ».
On pourrait croire toutefois que cet attachement au positivisme, manifeste chez le Bégaudeau d’Histoire de ta bêtise, est une malencontreuse sortie de route, un simple accident. Mais ce n’est pas le cas. Environ le premier quart de Comme une mule est une sorte de réquisitoire positiviste, d’ode aux « faits » contre la « morale » – puisqu’il va de soi que les deux s’opposent… Bégaudeau s’efforce de se justifier face à Ludivine Bantigny. Plutôt, il essaie de justifier sa « blague ». Il charge alors Bantigny et ses soutiens au motif qu’ils se moqueraient des faits et leur préféreraient une lecture morale de cette « blague », laquelle lecture morale conduirait à sa propre condamnation (morale donc). Se retrouve ici la même opposition entre morale d’une part, et faits de l’autre. Le même positivisme naïf. Cela conduit Bégaudeau à de curieuses conclusions, qui ressemblent d’assez près à des raccourcis plutôt malheureux :
Nous montons en politique quand nous tendons à objectiver un ressenti pour lui donner la consistance d’un fait. La formule d’un féminisme politique n’est pas : on te croit, mais : on t’écoute. On t’accorde une attention positivement discriminatoire par rapport à celle qu’on accorderait à un dominant. D’emblée on prête foi à ton besoin d’écoute. On te croit suffisamment pour ouvrir une enquête à partir de ce que tu racontes. Mais pas au point de te croire sans un examen des faits. Le fascisme est peut-être la politique non politique de celui qui affiche son mépris de la factualité. Le crédit absolu accordé à une victime, qu’elle soit femme battue, gosse maltraité, bijoutier en légitime défense, flic niant une bavure, est fasciste (2024, pp. 75-76).
Outre le fait que Bégaudeau mette sur le même plan, dans le cadre de l’application d’une politique fasciste réelle, la parole du flic qui ment et celle de la femme battue, ce qui, en plus d’être une position absolument idéaliste, est absolument grotesque, il s’abrite à nouveau derrière la même logique oppositionnelle entre faits et morale. Accorder du crédit à la voix de Ludivine Bantigny est une posture morale donc fasciste. Circulez, y a rien à voir. Rien que ça.
On imagine assez mal Nietzsche se réfugier derrière la sacralité des faits pour se défendre des assauts d’une femme qu’il aurait offensée par des mots maladroits – je n’ai pas dit « dégueulasses ». Et pour cause, cela ressemble, à s’y méprendre, à une posture misérabiliste, radicalement indigne du modèle aristocratique défendu par Nietzsche. Faut-il rappeler que, dans sa Généalogie de la morale[10], Nietzsche fait du bon non pas celui qui pardonne par sa volonté – car celui-là est déjà gangréné par la morale chrétienne –, mais celui qui pardonne par accident, parce qu’il oublie les offenses qu’il subi parce qu’il les juge insignifiantes (1887, « Première dissertation », § 10). Se justifier sans cesse à cause d’une attaque mal digérée contre soi, voilà précisément l’attitude de l’homme de ressentiment. Mais cela ne vaut pas grand-chose. On ne juge pas une idée par rapport à la cohérence pratique de son auteur. Tout le problème ici, réside dans sa cohérence théorique, qui peine à mêler positivisme naïf et plaidoirie discursive de la praxis nietzschéenne.
2. Système moral : le ressentiment comme fondement de la morale
La question du ressentiment, de la morale, et de la morale du ressentiment, méritent toutefois qu’on s’y attarde. C’est un thème nietzschéen classique. Le catéchisme est connu : la morale de ressentiment a pris le dessus sur la morale aristocratique et, avec son triomphe, s’annonce la victoire du bas peuple, du vulgaire, du médiocre. La philosophie nietzschéenne consiste à dessiner un espoir face à cette morosité, à cette décadence : le Surhomme.
Dans Notre joie, Bégaudeau parvient à prendre un peu de recul avec cette notion de ressentiment. Il intuitionne, à tout le moins, le caractère fondamentalement bourgeois de l’analyse nietzschéenne, qui réduit l’histoire humaine à une lutte de doctrines morales :
Très tôt les éditorialistes bourgeois avaient badigeonné le mouvement [des gilets jaunes] de leur mot repoussoir préféré : ressentiment. Dans leur lexique sommaire et malveillant, ressentiment désigne une jalousie armée de piques. Le pauvre ne subit pas l’oppression, il envie mesquinement les nantis (pp. 135-136).
Dans le lexique de Nietzsche aussi, le ressentiment est cette « jalousie armée de piques » qui anime « le pauvre », conduit par son « envie mesquine des nantis ». Bégaudeau prend ici Nietzsche à rebours. Nietzsche n’a pas de mots assez durs pour ridiculiser la morale du ressentiment et ses défenseurs. Il consacre à ce problème les trois dissertations de sa Généalogie de la morale. Cette critique de la morale du ressentiment est réaffirmée dans les textes du vieux Nietzsche. Elle se retrouve aussi bien dans L’Antéchrist[11] (e.g. § 20, § 24) que dans Ecce homo, ou encore dans le Zarathoustra[12], où est annoncée, dès le prologue, la figure du « dernier homme », aliéné jusqu’au dernier stade, gagné par la morale des esclaves (§ 5, sq.). Pour Nietzsche, l’homme de ressentiment n’est pas autre chose que ce que l’éditorialiste bourgeois, présenté par Bégaudeau sous des traits peu flatteurs, décrit. Dans le Crépuscule des idoles[13], pour railler l’héritage socratique de la philosophie, il écrit :
L’ironie de Socrate est-elle l’expression d’une révolte ? D’un ressentiment plébéien ? L’opprimé qu’il était savourait-il sa propre férocité à chaque coup de couteau du syllogisme ? Se vengeait-il des aristocrates qu’il fascinait ? (p. 22).
Nietzsche explique la démarche socratique à partir de la position sociale de Socrate et de la psychologie censée en découler. Socrate, homme de ressentiment, cherche à se venger des aristocrates authentiques qui n’ont que faire de ses jeux de logique, de ses vérités. Socrate l’envieux. Socrate le jaloux. Il aurait été moins amer s’il avait appartenu à la haute société. Il l’aurait été moins encore s’il ne s’était pas apitoyé dans son ressentiment. Socrate et ses disciples, dans la bouche de Nietzsche, trouvent leurs semblables en termes de misère et de ressentiment chez les gilets jaunes, dans la bouche des éditorialistes bourgeois. Ainsi ne peut-on pas tenir pour juste l’analyse nietzschéenne de la morale d’une main, et la balayer de l’autre.
Mais François Bégaudeau s’égare-t-il dans pareilles contradictions ? Dans Notre joie, encore, on peut lire :
La militance renifle en moi ce que la morale, confite de sa bêtise propre, de son ressentiment fondateur, appelle égoïsme. A ses yeux cela ne me rend pas exactement sympathique. Si l’individualisme est maudit à gauche, c’est en tant que synonyme implicite d’égoïsme (p. 206).
Le doute n’est plus permis : la morale est fondée par le ressentiment. Quant aux conclusions tirées par Bégaudeau ici, il semblerait qu’elles penchent en faveur d’une critique d’une gauche morale – d’autant plus critiquable qu’entièrement fondée sur le ressentiment – ; mais ceci est un autre problème. Ce qu’on peut – qu’on doit – retenir, c’est que, au sens de Bégaudeau, la morale est la conséquence nécessaire d’un ressentiment. Cela conduit à une conclusion nécessaire : Bégaudeau essaie de faire coïncider, en fonction des besoins de son argumentation, des épistémologies contradictoires. Il saisit Nietzsche comme on s’empare d’un paquet de biscuits au supermarché, parce qu’on a subitement envie de les tremper dans un thé chaud. Mais après, les biscuits peuvent moisir dans notre placard ; dans le pire des cas, on pourra toujours en racheter en cas de besoin – en cas de désir. Cette assimilation entre morale et ressentiment n’est pas le fait du hasard. Bégaudeau la reproduit dans Comme une mule :
Les trois voies possibles de la réprobation morale y sont : 1 répression : le morceau (de steak, de punk) me plaît mais je ravale ce plaisir qui m’a échappé comme un lapsus ; 2 incorporation : j’ai tellement incorporé la vigilance morale que le morceau me laisse de marbre ; 3 ressentiment : le morceau me laisse de marbre donc je le réprouve. La saisie morale de l’art apparaît alors comme une conséquence et non comme une cause de l’incapacité à le recevoir. La politimanie comme palliatif à une incapacité esthétique (2024, p. 255).
Bégaudeau réfléchit à la capacité d’apprécier une œuvre pour sa seule dimension esthétique, sans que les considérations morales qui pourraient entourer la réprobation de cette œuvre entrent en ligne de compte. J’aime les films de Woody Allen, mais Woody Allen est un sale type, que je n’aime pas. Cela m’empêche-t-il d’aimer ses films ? Cela doit-il m’empêcher d’aimer ses films ? – la question devient ici normative. La politimanie, concept inventé par Bégaudeau, qui ne se retrouve dans aucune littérature, aucun domaine de recherche, est cette propension à politiser l’œuvre d’art, à la tenir d’abord pour objet politique, et seulement ensuite pour objet artistique. Bégaudeau tend à psychologiser le propos, puisqu’il fait de la saisie morale la conséquence et non la cause du rejet de l’œuvre à cause de sa dimension immorale – auteur problématique, criminel, conséquences de la création, etc. Cet affect bégaudien pour la psychologie pourrait lui-même être discuté, mais ce n’est pas tant ce qui nous intéresse ici. Ce qui est intéressant, c’est l’association nouvelle entre ressentiment et réprobation morale. La réprobation morale, et avec elle la saisie morale, viendrait d’un désamour, sinon d’une haine, envers l’objet qui me déplaît. Et alors en un second temps vient la justification morale, comme mode de rationalisation du ressentiment. La morale émerge de la haine d’un objet déterminé. Cette idée psychologique, selon laquelle la morale est conséquence de l’incapacité de jouir de l’art, est en elle-même assez nietzschéenne. L’homme de ressentiment est incapable de jouir. Il préfère le refuge confortable de la haine. En faisant de la haine de l’objet extérieur la raison de ses valeurs et de ses actions, il n’a plus à culpabiliser de manifester une forme inférieure de vie, inapte au plaisir. Tous les humains ne se valent pas. On est chez Nietzsche.
Chez Bégaudeau, comme chez Nietzsche, la morale puise sa source dans le ressentiment. Mais est-on tout à fait assuré que, chez Nietzsche, la morale puise nécessairement sa source dans le ressentiment ? Pour Bégaudeau, il y a peu de risque de quiproquo. Partout où il y a la morale, il y a le ressentiment. Le ressentiment comme fondement de la morale. Quand il ne le dit pas directement, il le dit indirectement :
Morale et politique ne sont pas si aisément dissociables. Elles se touchent ; un même geste les entrelace. Morale et politique sont deux modes d’appréhension entre lesquels je ne cesse d’osciller. À 9 h 45 je traite Macron de salaud (morale), à 9 h 53 je songe qu’il n’est qu’un précipité de la classe où il a eu le malheur de naître (politique) (ibid., p. 103).
L’injure comme conséquence du ressentiment, le ressentiment comme cause de la morale. Ou quand ce n’est pas le ressentiment qui fonde la morale, c’est l’un de ses avatars, un sentiment négatif, l’indignation, la militance ; bref toute disposition susceptible de faire dévier le sujet de la réalité des faits – là se retrouve le positivisme naïf. Les occurrences sont multiples dans Comme une mule. La morale est corrélée au militantisme politique féministe (ibid., p. 67, p. 85, p. 100, p. 103, etc.). Elle découle de l’indignation (ibid., p. 163). La morale comme conséquence de l’incapacité de jouir, comme aptitude à corrompre la jouissance en jugement (ibid., p. 168). Et ainsi de suite. Quand le ressentiment n’est pas explicitement le fondement de la morale, il l’est en l’origine logique. Le sujet accède au militantisme, à l’indignation, est incapable de jouir, du fait du ressentiment. Sans ressentiment, pas de morale. Mais est-ce vraiment ce qu’affirme Nietzsche ? Nietzsche opère-t-il une telle réduction ? – de la morale à la sphère du ressentiment. Bien sûr que non.
La philosophie nietzschéenne est normative vis-à-vis de la question morale. Si Nietzsche déplore la morale de ressentiment, il ne fait pas de la morale la conséquence du ressentiment. Il n’y a que la morale du ressentiment qui est la conséquence du ressentiment. Et le ressentiment est lui-même, d’après Nietzsche, la conséquence de dispositions physiologiques – point évacué par Bégaudeau, et pour cause. Dans Par-delà le bien et le mal, on peut lire :
Il y a une morale de maîtres et une morale d’esclave. J’ajoute dès maintenant que dans toute civilisation supérieure qui présente des caractères mêlés, on peut reconnaître des tentatives d’accommoder entre elles les deux morales, plus souvent encore la confusion de toutes les deux, un malentendu réciproque. On rencontre même parfois leur étroite juxtaposition, qui va jusqu’à les réunir dans un même homme, à l’intérieur d’une seule âme. Les différenciations de valeurs dans le domaine moral sont nées, soit sous l’empire d’une espèce dominante qui ressentait une sorte de bien-être à prendre pleine conscience de ce qui la plaçait au-dessus de la race dominée, — soit encore dans le sein même de ceux qui étaient dominés, parmi les esclaves et les dépendants de toutes sortes. Dans le premier cas, lorsque ce sont les dominants qui déterminent le concept « bon », les états d’âmes sublimes et altiers sont considérés comme ce qui distingue et détermine le rang. L’homme noble se sépare des êtres en qui s’exprime le contraire de ces états sublimes et altiers ; il méprise ces êtres. Il faut remarquer de suite que, dans cette première espèce de morale, l’antithèse « bon » et « mauvais » équivaut à celle de « noble » et « méprisable ». L’antithèse « bien » et « mal » a une autre origine. On méprise l’être lâche, craintif, mesquin, celui qui ne pense qu’à l’étroite utilité ; de même l’être méfiant, avec son regard inquiet, celui qui s’abaisse, l’homme-chien qui se laisse maltraiter, le flatteur mendiant et surtout le menteur. C’est une croyance essentielle chez tous les aristocrates que le commun du peuple est menteur (1886, § 260, pp. 324-325)[14].
Difficile de faire plus clair. Les aphorismes de ce genre sont légions chez Nietzsche. La distinction entre morale du maître, qui distingue « bon » et « mauvais », de la morale d’esclave, qui repose sur la séparation entre « bien » et « mal » est le thème de la Généalogie de la morale. Et tout le propos de Nietzsche consiste précisément à renverser la morale d’esclave pour lui substituer des valeurs aristocratiques. Il l’écrit de manière explicite à la toute fin de la première dissertation de la Généalogie de la morale :
Toutes les sciences devront préparer dorénavant la tâche du philosophe de l’avenir : cette tâche consiste, pour le philosophe, à résoudre le problème de l’évaluation, à déterminer la hiérarchie des valeurs (op.cit., Première Dissertation).
La morale n’est pas un problème en soi. Le problème c’est la morale du ressentiment et sa hiérarchie de valeurs. La finalité de l’entreprise nietzschéenne n’est pas l’abolition de la morale à laquelle se substituerait la jouissance, mais la disparition de la morale d’esclave à laquelle se substituerait une morale aristocratique fondée non pas sur un sentiment négatif, mais sur un sentiment positif. Jamais Nietzsche n’opère le réductionnisme bégaudien selon lequel Morale = Ressentiment. Chez Nietzsche, la morale s’inscrit dans un processus historique de renversement des valeurs, et dans la perspective d’un nouveau renversement en faveur d’une morale aristocratique. Le projet même de Surhomme est un projet historique et moral. Le Surhomme a triomphé de la morale du ressentiment. Il est, selon Nietzsche, cet artiste, ce vagabond, cet aventurier, qu’il décrit dans le § 42 du Gai Savoir[15]. Le Surhomme n’est pas un sujet en dehors de la morale.
À l’évidence, cela reviendrait à faire un procès injuste à Bégaudeau que de soupçonner qu’il ait pu mécomprendre Nietzsche sur ce point précis – et pourtant central chez Nietzsche. Une autre hypothèse est possible : Bégaudeau a parfaitement compris que le Surhomme n’est pas un idéal a-moral, mais comme cette dimension de la philosophie nietzschéenne ne sert pas son propos, il s’en défait et considère d’emblée qu’il est possible de rejeter tout jugement moral parce qu’il s’agit d’un jugement moral. Chez Bégaudeau, la morale n’est pas opposée à la noblesse, ni à des valeurs supérieures. Chez Bégaudeau, la morale dérive du ressentiment et est opposée au plaisir, lequel plaisir est vidé de toute substance morale. Bégaudeau s’approprie Nietzsche en le rendant méconnaissable. Pour ainsi dire, il utilise Nietzsche, il le brandit, afin de justifier la disqualification a priori nécessaire de tout jugement moral. Dans la perspective de Bégaudeau, le problème de la morale n’est pas tant le ressentiment que le manque d’objectivité qu’implique le ressentiment. Le problème de la morale, chez Bégaudeau est, dans le fond, le problème de la séparation des faits et des valeurs ; ce qui n’est jamais le cas, chez Nietzsche.
C’est un point intéressant car on aurait pu considérer qu’il existe une forme d’incohérence dans le traitement que Bégaudeau fait de la question morale. D’une part siègerait une morale confinée au domaine des valeurs, d’où dériveraient des jugements faciles à disqualifier parce qu’ils seraient intrinsèquement incompatibles avec des jugements de faits. C’est le versant positiviste de la disqualification du jugement moral bégaudienne, qui repose tout entière sur la dichotomie fait valeur. D’autre part la morale trouverait son essence dans le ressentiment, comme le conçoit Nietzsche, pour la morale des dominés, des esclaves. Et la disqualification du jugement moral proviendrait de l’incapacité qu’il exprime à jouir des plaisirs matériels de l’existence. D’un côté une morale positiviste, de l’autre une morale du plaisir. Mais ce n’est pas ainsi que se déploient les idées de Bégaudeau. Cette incohérence, chez lui, n’existe pas. La raison en est qu’il n’oppose pas, comme le fait Nietzsche, morale du ressentiment et morale du plaisir. A la morale du ressentiment il oppose la capacité de jouir. Et rappelons-nous que, pour Bégaudeau, la morale du ressentiment est la conséquence de cette incapacité. Elle n’est pas, comme c’est le cas chez Nietzsche, le résultat d’une position sociale, d’une faiblesse sociale, ni même d’une faiblesse individuelle, mais bien d’une disposition psychologique fondamentale – ou peut-être psychosociale. La morale, pour Bégaudeau, est un voile posé devant l’objectivité humaine, objectivité rendue impossible parce que troublée par le ressentiment. Ce sont donc des motifs positivistes ou, pour le dire autrement, c’est la séparation fait valeur, qui conduisent Bégaudeau à rejeter la morale de ressentiment. Ce n’est qu’incidemment que cette morale s’oppose au plaisir. Elle s’y oppose parce qu’elle est fondée sur le ressentiment et que le ressentiment fait obstacle, d’après Bégaudeau, au plaisir. Mais elle ne s’y oppose pas en tant que système de valeurs échelonné sur le ressentiment face à un système de valeurs echelonné sur la base du plaisir matériel et spirituel.
S’il faut encore se convaincre de la cohérence d’un système bégaudien de la morale fondé sur un positivisme naïf, il ne reste plus qu’à remarquer que, là où Nietzsche fait de la morale une question historique et sociale[16], Bégaudeau déshistoricise la morale. La morale (du ressentiment), chez Bégaudeau, est saisie comme pur objet de la connaissance. Nietzsche considère que la morale du ressentiment est l’aboutissement d’un processus historique et social long qui voit le triomphe des valeurs chrétiennes ; il est là un début de pensée dialectique. Mais cette dialectique, sur la question morale, est évincée par Bégaudeau, pour qui la morale du ressentiment est un simple objet de la connaissance. Et en tant que tel, cet objet moral est connu pour émerger du ressentiment. Voilà qui est vrai de tout temps, pour toute morale ; parce que c’est ainsi qu’est la morale, c’est à cela qu’elle se réduit. Or déshistoriciser un objet socio-historique pour le ramener à un objet intemporel de la connaissance est précisément une démarche positiviste naïve. Bégaudeau traite la question morale comme un physicien traite celle de la gravitation.
3. Le féminisme moral
La question du féminisme et, avec elle, celle du traitement juste des violences sexistes et sexuelles, est traitée à travers ce même système moral dans Comme une mule. Sur la question féminine, Bégaudeau se situe à la fois très loin et très près de Nietzsche. Très loin parce que, malgré l’appropriation d’un vocable nietzschéen, le travestissement de la pensée de Nietzsche rend cette pensée étrangère, sinon en apparence, au propos avancé par Bégaudeau. Très près parce que, au bout du compte, le philosophe allemand comme le romancier français expriment à l’égard du genre de féminin le même genre de mépris ; même si, il serait malhonnête de l’avouer, Bégaudeau a pour lui la conscience du mépris – jusqu’à un certain point ; mais il a toujours la conscience du problème patriarcal ; or la conscience, comme toute chose du monde des idées, ne suffit pas.
En reprenant les idées de Morgane Merteuil, Bégaudeau distingue féminisme moral et féminisme politique :
La même Merteuil opère une distinction nette « entre un féminisme moral, partisan d’une approche individualisante, et un féminisme politique, qui s’attaque à la production matérielle de ces violences ». Le féminisme à dominante morale se caractérise par la focalisation sur les VSS. L’urgence est à la surveillance et à la punition des agresseurs physiques (Nordahl Lelandais) et verbaux (moi). Logiquement, Morgane Merteuil tique sur cette focalisation. Outre son soubassement puritain, carcéraliste, punitiste, cette manœuvre n’a-t-elle par pour dessein d’oblitérer la frange proprement sociale de la domination masculine, et d’abord son lien organique avec la loi du marché ? (op.cit., p. 100).
François Bégaudeau ne cite pas source. Voici le propos de Merteuil tel qu’elle le prononce elle-même – le détour vaut la peine :
Ainsi, le vocable VSS traduit aujourd’hui majoritairement une conception de la violence comme ce qui est exercé par les hommes sur les femmes. Cette violence est « systémique » en ce qu’elle est massive, et nourrie par différents mécanismes du « système » (patriarcal) : à un bout de la chaîne, les petites filles à qui on apprend à se soumettre alors qu’on développe les traits de la masculinité toxique chez les petits garçons ; à l’autre, le féminicide (conjugal). Entre les deux, un ensemble d’individus et d’institutions qui reproduisent cette oppression, notamment via la culture du viol (des « harceleurs de rue » aux flics qui ne prennent pas les plaintes). En d’autres termes, le « système patriarcal » est avant tout un système moral : c’est parce qu’il est animé par une mauvaise morale que les femmes y sont violentées. Aussi, il faut que « la honte change de camp », comme si tout n’était finalement qu’affaire de probité morale, non de rapports de pouvoir. Si on va au bout de cette logique davantage morale que politique, et qui a sa pertinence, la lutte contre les VSS revient à préserver un ordre intrinsèquement producteur de violences, en le parant d’un vernis féministe. Il convient de rompre avec cette tendance[17].
Merteuil s’exprime dans un article intitulé « VSS, Politiser la lutte contre les violences sexistes et sexuelles ». Le but, donc, de cet article, n’est pas a priori de ne pas prendre en compte la lutte contre les VSS, mais bien de les politiser. Contrairement à ce que laisse entendre Bégaudeau, le dépassement politique du féminisme moral ne peut servir d’excuse à la normalisation des VSS ni, dans une moindre mesure, d’argument visant à disqualifier une dénonciation de VSS, appartînt-elle au champ moral. Merteuil ne « tique » pas sur la focalisation morale du féminisme de la vague Meetoo, elle essaie de l’inscrire dans une démarche politique et théorique globale qui dépasse sa dimension a priori individualisante.
Si le féminisme moral est limitatif, ce n’est pas, sous la plume de Merteuil, parce qu’il exclut toute dimension systémique, ou qu’il empêche de percevoir les problèmes concrets auxquels donne lieu le patriarcat, mais c’est parce que le genre de transformation qu’il promet lui paraissent inefficaces sur le plan politique. Merteuil défénd, dans son article, une approche marxiste. Elle considère que la lutte pour « l’égalitarisme » entre les genres est vaine ; c’est un pis-aller. Au contraire, Merteuil questionne la notion de « travail reproductif », développé ailleurs chez les féministes marxistes[18] « en visant notamment un au-delà de la famille nucléaire » (ibid.). C’est un projet de transformation sociale que défend Morgane Merteuil, pas sa propre personne devant une avalanche de jugements moraux et politiques accablants.
De même, l’anticarcéralisme de Merteuil, sa frilosité à l’égard du système pénal, ne sont pas un rejet en bloc des dénonciations des VSS, mais une porte ouverte vers des transformations sociales profondes qui visent à rompre avec le patriarcat autrement qu’en réformant les pratiques patriarcales au sein d’un monde patriarcal. Parce qu’elle est matérialiste, Merteuil récuse l’idée que la seule éducation, qui vise à « rendre les hommes gentils », est insuffisante pour abolir le patriarcat. Parce qu’elle propose une lecture marxiste, Merteuil considère que le patriarcat, de par sa consubstantialité avec les structures sociales capitalistes, ne peut être aboli que si le capitalisme atteint son terme. Comme on doit transformer et non réformer le capitalisme si on veut s’en défaire – c’est-à-dire le faire devenir autre chose qui ne soit plus jamais lui –, on doit transformer et non réformer le patriarcat si on veut en être débarrassé. Cela ne signifie pas qu’il faut arrêter de dénoncer les VSS, ou qu’il faut délaisser les questions morales inhérentes au patriarcat, ou encore qu’il ne faut pas recourir au système judiciaire pour encadrer et, si cela l’exige, punir, les auteurs de VSS. Aussi, quand Bégaudeau lâche « [le néopaternalisme] s’en tiendra donc à son programme libéral-moral-répressif – traquer les monstres –, qu’il doublera d’un programme éducatif : redresser les monstres. « Rendre les hommes gentils », se moque Morgane Merteuil » (op.cit., p. 99), il ne voit pas que Merteuil ne moque rien du tout. Elle ironise sur une pratique féministe qu’elle juge, en tant que femme, limitative. Mais jamais elle ne dit qu’il faut cesser de dénoncer les VSS. Elle dit d’ailleurs textuellement l’inverse dans son article :
La dénonciation des VSS est évidemment nécessaire : après des siècles de domination, les victimes sont enfin écoutées et les agresseurs mis en cause. Mais cette lutte urgente ne peut masquer que le bloc féministe est fissuré par d’importantes contradictions internes, qu’il devra dépasser, quitte à affirmer de nécessaires ruptures entre « sœurs ». Comment combattre le système patriarcal aux côtés d’un gouvernement comptant Darmanin dans ses rangs ? (op.cit.).
Comment faire plus clair ? Pour Merteuil, la dénonciation des VSS est nécessaire, mais pas suffisante.
Merteuil voit sans doute dans ce féminisme moral le miroir de l’idéalisme bourgeois – c’est ainsi qu’il se pense, d’un point de vue marxiste. Le féminisme moral pense pouvoir changer l’ordre patriarcal par la dénonciation d’attitudes problématiques et violentes, ainsi que par l’éducation du genre masculin. Le féminisme politique considère que le patriarcat survivra sans transformations sociales et économiques plus fondamentales ; rejet du capitalisme, de la famille nucléaire comme modèle, etc. Mais cela ne signifie pas qu’il faille renoncer à un féminisme moral. Ce n’est pas parce qu’il est urgent, pour Merteuil, de transformer en profondeur la société, qu’il faut cesser de « traquer les monstres » et d’« éduquer » les hommes.
A cela s’ajoute une dernière chose. Merteuil parle en tant que femme et avance des propositions théoriques pour faire progresser le féminisme. Elle confronte une position théorique à une autre position théorique, et aspire à un dépassement de l’une par l’autre. Que ses propositions soient pertinentes ou pas, là n’est pas la question ; ce sont aux théoriciennes féministes d’en décider. En d’autres termes, Merteuil n’est pas un homme qui s’adresse à un public dans le but de justifier une posture vis-à-vis d’une femme par des éléments de théorie féministe. Morgane Merteuil n’est pas François Bégaudeau.
Il y a un continuum dans le discours de Bégaudeau, dans sa façon de mobiliser la morale pour disqualifier des positions adverses. On l’aura compris, Ludivine Bantigny et ses alliés – contre qui est écrit Comme une mule – sont rangés dans la catégorie « féminisme moral ». Iels attendent des excuses, que François Bégaudeau fasse amende honorable, bref, qu’il admette et expie sa faute – et on n’en parle plus. Bégaudeau refuse de se prêter au jeu parce qu’il est hors de question de verser dans la morale – c’est-à-dire, dans sa bouche, dans le ressentiment. Certes on pourrait objecter que le « féminisme moral » n’est pas nécessairement moral au sens de la morale du ressentiment. Mais ce n’est pas ainsi que fonctionne le système Bégaudeau. Si on admet la continuité entre l’interprétation bégaudienne de la morale nietzschéenne et le positivisme de Bégaudeau, alors on comprend que la morale doit être saisie comme un objet invariable, dont la saisie ne dépend ni d’un contexte social, historique, ni d’un contexte épistémologique. Le positivisme naïf se défait des querelles épistémologiques en postulants qu’il existe un accès aux faits trans-épistémologiques. En vérité, l’idée n’est pas énoncée de manière explicite, mais c’est une hypothèse raisonnable, qui explique comment on passe de Nietzsche au positivisme, et du positivisme à la critique politique du féminisme moral. Dans « féminisme moral », Bégaudeau entend « ressentiment », « inaccessibilité aux faits », en somme « subjectivité ». Il s’agit de balayer la subjectivité morale afin de produire un compte-rendu objectif de l’état des luttes féministes, du patriarcat, et de trouver des solutions objectives pour renverser le patriarcat.
4. L’homme féministe
S’il peut exister un féminisme politique, c’est-à-dire un féminisme objectif, alors les luttes féministes n’appartiennent plus aux femmes seules. Les hommes peuvent également s’approprier le combat féministe. De là découle le concept, chez Bégaudeau, « d’homme féministe » :
Je m’en vais poser, en toute illégitimité, qu’un homme féministe est un homme attentif aux femmes. Pas au sens où il a de ces petites attentions dont un macho chevronné est prodigue – et quelle contrepartie en nature attend-il d’une bague offerte pour la Saint-Valentin ? L’Arlésien féministe n’est pas attentif aux femmes mais à la condition féminine ; aux rapports de force entre les sexes qui se rejouent quotidiennement au détriment du sexe socialement faible […] Pour peu qu’ils lui parviennent, les paradigmes féministes font voir à un homme des choses qu’il ne voyait pas. Je vois que chez mes voisins de palier c’est madame qui accompagne le gosse à l’école et monsieur qui parlemente avec les artisans payés pour daller leur terrasse. Je vois que tous les profs de cette école REP + où j’interviens sont des femmes et j’y vois le signe d’un déclassement du métier. J’ai aussi le superpouvoir de voir l’invisible : l’absence de femmes sur cette estrade de débat, à cette réunion chez un producteur de ciné, dans les commentaires d’un stream consacré aux tensions en mer de Chine, à la terrasse du PMU d’en bas […] L’homme féministe accède à pléthore de nouvelles perceptions qui lui font mesurer combien ses camarades de genre sont encore plus mal barrés que lui pour le devenir (2024, pp. 134-135).
Les lecteurs et lectrices familiers et familières de la littérature féministe seront surpris.e.s de cette autodéclaration : « je suis un homme féministe ». Cette autodéclaration est d’autant plus surprenante que la littérature féministe sur la question de « l’homme féministe » n’abonde pas – ou, pour ainsi dire, est presque inexistante. Un autre problème réside dans le fait que Bégaudeau décide unilatéralement de se déclarer féministe, sans en passer par la validation préalable des théoriciennes et militantes féministes ; et pour cause, manifestement, celles-ci ne lui reconnaissent pas une grande légitimité en la matière. À dire vrai, on peine à trouver un seul soutien d’une féministe à son endroit. Que penser alors du « féminisme politique » de son « homme féministe », qui ne trouve de reconnaissance que chez les hommes, mais aucune chez les militantes féministes ? Faut-il rappeler que nombre d’hommes qui prétendent défendre les intérêts des femmes diffusent des propagandes masculinistes qui propagent les stéréotypes de genre les plus élémentaires ? Ce n’est pas à un homme de se déclarer féministe. C’est une impossibilité sociale et historique.
Là encore il y a continuum dans la pensée développée par Bégaudeau, de son interprétation de Nietzsche au traitement qu’il réserve au problème de la lutte des femmes par les femmes pour la défense de leurs droits, de leurs intérêts, et pour les perspectives de transformations sociales qu’elles peuvent envisager. La disqualification du féminisme non compatible avec la vision du monde de Bégaudeau est une disqualification morale :
Sur cette lancée morale, le non-rieur va vite prétendre parler pour les autres, prétendre que la blague ne le gêne qu’en tant qu’elle pourrait blesser des gens. Mais c’est bien de lui qu’il s’agit – le discours moral renseigne d’abord sur qui l’émet. L’humiliation dont semble s’émouvoir son altruisme, c’est la sienne. Celle de ne pas rire. Tu me domines par le talent, je reprends le dessus en te jugeant. Tu es plus drôle, je serai plus vertueux (ibid., p. 197).
Les schémas nietzschéens, largement développés dans la deuxième dissertation de la Généalogie sont transparents – bien que Bégaudeau, une fois encore, évacue toute la dimension historique de ces schémas. Du reste, le propos est encore largement discutable. Tant de choses peuvent conduire une personne à ne pas rire à une « blague » offensante qui sont extérieures à des mécanismes psychologiques individuels, ou encore au jeu de la volonté. Tant de raisons sociales, politiques, peuvent contrarier le rire. Un féminisme politique, d’ailleurs, peut contrarier le rire comme réaction à une blague qui humilie publiquement une femme. Mais la grille de lecture est plus simple dans Comme une mule, sinon simpliste. La morale vient du ressentiment. Le ressentiment est destructeur. Les condamnations morales de la « blague » de Bégaudeau sont destructrices. Le féminisme est un mouvement émancipateur. Les anti-Bégaudeau sont des anti-féministes – on est vraiment à deux doigts de cela.
Tout, dans Comme une mule, est à l’avenant. Le regard qu’il porte sur le traitement des VSS par le système judiciaire illustre le système bégaudien de la morale. La justice est réduite au maintien de l’ordre (p. 84), et la fonction du juge de rendre la morale et non la vérité : « Les plaignantes diront le Bien pour les femmes, le juge dira le Bien pour la société, et nul ne se souciera du vrai » (p. 85). Le juge n’obéirait ainsi plus à la loi, mais il obéirait à la morale. Et, pour illustrer cette idée, Bégaudeau prend en exemple les « comparutions immédiates » expédiées les unes après les autres par la justice (id.). Mais en quoi les jugements, que d’aucuns pourraient parfois jugés injustes et lapidaires, rendus en comparutions immédiates, sont-ils la preuve du caractère fondamentalement moral du système judiciaire ? De très nombreux facteurs sociaux, historiques, économiques, anthropologiques, expliquent les dysfonctionnements de la justice bien mieux que la proposition simpliste et incroyablement idéaliste selon laquelle « le juge veut faire le Bien et se moque du Vrai ».
Cet idéalisme traverse d’ailleurs la pensée de Bégaudeau ; de sa conception positiviste de la morale nietzschéenne, en passant par son rejet du système judicaire, jusqu’à son rejet d’un féminisme qu’il juge moral – lequel devrait être idéalement remplacé par une version plus politique du féminisme. Il en trouve l’illustration dernière dans ses prises de positions au sujet de celles qui réclamaient des peines exemplaires pour les violeurs de Gisèle Pélicot. Dans le podcast de Là-bas si j’y suis, paru en février 2025, il affirme :
Quand vous avez des féministes qui sont devant le palais d’Avignon, devant le palais de justice d’Avignon et qui crient « vingt ans chacun ! », pour tous les cinquante violeurs de Mazan, « vingt ans chacun ! », « vingt ans chacun ! », c’est un slogan fasciste[19].
Il enchaîne en précisant que la justice doit exiger des traitements spécifiques et non punir aveuglément – ce qu’elle fait par ailleurs, de façon imparfaite, certes, mais concrète. Le renversement des stigmates est total. Les soutiens de la victime d’une série de viols, parce qu’iels réclament une punition exemplaire pour les violeurs, sont des fascistes. Ce qui explique leur slogan n’est pas leur colère, qui pourra retomber, n’est pas leur affliction, n’est pas leur compassion, non, c’est leur fascisme. Voilà un jugement bien lapidaire. Mais, on l’aura compris, ces soutiens à Gisèle Pélicot produisent un geste issu de leur ressentiment – et donc fondamentalement mauvais.
Conclusion
Les lecteur.rice.s de Nietzsche savent la haute estime en laquelle le philosophe allemand tient le genre féminin. Ces lecteur.rice.s peuvent souffler : Bégaudeau s’écarte de Nietzsche, dès qu’il est question de problèmes sociaux et politiques. Toutefois il s’en inspire pour définir son cadre épistémologique. Nous avons essayé ici d’en définir les frontières en prenant pour point de départ son interprétation de la morale nietzschéenne. Il apparaît, à partir de cette lecture, que l’épistémologie dans laquelle se déploie le discours de François Bégaudeau est positiviste d’inspiration nietzschéenne. D’inspiration nietzschéenne parce qu’elle emprunte à Nietzsche sa notion de « morale du ressentiment » ; positiviste parce qu’elle vide la morale nietzschéenne de toute sa dimension dialectique et socio-historique. Bégaudeau utilise Nietzsche pour figer une fois pour toute une définition de la morale que Nietzsche inscrit dans une histoire humaine qui oblige à la tenir pour contingente. En somme, Bégaudeau transforme la morale contingente que pense décrire Nietzsche en une morale nécessaire. La morale passe d’objet de la connaissance historique à objet connu transhistorique.
Assez curieusement, par conséquent, le projet bégaudien est assez profondément anti-nietzschéen sur le plan épistémologique. Sur un plan plus personnel, cela se discute peut-être ; mais les raisons sont tout autres. Les philosophes critiques de Nietzsche ne concluraient sans doute pas autrement. Dans La destruction de la raison, Lukács démontre rigoureusement le caractère systémique de la pensée nietzschéenne ; et qu’ainsi le projet politique impérialiste, pro-esclavagiste, réactionnaire, de Nietzsche, est indissociable de ses récits historiques au sujet de la morale[20]. Dans son petit essai, Nietzsche, philosophe réactionnaire, Losurdo montre que, pour défendre une position nietzschéenne et progressiste, cela en passe nécessairement par une torsion des positions ouvertement et systématiquement réactionnaires de Nietzsche[21]. Telle est la voie empruntée par Bégaudeau. Torsion, récupération et travestissement de Nietzsche.
Pour autant le projet bégaudien n’a pas pour lui l’évidence de la volonté progressiste. Ses assauts répétés contre un féminisme qu’il juge, à partir de sa position d’homme, illégitime, inapproprié, irrecevable car moral, semblent plutôt indiquer la direction opposée. Son positivisme naïf, résolument idéaliste, et avec lui son désintérêt des dynamiques historiques, l’ancrent, sur le plan épistémologique, plutôt dans la tradition conservatrice. Bien que les références au marxisme pleuvent chez Bégaudeau, le grand absent de Comme une mule et, en général, de ses analyses politiques, est Marx ; et avec lui le marxisme et sa dialectique, et son sens historique.
Références bibliographiques
« Rencontre avec François Bégaudeau (culture, gauchisme, LGBT, Nietzsche…) #SquatPhilo, DanyCaligula, mars 2021.
« François Bégeaudeau, l’entrevue ultime – face à A gauche – Episode 14 », A gauche, février 2023.
Bégaudeau, F. (2019). Histoire de ta bêtise, Pauvert.
Bégaudeau, F. (2021). Notre joie, Pauvert.
Bégaudeau, F. (2024). Comme une mule, Stock.
Bégaudeau, F. (2025). « Bégaudeau comme une mule ! », Là-bas si j’y suis, 25 février 2025, en ligne : https://la-bas.org/la-bas-magazine/entretiens/begaudeau-comme-une-mule.
Bowles, M. J. (2003). « The Practice of Meaning in Nietzsche and Wittgenstein », Journal of Nietzsche Studies, n° 26, pp. 12-24.
Federici, S. (2019). Le capitalisme patriarcal, trad. Etienne Dobenesque, La Fabrique Editions.
Foucault, M. (1980). Du gouvernement des vivants. Cours au Collège de France 1979-1980, Seuil, 2012.
Hume, D. (1740). A Treatise of Human Nature, Oxford University Press, 1960.
Hume, D. (1748). Enquête sur l’entendement humain, trad. Michel Malherbe, Vrin, 2008.
Losurdo, D. (1997). Nietzsche, philosophe réactionnaire, pour une biographie politique, trad. Aymeric Monville et Luigi-Alberto Sanchi, Éditions Delga, 2007.
Lukács, G. (1954). La destruction de la raison. Nietzsche, trad. Aymeric Monville, Éditions Delga, 2012.
Merteuil, M. (2023). « VSS, Politiser la lutte contre les violences sexistes et sexuelles », Socialiter, 18 juillet 2023, en ligne : https://www.socialter.fr/article/morgane-merteuil-violences-sexistes-sexuelles-politique.
Nietzsche, F. (1878). Humain, trop humain, II, trad. Robert Rovini, Gallimard, 1987.
Nietzsche, F. (1882). Le gai savoir, trad. Alexandre Viallate, Gallimard, 1950.
Nietzsche, F. (1885). Ainsi parlait Zarathoustra, trad. Georges-Arthur Goldschmidt, Librairie Générale Française, 1983.
Nietzsche, F. (1886). Par-delà le bien et le mal, trad. Henri Albert, Librairie Générale Française, 2000.
Nietzsche F. (1887). Généalogie de la morale, trad. Gratien, J. et Hindelbrand, I., Gallimard,1971.
Nietzsche, F. (1888). Crépuscule des idoles, trad. J-C Hémery, Gallimard, 1974.
Nietzsche, F. (1889). L’Antéchrist, trad. J-C Hémery, Gallimard, 1974.
Nietzsche, F. (1908). Ecce homo, trad. Jean-Claude Hémery, Gallimard, 1974.
Wittgenstein, L. (1921). Tractatus logico-philosophicus, trad. Gilles-Gaston Granger, Gallimard, tél, 2001.
Wittgenstein, L. (1953). Recherches philosophiques, trad. Françoise Dastur, Maurice Elie, Jean-Luc Gautero, Dominique Janicaud, Elisabeth Rigal, Gallimard, tél, 2004.
[1]« Rencontre avec François Bégaudeau (culture, gauchisme, LGBT, Nietzsche…) #SquatPhilo, DanyCaligula, mars 2021.
[2]« François Bégeaudeau, l’entrevue ultime – face à A gauche – Episode 14 », A gauche, février 2023.
[3]Bégaudeau, F. (2024). Comme une mule, Stock.
[4]Bégaudeau, F. (2019). Histoire de ta bêtise, Pauvert ; Bégaudeau, F. (2021). Notre joie, Pauvert ; Bégaudeau, F. (2024, op.cit.), par exemple.
[5]Pour reprendre l’expression de Foucault dans Du gouvernement des vivants. Cours au Collège de France 1979-1980, Seuil, 2012. Foucault définit le régime de vérité comme « le corpus de règles et d’obligations qui déterminent les procédures que les individus doivent suivre pour accéder à une vérité » (p. 91).
[6]Cette position est généralement héritée d’une lecture imprécise de Hume, D. (1740). A Treatise of Human Nature, Oxford University Press, 1960, et Hume, D. (1748). Enquête sur l’entendement humain, trad. Michel Malherbe, Vrin, 2008 ; ou bien encore d’un attachement sans faille au Wittgenstein du Tractatus (1921, Tractatus logico-philosophicus, trad. Gilles-Gaston Granger, Gallimard, tél, 2001), lequel a fini par se dédire lui-même. Mais ce ne sont là que des hypothèses, car ni l’un ni l’autre n’apparaissent explicitement chez Bégaudeau. Il s’inscrit simplement dans cette « tradition » positiviste naïve sur ce point – et sur d’autres.
[7]Nietzsche, F. (1878). Humain, trop humain, II, « Le voyageur et son ombre », trad. Robert Rovini, Gallimard, 1987.
[8]Nietzsche, F. (1908). Ecce homo, trad. Jean-Claude Hémery, Gallimard, 1974, « Pourquoi j’écris de si bon livres », § 1, p. 130.
[9]Les liens entre Nietzsche et le Wittgenstein des Recherches philosophiques (1953, trad. Françoise Dastur, Maurice Elie, Jean-Luc Gautero, Dominique Janicaud, Elisabeth Rigal, Gallimard, tél, 2004) est notamment établi par Bowles, qui montre que l’un comme l’autre « partagent une approche commune de la notion de signification » (2003, « The Practice of Meaning in Nietzsche and Wittgenstein », Journal of Nietzsche Studies, n° 26, pp. 12-24, p. 12).
[10]Nietzsche F. (1887). Généalogie de la morale, trad. Gratien, J. et Hindelbrand, I., Gallimard,1971.
[11]Nietzsche, F. (1889). L’Antéchrist, trad. J-C Hémery, Gallimard, 1974.
[12]Nietzsche, F. (1885). Ainsi parlait Zarathoustra, trad. Georges-Arthur Goldschmidt, Librairie Générale Française, 1983.
[13]Nietzsche, F. (1888). Crépuscule des idoles, trad. J-C Hémery, Gallimard, 1974.
[14]Nietzsche, F. (1886). Par-delà le bien et le mal, trad. Henri Albert, Librairie Générale Française, 2000.
[15]Nietzsche, F. (1882). Le gai savoir, trad. Alexandre Viallate, Gallimard, 1950.
[16]L’avant-propos de la Généalogie (op.cit.) est l’occasion pour Nietzsche de charger ses adversaires philosophes qui ont, selon lui, un sens profondément anhistorique de la morale.
[17]Merteuil, M. (2023). « VSS, Politiser la lutte contre les violences sexistes et sexuelles », Socialiter, 18 juillet 2023, en ligne : https://www.socialter.fr/article/morgane-merteuil-violences-sexistes-sexuelles-politique.
[18]Lire notamment Federici, S. (2019). Le capitalisme patriarcal, trad. Etienne Dobenesque, La Fabrique Editions.
[19]Bégaudeau, F. (2025). « Bégaudeau comme une mule ! », Là-bas si j’y suis, 25 février 2025, en ligne : https://la-bas.org/la-bas-magazine/entretiens/begaudeau-comme-une-mule.
[20]Lukács, G. (1954). La destruction de la raison. Nietzsche, trad. Aymeric Monville, Éditions Delga, 2012.
[21]Losurdo, D. (1997). Nietzsche, philosophe réactionnaire, pour une biographie politique, trad. Aymeric Monville et Luigi-Alberto Sanchi, Éditions Delga, 2007.