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Aux racines du mythe de l’anthropocène  
Si Andreas Malm prend son temps pour critiquer la notion d’anthropocène, c’est qu’il considère qu’elle nous détourne des vrais responsables historiques. Non, l’humanité n’est pas responsable, c’est un sous-groupe qui a historiquement agi - consciemment ou non - pour développer l’économie et la production dans une certaine direction.          
Par Cathédrale Publié in #POSITIONS, #RAPPORTS le 25 septembre 2023 21 min de lecture
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Aux racines du mythe de l’anthropocène

Pour ceux qui dormaient ces dernières années, signalons que la planète se réchauffe. Et pour les derniers sceptiques qui continuent à penser que les variations climatiques sont un processus naturel on rappellera brièvement le phénomène : certaines substances présentes dans l’atmosphère contribuent à retenir le rayonnement du soleil, donc la chaleur qui va avec. Tant mieux me direz-vous, sinon la vie serait impossible, et vous aurez raison. Le problème c’est que ce phénomène s’est intensifié avec l’activité humaine et que ça va trop vite, l’environnement n’a plus le temps de s’adapter et nous non plus.

Une des questions qu’on peut se poser, comme ça au pif : mais qui est responsable ? Ou formulé autrement : sommes-nous tous responsables ? On va tenter de répondre à cette problématique avec l’aide du militant écologiste marxiste Andreas Malm et son ouvrage L’anthropocène contre l’histoire.

Quand on cause réchauffement climatique il y a une notion qui s’invite de plus en plus dans le débat public : celle d’anthropocène. Popularisée par le météorologue Paul Crutzen en 2002 la notion met vite tout le monde d’accord. Composée du grec anthropos qui signifie humain et du suffixe cènekainos en grec – qui signifie ère ou période en géologie ; la notion désigne une nouvelle ère où la puissance humaine a débordé celle de la nature. Crutzen identifie la machine à vapeur comme l’invention technique qui marque chronologiquement le début de l’anthropocène.

Le problème c’est que si le concept a le mérite de pointer du doigt le caractère humain – donc non naturel – du réchauffement climatique il a aussi ses limites. Chez ceux qui l’emploient on peut distinguer deux grandes approches : une approche qui consiste à tracer un trait direct entre la maîtrise du feu et l’utilisation de combustibles fossiles ; une autre qui désigne toute l’espèce humaine comme responsable. Dans un cas on réduit toute l’histoire de l’humanité à une découverte technique originelle, remplacez « maîtrise du feu » par Dieu et vous verrez que c’est la même chose, l’humanité fait face à un destin qui trouve son explication dans les origines. Dans l’autre cas on incrimine l’espèce, donc une catégorie biologique qui écrase ce que l’histoire peut amener de spécifique, ici aussi tout est écrit depuis le début.

Si c’est le destin qui explique l’histoire des hommes il n’y a plus de place ni pour la lutte ni pour la liberté.

On voit donc de manière ironique qu’en pointant du doigt le caractère artificiel du réchauffement climatique, le concept d’anthropocène fait entrer cet évènement dans l’histoire : ce n’est plus la nature qui peut expliquer ce phénomène. Mais aussitôt cette dénaturalisation opérée, on retombe sur nos bons vieux travers en adoptant une approche naturalisante, monocausale, transhistorique, bref anti-scientifique.

On notera ici que les climatologues deviennent malgré eux des historiens, et c’est sans doute cela qui explique les limites de leur approche : des scientifiques formés aux sciences naturelles (climatologues, géologues, météorologues) se retrouvent à devoir penser de manière historique – donc sociale – un phénomène hybride sans précédent. Les biais naturalisants ne sont pas surprenants au regard de ces éléments.

Si Andreas Malm prend son temps pour critiquer la notion d’anthropocène, c’est qu’il considère qu’elle nous détourne des vrais responsables historiques. Non, l’humanité n’est pas responsable, c’est un sous-groupe qui a historiquement agi – consciemment ou non – pour développer l’économie et la production dans une certaine direction. Ce sous-groupe historiquement situé, c’est la bourgeoisie industrielle britannique du XXe siècle. C’est ici que le réchauffement climatique s’enracine, dans un contexte où l’empire britannique se développe – et avec lui le capitalisme -, en industrialisant la production et en colonisant la planète pour obtenir ressources et main d’œuvre, et ainsi asseoir une domination dans l’ordre des puissances de ce monde.

Ce que nous invite à faire Malm c’est penser historiquement le réchauffement climatique. Penser historiquement dans la bouche d’un marxiste ça veut dire : analyser la société en termes de groupes sociaux qui se foutent sur la gueule pour défendre leurs intérêts respectifs. Par exemple, les salariés, dans le contexte actuel, défendent leur intérêt à une augmentation de salaire pour moins subir l’inflation ; là où les patrons se battent pour geler les salaires en arguant que les salariés coûtent trop cher et qu’eux aussi subissent l’inflation. Dans les deux cas, on fait face à un groupe social qui cherche à préserver ses intérêts, donc son existence. Ce rapport conflictuel qui travaille continuellement la société c’est la fameuse lutte des classes, phénomène central qui agit en toutes périodes : on ne choisit pas d’activer ou de désactiver ce conflit comme on appuie sur un bouton, c’est un phénomène que nous subissons collectivement.

Andreas Malm adopte donc les outils du marxisme pour penser le réchauffement climatique, et sa lecture de classe de la situation est assez marginale dans le champ de l’écologie.

Comme Paul Crutzen, Malm identifie le passage à la machine à vapeur comme le moment clef qui nous entraîne vers le réchauffement climatique, notamment car la machine à vapeur nécessite de grandes quantités de charbon, donc de combustibles fossiles, qui, une fois brûlés, libèrent les fameux gaz à effet de serre.

Mais qui a décidé de ça ? Y a-t-il eu une grande concertation démocratique mondiale ? Bien sûr que non… Une des questions que vous devez vous poser ici c’est : comment une technique nouvelle fait-elle pour s’imposer historiquement ? Y a-t-il une loi qui détermine ça ou faut-il faire du cas par cas, étudier comment chaque technique est apparue ? Pour éviter de trop généraliser et de raconter n’importe quoi, on va au moins se concentrer sur le cas de la machine à vapeur.

Le charbon est d’abord utilisé comme substitut du bois, vers 1800, servant surtout à chauffer les foyers britanniques et à cuisiner. Pour sortir le charbon d’une utilisation domestique, il faut associer la chaleur de la combustion à un mouvement mécanique : c’est ici que la machine à vapeur entre en scène. Elle est brevetée en 1784 par James Watt mais dans un premier temps personne n’en veut. Pourquoi ? Parce que les domaines d’application où elle peut être déployée – notamment l’industrie du coton – n’en ont pas besoin.

Ce qui domine à l’époque la production c’est la roue hydraulique : le moulin. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, la roue hydraulique est plus puissante que la machine à vapeur (500 chevaux-vapeur contre 60), mais aussi plus économique : l’eau est gratuite et une roue bien entretenue fonctionne sur une période d’un siècle. Ce qui explique pourquoi en 1800 on se retrouve avec 1000 roues hydrauliques en service dans le pays contre 84 machines à vapeur. L’eau a assuré aux premiers manufacturiers d’énormes bénéfices, même après le brevet de Watt les manufacturiers du coton ont continué à préférer la roue hydraulique. Alors pourquoi la vapeur s’impose ?

Le nerf de la guerre c’est la main d’œuvre. Sans main d’œuvre, on a beau avoir les meilleures inventions ou une usine dernier cri, on est comme un corps sans main. Le modèle qui dominait à l’époque était celui de la colonie-usine. L’énergie hydraulique nécessitait de s’installer toujours plus loin, le long des cours d’eau, donc de s’éloigner de la main d’œuvre. Pour garder la main d’œuvre sur le lieu de travail, les manufacturiers devaient créer de véritables villages avec dortoirs, églises, et écoles. Il fallait retenir le plus possible les travailleurs ; ce qu’on appelle chez les marxistes la « reproduction de la force de travail » devait se faire sur place. C’est donc tout un écosystème qui émerge autour de la manufacture hydraulique dans l’industrie du coton.

En plus de cette contrainte initiale, les manufacturiers de l’hydraulique se sont confrontés à un phénomène nouveau. Un demi-siècle d’industrialisation, d’exploitation, de déplacement des populations, bref, de violence, ça forge une conscience de classe. Les travailleurs de cette industrie se constituent en tant que force politique organisée, notamment à travers le syndicalisme. Les manufacturiers de l’hydraulique étaient donc assis sur une poudrière.

Tant que la loi permettait de faire durer la journée de travail le plus possible, tout roulait pour eux. Mais dans les années 1830 la revendication de la journée de 10 heures émerge, et avec elle une vague de colère et de grèves. Les propriétaires de filatures hydrauliques étaient les plus menacés, ils étaient donc logiquement à la tête de l’offensive contre cette revendication.

Les grèves de 1830 font comprendre aux capitalistes que l’accès à une armée de réserve de travailleurs est prioritaire pour ne pas couler : il faut donc urgemment se tourner vers la vapeur pour contourner cette contrainte. Pourquoi ? Car la vapeur rend possible une mobilité spatiale sans précédent pour la production. Au lieu de transporter les gens auprès de la production c’est la production qui vient aux gens, notamment en s’implantant directement dans les villes.

Cette contrainte est déjà bien présente dans les esprits, en témoigne cette citation de John McCulloch, un économiste à succès de l’époque :

« Le véritable avantage de l’emploi de l’énergie produite par la vapeur (…) n’est pas tant dans une quelconque économie directe de main-d’œuvre que dans le fait qu’il permet de les faire fonctionner à l’emplacement le plus approprié. Le travail réalisé à l’aide d’un cours d’eau est généralement aussi économique que celui réalisé à la vapeur, et parfois bien plus économique. Mais l’invention de la machine à vapeur nous a soulagé de la nécessité de construire des usines à des emplacements incommodes pour la seule raison qu’il y avait là une chute d’eau. Cela a permis qu’elles soient placées au cœur d’une population formée aux habitudes industrieuses »

Ce qu’il faut retenir de tout ça c’est que les manufacturiers britanniques investissent dans la machine à vapeur pour contourner d’une part la raréfaction de la main-d’œuvre en campagne et d’autre part l’organisation du prolétariat en force contestataire. Plus les travailleurs s’organisent et plus la bourgeoisie prend conscience de sa dépendance vis à vis du prolétariat. On est en plein dans la dialectique du maître et de l’esclave de Hegel. Si le prolétariat abandonne son rôle, alors les bourgeois s’effondrent et leur domination économique avec eux.

On fait donc face à une classe conquérante qui désire asseoir son pouvoir, et au sein même de cette classe, à une concurrence diabolique entre les partisans de l’hydraulique et ceux de la vapeur. Certains historiens défendent l’idée – en s’inspirant de l’économiste britannique Thomas Malthus – que c’est l’accroissement des besoins qui explique cette transition technique. Adopter cette lecture revient en fait à dire que la demande précède l’offre, qu’on a sans doute désiré la cigarette avant l’invention de la cigarette. Surtout, cela a pour effet d’évacuer totalement la nature profonde du capitalisme et de son développement, à savoir que le capital ne cherche qu’une chose : sa propre accumulation. Mais pour comprendre ça il faut faire un petit détour par la théorie économique.

Retenons au moins ça : avec le capitalisme, la nature profonde de la production change, Marx le premier se rend compte qu’on ne produit plus pour les mêmes raisons. Dans les sociétés précapitalistes on priorisait ce qu’on appelle en économie la valeur d’usage.  Autrement dit, on produisait avant tout pour répondre à des besoins et les choses avaient de la valeur au regard d’un usage concret. Avec l’émergence de la société capitaliste on observe un renversement : c’est l’argent qui est priorisé, et on produit dans le but premier de vendre en faisant du profit, et ce, pour réinvestir aussitôt dans une production à plus grande échelle, vendre à nouveau, et recommencer indéfiniment. C’est donc ça le capital, un processus infini et exponentiel d’investissement, de production, d’échange, d’investissement, de production, d’échange ; ou dit autrement avec les formules de Marx : on passe de la forme Ma-Mo-Ma (Marchandise-monnaie-marchandise) à la forme Mo-Ma-Mo’. Ce processus sans fin que décrit Marx c’est ce qu’on appelle communément le productivisme ou la croissance économique.

On a donc toute une économie productiviste qui émerge grâce à la consommation de combustibles fossiles à grande échelle. L’industrie, l’Empire Britannique, la classe capitaliste, ne purent se développer avec autant d’intensité et régner sur le monde sans le charbon. Sans compter que l’Empire Britannique, c’est aussi des colonies partout à travers la planète, grâce auxquelles la classe capitaliste cherche à développer le commerce mondial : importation de produits exotiques, exportation de surplus ; mais également d’une main d’œuvre pas chère, voire forcée. La vapeur permit alors aux Britanniques de développer le transport fluvial et ferroviaire pour s’accroître.

Le charbon devient donc la marchandise la plus précieuse, celle qui permet de produire toutes les autres, celle sans laquelle les capitalistes britanniques ne peuvent s’enrichir et consolider leur pouvoir. Pour Andreas Malm on assiste à l’émergence de ce qu’il appelle le capital fossile, à savoir une économie où la maximisation de la croissance et des profits se fait au moyen des énergies fossiles. Les bases du réchauffement climatique sont alors posées.

Pendant plusieurs décennies la Grande-Bretagne fut la seule à soutenir cette économie. En 1850, on estime qu’elle est responsable à elle seule de 60% des émissions de CO2 dans le monde. Puis les autres puissances impérialistes suivirent jusqu’à une globalisation du mode de production capitaliste fossile.

La question de la responsabilité est donc épineuse : on est tous dans le même bateau mais pas de la même manière, et on n’a pas tous le même impact sur le réel. Les couches occidentales aisées ont – de par leur niveau de vie – un impact écologique plus important que le prolétariat occidental ; mais dans le même temps le prolétariat occidental a un impact écologique supérieur à un travailleur burkinabé. Ça fait bien longtemps que des chercheurs s’amusent à calculer ça. Nous pouvons observer par exemple le chiffre suivant : 1/10e de l’espèce humaine contribue à la moitié des émissions actuelles. 

Ce qui est souligné ici c’est la responsabilité au présent, mais Andreas Malm va jusqu’à interroger la responsabilité historique : il y a des pays qui, historiquement, ont plus contribué par leur développement au réchauffement climatique que d’autres. Et en allant plus loin encore, au sein même de ces pays, une partie de la population est plus responsable qu’une autre, voire responsable tout court, notamment la bourgeoisie industrielle des différents pays impérialistes.

Le problème ici c’est qu’une fois qu’on a dit ça on fait quoi ? On s’attaque aux descendants des manufacturiers écossais du XIXe siècle, au Prince Charles ? Non ce serait absurde.

D’un point de vue pratique, le débat sur la responsabilité a des conséquences. Si l’espèce humaine dans sa totalité est responsable, alors on peut très bien en appeler à la responsabilité individuelle de chacun pour lutter. C’est d’ailleurs ce qui domine les discours actuellement. A contrario, si on observe que la responsabilité est relative à la place qu’occupe les individus dans une société, alors il faut peut-être cibler une partie de la population.

Cette approche présente des limites, d’abord parce que la question de la responsabilité en philosophie n’est pas une question évidente. Ça marche pour la société de classe actuelle qui, faute de pouvoir défendre une réelle justice sociale, fait porter sur les individus le poids de leur environnement : on appelle ça la responsabilité morale. De notre point de vue marxiste, la théorie de l’aliénation s’applique aussi à la classe dominante. Autrement dit, c’est collectivement que nous sommes dépassés par la situation : le moment historique nous possède, nous sommes devenus sa chose. Attention, toutefois, à ne pas retomber dans une lecture qui évacue la question de classe : l’aliénation n’est pas une expérience similaire pour toutes les couches sociales.

On peut relire Marx sur le sujet de la responsabilité :

« Un mot encore pour éviter d’éventuels malentendus. Je ne peins pas en rose, loin s’en faut, le personnage du capitaliste et du propriétaire foncier. Mais ces personnes n’interviennent ici que comme personnification de catégories économiques, comme porteurs de rapports de classe et d’intérêts précis. Moins que toute autre encore, ma perspective, qui consiste à appréhender le développement de la formation économico-sociale comme un processus historique naturel, ne saurait rendre un individu singulier responsable de rapports et de conditions dont il demeure socialement la créature, quand bien même il parviendrait à s’élever, subjectivement, au-dessus de ceux-ci »

Responsable, pas responsable, conscient ou non, bien intentionné, mal intentionné, la question n’est pas là. La question est : comment fait-on pour régler ce problème ? Comment fait-on pour transformer cette société inadaptée aux enjeux écologiques actuels ?

Pour agir il nous faut le pouvoir politique. A-t-on ce pouvoir ? Non. Qui a le pouvoir ? La grande bourgeoisie industrielle et financière, toute la clique de bourgeois technocrates qui administrent les républiques modernes, les puissances impérialistes qui verrouillent le développement des pays du sud. Est-ce que ces gens lâcheront leur place pour nous laisser gentiment décider de notre avenir ? Non.

D’un point de vue pratique, il va falloir aller chercher ce pouvoir, ce qui implique de lutter contre des individus concrets jouant leur place dans l’ordre social. Il y a ici deux écueils à éviter. D’une part, celui qui, à l’image de Juan Branco, personnifie à outrance l’ennemi de classe au risque de perdre de vue ce qui produit ces individus. D’autre part, l’approche consistant à se focaliser sur les « structures », oubliant que ces mêmes « structures » ont besoin d’incarnation humaine pour persister dans le temps. Ces deux écueils rendent le mouvement social aveugle. Les communistes doivent être clairs sur le sujet.

Sur cette question de la prise de pouvoir, la fameuse question de Lénine Que faire ?, il faut croire que Andreas Malm est comme tout le monde : perdu. Pris entre une tradition marxiste se revendiquant de 1917 et l’urgence climatique, il cède et en appelle au bon vouloir de tous : travailleurs, précaires, marginaux, petit-bourgeois, vous êtes tous les bienvenus.Mais, dans le même temps, en bon marxiste, il a conscience des limites des actions de sabotage qu’il appelle de ses vœux, il faut aussi prendre l’Etat, l’action directe ne suffira pas. Andreas Malm cite alors Lénine comme pour penser contre lui-même :

« La question du pouvoir est certainement la question la plus importante de toute révolution »

Dans tous les cas la situation est la suivante : toutes les sociétés actuelles reposent sur un ordre planétaire particulier. Le changement climatique en rebat les cartes et les sociétés humaines vont nécessairement devoir s’adapter, au risque de disparaître. L’élévation des températures n’entraînera pas mécaniquement une agitation sociale, mais elle en est un facteur aggravant. Le fait que les répercussions du réchauffement adviennent par la voie sociale ne rend pas le phénomène moins puissant.

Le cas syrien est un bon exemple : avant la révolution de 2011, la Syrie a connu une série de sécheresses historiques qui prennent racine en 1998, le pic d’intensité s’étendant entre 2006 et 2010. La sécheresse pousse alors un million d’agriculteurs et d’éleveurs vers les villes, ce qui crée une pression démographique importante, et donc des tensions. En parallèle de ça, une forte inflation frappe le pays, notamment dans l’alimentation et l’immobilier. Bachar al-Assad choisit, en dépit de cette situation, de choyer une clique d’hommes d’affaires pour qu’ils investissent dans le pays. Il favorise les couches aisées, notamment en leur donnant un accès privilégié à l’eau malgré la pénurie. La situation est explosive, des manifestations s’organisent, puis en 2012 la colère se transforme en guerre civile : la répartition du pouvoir, et sa nature sont remises en cause.

On voit clairement ici comment le réchauffement climatique a travaillé la situation en provoquant des sécheresses puis des pénuries. Il a joué le rôle de facteur multiplicateur sur la base d’une situation sociale déjà mal en point. La conjoncture climatique n’innocente pas Assad, le climat ne fait pas tout. En effet, une organisation sociale plus juste aurait permis de mieux gérer cette situation.

Partant de cette observation, l’hypothèse de Malm est la suivante : si le réchauffement climatique fait de plus en plus souffrir les travailleurs, mais que dans le même temps, l’exploitation se poursuit et s’intensifie, alors, faute de pouvoir s’en prendre au climat, les travailleurs s’en prendront peut-être aux exploiteurs. Ce jour-là il faudra se tenir prêt.


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