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Ein Samiya, entre pression coloniale et pression idéologique
L’implantation de colonies israéliennes dans les territoires palestiniens réduit non seulement l’espace naturel existant mais amène aussi sur place une structuration de l’espace selon les nécessité du mode de production capitaliste.
Par Thermidor Publié in #POSITIONS le 9 octobre 2023 7 min de lecture
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Palestine : Ein Samiya, entre pression coloniale et pression idéologique

Ndlr : La parution de cet article n’a pas été commandée par l’actualité. Sa rédaction est donc antérieure aux tragiques événements qui frappent la Palestine depuis le 7 octobre.

La population palestinienne est plurielle. En son sein s’est développée une communauté
bédouine dont le mode d’organisation social s’est construit autour d’une agriculture vivrière et du nomadisme. Tout comme les autres populations arabes, elle a subi des déplacements et des assignations de territoires, des discriminations et différentes formes de répression depuis la création de l’État d’Israël.
Or, depuis quelques années, on observe également de nouveaux éléments : les populations
bédouines, fortement dépendantes de leur environnement, sont aujourd’hui obligées
d’abandonner leur mode de vie sous la double pression de la colonisation et de la
destruction de la biodiversité cisjordanienne, conséquence du capitalisme et de son
implantation au Levant. Retour sur ce phénomène avec la communauté bédouine d’Ein
Samiya, rencontrée par l’auteur de ces lignes à la fin de l’été 2022.


I/ Limitation par la colonisation


Ein Samiya est une communauté bédouine de la vallée du Jourdain à flanc de montagne,
sur une terre orangée où sont installées quelques tentes, des enclos et une école en
préfabriqué. Au premier coup d’œil, il s’agit d’un village paisible, mais il a été l’illustration d’une tension qui traverse la Cisjordanie depuis le début de la colonisation israélienne.
La fin du XXe siècle, censée se conclure par l’établissement d’un Etat palestinien sur 20 % du territoire palestinien historique, s’est finalement soldée par un non-respect des accords d’Oslo adoptés en 1993. Les autorités israéliennes ont annexé une partie supplémentaire du territoire cisjordanien et ont construit un mur de séparation dans les années 2000. Depuis son établissement, il est devenu de plus en plus dur pour les bédouins de se déplacer librement et de faire paître leurs troupeaux constitués de chèvres et de moutons servant essentiellement à une agriculture de subsistance.

Ils contrôlent nos allées et venues, ils réduisent l’espace que nous occupons et ils nous empêchent d’effectuer la transhumance de nos bêtes” déclarait à l’époque le Cheikh d’Ein Samiya dont le rôle est de servir de médiateur entre la communauté bédouine et les éléments extérieurs. Le message qu’il porte est clair : de la part des autorités israéliennes, il y a une volonté de contrôler les populations bédouines. Et cela n’est pas sans conséquence. L’impossibilité pour les bergers bédouins de se déplacer au fil des saisons immobilise les communautés sur des territoires qui deviennent moins praticables à certaines périodes. Habiter dans des tentes sur un flanc de montagne n’a pas les mêmes impacts sur les populations et le bétail durant l’été ou l’hiver. L’arrivée des épais manteaux de neige en haut des sommets demande plus de ressources pour s’abriter soi-même et le bétail. Les troupeaux se retrouvent aussi limités en nombre par l’impossibilité de se déplacer, réduisant les zones où trouver des prairies pour nourrir les animaux.

Selon le Cheikh du village : “Ce n’est pas un hasard s’ils [les autorités israéliennes] ne nous laissent pas nous déplacer”. C’est même une stratégie délibérée visant à donner une priorité aux colons bergers sur les territoires et les ressources de la région. Les alentours de la communauté bédouine lui donnent raison : il suffit de passer son regard sur les montagnes environnantes pour voir des colonies israéliennes apparaître ça-et-là. Certaines sont d’ailleurs très proches d’Ein Samiya et servent d’avant-poste pour la colonisation. L’établissement de colons bergers dans des colonies rudimentaires n’attire pas un grand nombre d’Israéliens, mais elles offrent un grand espace pour les activités d’agricultures des colons et donnent des prétextes à Tsahal pour justifier sa présence et contrôler les territoires des bédouins, donnant ensuite les moyens de les expulser et d’agrandir la colonie pour y amener davantage de monde.

La vallée du Jourdain subit également, sur une partie de son territoire, une préemption du
territoire bédouin par l’armée israélienne. Les grands espaces de la vallée du Jourdain sont parfois privatisés par l’armée au motif de servir de champs de tir et d’espaces
d’entraînement. Israël utilise la raison d’Etat comme une façon de plus de motiver le départ des bédouins.


II/ Menaces par la destruction de l’environnement


Mais d’autres éléments pèsent également sur la pérennité du mode de vie bédouin. Au-de-là des restrictions administratives, l’écosystème dont ils dépendent est aujourd’hui de plus en plus menacé. L’implantation de colonies israéliennes dans les territoires palestiniens réduit non seulement l’espace naturel existant mais amène aussi sur place une structuration de l’espace selon les nécessité du mode de production capitaliste. Certaines prairies qui hier étaient encore vertes sont désormais transformées en décharges où s’amoncèlent des déchets. La question de l’accès à l’eau, déjà impacté par les restrictions mises en place par Israël, devient de plus en plus critique lorsque les réserves, déjà maigres, sont raccourcies par les épisodes de sécheresse qui s’accumulent au fil des années. La bétonisation toujours croissante des sols restreint chaque jour un peu plus l’espace que pourraient utiliser les bédouins pour nourrir leurs bêtes. Les conséquences du capitalisme ont touché l’écosystème de la montagne mais également les humains qui l’habitaient : du fait du manque d’espace et de nourriture, les bergers de la communauté bédouine se sont résignés à abandonner une forme d’autonomie qui caractérisait hier l’organisation de leur communauté. Ce changement, qui peut sembler marginal, a cependant été annonciateur de transformations plus graves car aujourd’hui, Ein Samiya n’existe plus.

Le bétail a été volé par les colons et l’école du village, mise sur pied par la société civil
palestinienne, grâce à des fonds notamment européens, a été démantelée par les autorités
israéliennes, tout comme le reste de la communauté. Des bulldozers et une équipe de
démolition, protégés par des soldats affublés des attributs caractéristiques des forces
d’occupation israéliennes (l’uniforme vert foncé et le M16) sont venus mettre un terme à
l’existence de cette communauté de vie.

La situation d’Ein Samiya n’est pas unique, mais elle est révélatrice d’une pression coloniale qui met à mal la situation actuelle et le devenir des bédouins et, plus généralement, des Palestiniens.


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