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# Une vie de serveuse en restauration
2018, je suis en seconde, je vais avoir 16 ans en avril et je pense déjà à travailler durant l’été pour me faire un peu d’argent. Mon frère, plus âgé, a déjà travaillé dans un restaurant pas loin de chez moi. Je me rends donc là-bas et on me dit que je peux venir faire un essai quelques semaines/jours avant mon anniversaire. J’ai donc encore 15 ans, mais ça m’arrange bien, je me dis que je vais me faire de l’argent.
Par Collectif Publié in #CHRONIQUES DE L'EXPLOITATION, #POSITIONS le 5 mai 2025 23 min de lecture
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# Une vie de serveuse en restauration

            2018, je suis en seconde, je vais avoir 16 ans en avril et je pense déjà à travailler durant l’été pour me faire un peu d’argent. Mon frère, plus âgé, a déjà travaillé dans un restaurant pas loin de chez moi, en tant que commis de cuisine saisonnier. Je me rends donc là-bas et on me dit que je peux venir faire un essai quelques semaines/jours avant mon anniversaire. J’ai donc encore 15 ans, mais ça m’arrange bien, je me dis que je vais me faire de l’argent.

            Je me souviens débarquer au début d’un gros service, vers 12h. C’est la course, tout le monde s’agite en cuisine. N’ayant jamais travaillée, je suis toute intimidée. On me dit de m’occuper du pain, de le couper pour le mettre dans les panières et de le donner avec chaque entrée qui part en salle. C’est un des seuls souvenirs qu’il me reste de ma première journée. En tous cas, ils sont contents de voir quelqu’un d’aussi jeune arriver car c’est la garantie que je revienne pour plusieurs saisons. Et ils ont raison. Je vais faire six saisons dans ce restaurant. Les premières années, alors que je suis au lycée, je bosse d’avril à octobre les weekends, puis, en saison, presque tous les jours de la semaine. L’été, je dors au camping près du restaurant puisque ma mère ne peut pas faire autant d’allers-retours.

            Au départ, je suis assez stressée puisque c’est un travail où il faut toujours s’activer et aller vite. « Il y a toujours quelque chose à faire » sont les maîtres-mots. Je suis formée par le chef et par un étudiant en restauration qui m’apprend à faire les tâches le plus efficacement possible. Tout doit être optimisé : les déplacements, les préparations, les prises de commandes. Tout. Pendant le service, l’équipe est toujours tendue. Il faut servir le plus rapidement, ne pas discuter, ne pas rigoler ou alors seulement aux blagues du chef. On m’apprend très rapidement les règles — toutes simples — en cuisine : N°1 : le chef a toujours raison. N°2 : s’il a tort, regardez la règle n°1. C’est de l’humour, mais dans les faits c’est vraiment ça. Le chef fait la pluie et le beau temps dans la cuisine. S’il est stressé, tout le monde est stressé. S’il est joyeux, tout le monde est plus détendu. Il me répète plusieurs fois qu’il ne recherche pas des individus qui pensent, mais qui obéissent aveuglément.

            Très vite je vois que les serveurs sont considérés comme des « sous-travailleurs ». Le chef les affuble de plusieurs insultes « rigolotes » et s’énerve lorsqu’ils lui ramènent un plat. Toutes les erreurs de la cuisine sont toujours mises sur le dos des serveurs. Ils n’ont, eux, pas le droit à l’erreur sous peine de se prendre la foudre du chef.

            Ce dernier instaure une ambiance très genrée dans l’équipe : pour le jeune étudiant en cuisine, toutes les petites erreurs sont l’occasion pour le chef de le rabaisser devant tout le monde. Beaucoup d’insultes, de blagues dégradantes dites sur un ton de confidence aux autres employés. Les stagiaires d’école hôtelière sont toujours moqués et rabaissés. Tous les qualificatifs homophobes et sexistes sont bons. Pour les jeunes filles comme moi, ce sont des blagues et gestes à connotations sexuelles à chaque service. J’ai commencé à 15 ans, je le rappelle. Les plus courantes sont celles qui fusent lorsque je me baisse près du chef pour ranger des piles d’assiettes : « te baisses pas comme ça, tu vas prendre neuf mois », « c’est pas l’heure ma mignonne », « déjà accroupie devant son chef ». Il n’en manque pas une. Je rigole un peu malaisée, sans comprendre à quel point c’est dégueulasse, car je veux me faire bien voir. Un été, j’ai travaillé avec mon frère et ça ne l’a pas dérangé de me faire ces blagues devant lui. Nous étions très gênés et n’osions rien dire. Plus généralement, le chef n’hésite pas à hurler sur ses employés, ce qui personnellement me fait perdre tous mes moyens.

            Dans ma tête d’adolescente, mes premières saisons là-bas se passent bien. Je m’intègre avec mes collègues souvent plus âgés que moi. C’est un travail qui ne pose aucune limite entre vie privée et travail puisque je suis tout le temps là-bas. Un été, tout le monde me pousse à sortir avec un collègue qu’au fond je n’aime pas, mais je veux m’intégrer. La relation est très étrange mais toute l’équipe veut nous voir ensemble. Une autre collègue, la quarantaine, me force un peu la main pour que je teste de la cocaïne. Elle me dit que c’est « pour tenir », comme on bosse tout le temps. Je n’ai pas vraiment de contrat. Seule une toute partie de mes heures sont déclarées, le reste est payé au black, 10 € de l’heure. Je ne me rends pas compte que je suis sous-payée. À l’époque, pour moi, c’est déjà incroyable de toucher une telle somme. Je n’ai aucune sécurité, aucune assurance mais j’accepte, je n’y connais rien.

            La hiérarchie est très présente. Les deux patrons profitent de notre jeunesse pour asseoir leur autorité. Chaque matin, alors que nous sommes en plein rush pour préparer le service, nous devons préparer une salade de fruits pour un des patrons, ce qui nous fait perdre un temps précieux et provoque du stress supplémentaire. Ça m’énerve à chaque fois mais je ne dis rien. Je ne dis rien non plus les premières années à toutes les blagues et gestes salaces que je reçois.

            A propos des pourboires, il y a un manque total de transparence. On nous dit qu’ils sont versés directement sur notre salaire mais on est certains que ce sont les patrons qui les gardent pour eux, et qui ne nous en donnent qu’une partie. C’est la première fois qu’on gueule collectivement, et on finit par avoir le droit de se les répartir nous-même.

            Je me tue au travail, la nuit j’entends les chocs des assiettes, j’ai du mal à faire des sommeils réparateurs. Mais « tout va bien » puisqu’on rigole, il y a d’autres jeunes. J’espère quand même chaque matin qu’il ne fasse pas beau pour qu’on n’ait pas trop de monde au resto. Mais plus les années passent, plus les conditions de travails se dégradent. Et de mon côté, je commence à me politiser et à comprendre certains mécanismes de la hiérarchie.

            Le chef est complètement épuisé, il est tout le temps au restaurant et reçoit une pression de dingue des patrons, qu’il rebascule sur les employés. Je ne l’excuse absolument pas, mais je commence à comprendre ça. Une fois, je le vois sortir de la cuisine pour donner une claque à l’un des jeunes serveurs qui soi-disant ne l’écoutait pas. Je suis hyper choquée mais je n’ai pas encore le cran pour le confronter. Le gars qui a reçu la claque est aussi très jeune et ne voit pas vraiment le problème. Il justifie l’acte en disant qu’il aurait dû être plus rapide.

            Un autre jour, je reçois une blague salace de trop et ne sachant comment réagir je vais voir les patrons qui mettent un coup de pression au chef. À côté de cela, eux acceptent de recevoir comme clients l’ex petit-ami d’une serveuse alors qu’il la harcèle ainsi qu’un de ses amis. Pendant le repas, ils mettent mal à l’aise les serveuses, insultent la fille en question et font des commentaires salaces sans aucune réaction des patrons.

            En cuisine, il n’y aucune trousse de secours, à part quelques pansements en cas de coupure. On se brûle souvent en cuisine, et il n’y a pas de crème apaisante ou quoi que ce soit.

            Les deux dernières années sont de trop.

            Jusqu’alors, nous emmenions les poubelles, après le service, aux conteneurs situés un peu plus loin avec l’utilitaire du chef. Mais une année, il ne fonctionne plus. Le chef s’achète une décapotable et, de notre côté, nous sommes forcés d’utiliser nos véhicules personnels pour emmener les poubelles pleines de jus de poisson aux conteneurs, sachant que ça nous coûte à chaque fois de l’essence non remboursée. L’autre possibilité est doit amener les poubelles à la main, devant tout le monde sur la plage du lac, ce qui est dégradant et fatiguant. Je demande à l’un des patrons d’investir dans une petite remorque que l’on pourrait attacher à la voiture du chef. Il me dit oui, puis non, « tu comprends c’est trop compliqué, ça coûte cher », alors qu’il roule en BMW. Alors, je refuse catégoriquement d’amener les poubelles. Tout le monde finit par refuser aussi, et c’est le chef qui doit se taper la corvée et il nous le fait sentir.

Le chef est toujours très content quand il sait que c’est complet, et s’attend à ce que nous le soyons aussi. Moi, ça me fout juste la pression, j’appréhende la mauvaise ambiance, le stress, les cris…

            Avec les saisons, je commence à en avoir de plus en plus de mal avec l’ambiance sexiste que met en place le chef et mes collègues. Au quotidien, ils notent les femmes qui viennent manger, le chef raconte ses histoires de coucheries… Je ne sors plus trop le soir avec mes collègues, mais on me raconte le matin ce qu’il s’est passé. Untel a dit qu’il violerait bien une des employées, une fille hyper jeune. Je m’énerve, mais personne n’a l’air d’être choqué, et on me répond : « il était bourré ».

            Nos patrons nous font faire des trucs dangereux. Une fois, ils nous demandent de prendre sur notre pause de l’après-midi pour aller trier les poubelles pleines de verre situées sur le site de la plage, même pas au restaurant. On nous donne comme unique protection des gants de jardinage. Je rappelle que je ne suis pas assurée puisque je n’ai pas de contrat, comme la plupart de mes collègues de mon âge. On transvase des poubelles de verre dans d’autres, ça nous pète les tympans, et on manipule des bouts de verre. Je ne saurais plus dire la raison de cette tâche mais ça nous semblait à tous absurde.

            J’arrive enfin à trouver le courage de réclamer plus que 10 € de l’heure, je suis maintenant payée 12 €… Ils ont tellement de mal à garder leurs saisonniers d’une année sur l’autre qu’ils promettent de payer tous ceux qui accepteront de revenir 12 €. En revanche, ceux qui commencent doivent se contenter de 10 €.

            L’année d’après : nouvelle acquisition. Des caméras vidéo et son ont été posées au snack, partie indépendante du restaurant située à l’étage inférieur. Seuls les employés gèrent cette partie. Le travail se fait seul ou à deux. On y vend des glaces, des petits trucs à manger (burgers, pizzas, charcuteries) et des boissons. C’est un poste épuisant puisque souvent, surtout quand on est seul, il n’y a aucune interruption. Des clients se présentent en continu de 10 h du matin à n’importe quelle heure de l’après-midi ou du soir. C’est aussi très stressant puisqu’il ne faut pas les faire attendre. On nous dit que les caméras ont été installées pour surveiller la caisse, mais on est déjà là pour la surveiller, et elle n’est pas du tout accessible à n’importe qui, donc je comprends que c’est pour nous surveiller, nous. D’ailleurs, si l’une d’elle est braquée sur la caisse, l’autre filme toute la pièce. Régulièrement, les patrons regardent le live assis à l’étage.  A plusieurs reprises, ils descendent pour nous faire des remarques sur notre façon de parler aux clients, ou pour nous dire de sourire plus, etc. Le sentiment d’être surveillés constamment est insupportable et on a l’impression de ne plus pouvoir agir naturellement. On n’a plus le droit de discuter entre nous, de rigoler, alors qu’il n’y avait aucun problème auparavant avec ça. Il faut aussi toujours s’activer quand il y a des courts moments de pause entre deux clients. Et les patrons ne veulent plus que l’on grignote quelques frites surgelées de temps en temps parce que « ça leur coûte trop cher ».

            Normalement, à ce poste, nous devons prendre notre pause en même temps que les autres et le chef doit nous remplacer. Mais plus le temps passe, plus l’heure de pause recule jusqu’à qu’il n’y en ait plus du tout. Un jour, je n’en peux plus, les clients s’enchaînent indéfiniment, je suis là depuis 10 h, seule, et il est bientôt 18h30. Je comprends que je vais devoir enchaîner sur le service du soir, sans même n’avoir mangé ni m’être reposée un peu. Comme le chef est dans les parages, je décide de moi-même d’aller mettre prendre une pause. Sa réaction est immédiate : il m’engueule en disant que je prends trop d’initiatives, que je veux plus bosser… J’explose de colère tant je trouve sa remarque injuste. Je pointe les caméras et lui crie que c’est illégal tout ça, que je me tue pour leur « restau de merde » (la nourriture était dégueulasse et c’était de l’arnaque pour le prix) ; que les patrons s’engraissent bien à nous regarder de là-haut – je voulais vraiment qu’ils entendent. Bref, je suis hyper énervée et je leur dis que je vais m’en aller plus tôt cette année. Ce que j’ai finalement fait puisque je me suis arrêtée le 15 aout. Sans contrat, pas besoin de préavis ! Pendant cette altercation, le chef et moi sommes cachés derrière une cloison mais tous les clients dehors nous entendent. Du coup, le chef est gêné et essaye d’arrondir les angles en me disant « je sais, je sais, arrête ». Il finit, pour me « calmer », par me faire un bisou sur la joue. Je suis choquée, je m’en vais.

            Avec du recul, et malgré tout ce qu’il s’est passé avec ce chef, je garde une certaine compassion pour lui parce que je sais qu’il est complètement utilisé par les patrons. Certes, il se fait un max de thunes, je le sais aussi mais il est alcoolique, très seul, et n’a que le travail dans la vie. Je ne l’excuse pas mais il appartient à une vieille génération qui a été complètement formatée. On a déjà discuté ensemble, le soir quand il avait un coup dans le nez, et il s’était confié sur le fait qu’il était épuisé et qu’il recevait une pression de dingue de la part des patrons.

            L’année d’après, septième saison, je décide de changer de lieu de travail. Avec un ami, on trouve un casino de jeux qui prend des saisonniers au bar et au restaurant. Je suis affectée au bar, mais dès le départ je vois que ça va être horrible. Je repère déjà des trucs illégaux. Par exemple, lors mes deux jours d’essai, je fais bien plus d’heure que ce que je ne devrais en faire. Je bosse de 10 h à 21h30, avec une pause de 30 min pour manger un repas qui m’est facturé. On nous demande aussi de donner un chèque de caution de 80 € pour notre tenue de travail ! Je suis surprise et dis à un responsable que c’est illégal puisque ce sont nos outils de travail. Il bégaye mais me prend le chèque. Les gens des bureaux nous donnent des excuses fumeuses comme quoi des anciens employés auraient rendus abimés leurs polos qui valent que dalle.

            Avant ce travail, je n’avais jamais vu des patrons être aussi dégradants envers leurs employés. Lors de chaque interaction, ils sont extrêmement hautains et désagréables. Ils ne descendent de leur bureau que pour prendre des cafés (qu’ils ne débarrassent jamais ensuite, mais c’est un détail), ou pour engueuler les jeunes. Dès mon premier jour, la patronne me prend à partie assez violemment pour me demander si c’est normal de laisser des menus aussi abimés sur les tables et me dis que je devrais avoir honte. Pourtant, les menus sont simplement un peu cornés. Il me faudra que quelques jours pour développer une véritable haine pour elle et son mari. Nous sommes obligés de l’appeler Madame avec son nom derrière quand on s’adresse à elle.

            Dès que j’arrive, un des hauts placés du casino me fait des remarques à connotations sexuelles. Il m’indique par exemple le chemin pour les vestiaires, entre avec moi dedans et me dit « Voilà, tu peux te déshabiller ». Je ne rigole pas – je suis déjà à bout. Une autre fois, je dois cuire des croissants surgelés. Comme je ne connais pas bien le four, je ne les ramène pas très bien cuits. Il me regarde et me lance devant tout le monde que je ne suis pas encore mariable, que je dois retourner à la cuisine. J’apprends plus tard que ce gars a été couvert par la direction pour des faits d’agression sexuelle sur une ancienne serveuse.

            Au travail, on nous pousse à la compétition. Celui qui fait le plus de commandes a le droit à une prime de 50 €. Chaque soir, on doit applaudir le chiffre d’affaires de la journée, comme si c’était notre bar, sinon on est mal vu. Au service, ne nous sommes jamais assez nombreux, et pourtant les patrons agrandissent la terrasse en ajoutant des tables dès qu’il y a un peu de monde pour en accueillir toujours plus. On prend les commandes sur des tablettes qui boguent et nous mettent dans l’embarras devant les clients. On doit travailler au rythme de la tablette, le regard constamment braqué sur elle pour trouver le menu où se cache la boisson qu’on nous demande, ce qui nous interdit les quelques interactions agréables que l’on pourrait avoir avec les clients. C’est vraiment l’usine, on ne s’arrête jamais. Avec la fatigue, je fais tomber des plateaux surchargés et je développe une peur de ces plateaux. Un jour où mon père vient boire un verre pour découvrir où je travaille, je me mets à pleurer après qu’il me demande si ça se passe bien. Je dois directement enchaîner sur la commande d’un autre client. C’est la première fois que j’ai la boule au ventre d’aller au travail.

            Tous les serveurs ont une caisse portative attachée à la ceinture – qui pèse un certain poids d’ailleurs. Le soir, nous devons compter notre caisse et inscrire le montant sur un fichier informatique. Chaque euro est tracé. S’il nous manque quelques euros ou centimes dans notre caisse (les erreurs de monnaie arrivent, on peut parfois rendre un peu plus ou un peu moins au client par erreur de calcul), on doit trouver où est l’erreur. Quand mon ami qui vient d’arriver aussi demande de l’aide à Madame la patronne, elle arrive en pestant et lui dit qu’il devrait avoir honte de lui faire perdre son temps.

            Puisque nous sommes près de la mer, mes collègues masculins ne s’arrêtent jamais de noter les femmes sur leur physique, de sortir pour les regarder en maillot de bain, de faire des gestes dégradants derrière le bar. Le responsable de salle, plus âgé, est complaisant avec ces remarques et même y participe. Toute la journée je boue de l’intérieur, c’est une horreur. Je finis donc par partir de ce casino et décide de moins travailler cet été-là en ne faisant que quelques extras dans un autre restaurant. C’est le premier été depuis longtemps où j’ai du temps pour moi. C’est un véritable bonheur. Auparavant, j’avais développé une peur de ne pas « m’occuper » (aller au travail) pendant autant de temps. Ce n’était même plus une question d’argent puisque j’avais économisé de mes des dernières saisons et la bourse du Crous m’aidait bien pour mes études. Je pensais juste que je n’étais plus capable de faire autre chose que travailler.

            Mon ami avait trop besoin d’argent donc il est resté dans ce casino. Ça a été horrible et il a fini par être viré parce qu’il a contesté un ordre débile. J’ai toujours remarqué ça : les patrons n’ont aucune idée de comment on doit s’organiser pour être efficaces et quand ils donnent des ordres, ils sont souvent à côté de la plaque. Personne ne sait mieux ce qu’il faut faire que le travailleur. Beaucoup des ordres des supérieurs déstabilisent notre organisation, nous font perdre du temps et contribuent à accentuer le stress d’un travail qui en occasionne déjà beaucoup. Mon ami a quand même, avant de partir, pointé l’incohérence d’afficher dans les couloirs des affiches contre le harcèlement sexuel alors qu’ils couvraient un agresseur.

J’ai 23 ans aujourd’hui et j’ai pas mal appris sur le monde de la restauration. Il y a beaucoup de souffrance dans ce milieu, du harcèlement, d’accidents du travail, de fatigue, d’alcoolisme… et très peu de syndicalisme. Très tôt dans les écoles hôtelières, on apprend aux jeunes la hiérarchie militaire et la discipline. Je suis certaine que ce que j’ai pu vivre en saison, beaucoup l’ont aussi expérimenté et, peut-être, dans des proportions bien plus grandes.


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