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Privatisation et militarisation : l’aide humanitaire à Gaza comme nouvel outil colonial
Cet article aborde l'actualité et les répercussions des actions menées par les nouvelles structures (in)humanitaires privées récemment mises en place à Gaza. Ce type de structure a causé la mort directe de plusieurs centaines d’habitants venus chercher de l’aide. Les paradigmes humanitaires sont en plein renouvellement dans un système-monde maintenu par un capitalisme globalisé, révélant un aggiornamento de l’impérialisme parasitaire.
Par Sara Laska Publié in #ALLIES, #POSITIONS le 19 novembre 2025 27 min de lecture
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Privatisation et militarisation : l’aide humanitaire à Gaza comme nouvel outil colonial

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Cet article aborde l’actualité et les répercussions des actions menées par les nouvelles structures (in)humanitaires privées récemment mises en place à Gaza. Ce type de structure a paradoxalement causé la mort directe de plusieurs centaines dhabitants venus chercher de laide. Cet article vise donc à interroger le renouvellement des paradigmes humanitaires dans un système-monde maintenu par un capitalisme globalisé, révélant un aggiornamento de limpérialisme parasitaire.

En premier lieu, il est nécessaire de remettre en contexte l’émergence de la privatisation et de la militarisation des structures humanitaires, qui se décline de manière spécifique dans le cadre du génocide colonial en Palestine. Il sagira dun côté danalyser loutil colonial que deviennent les structures humanitaires par leur double processus de privatisation et de militarisation, tout en questionnant les intérêts de l’alliance américano-israélienne. Nous analyserons la façon dont les dynamiques sécuritaires post-2001, la destruction du secteur public de l’action humanitaire, les périodes de mise en oeuvre et d’application de cette aide font de celle-ci un outil colonial voilé sous l’étendard de la Gaza Humanitarian Foundation (GHF). Ce qui semble être une solution matérielle et temporaire aux conséquences de limpérialisme – à savoir laide humanitaire – nest que son parachèvement.

            L’impérialisme peut se définir tel « (…) le stade monopoliste du capitalisme. »[1] ou « (…) comme un capitalisme parasitaire (…)[2] ». Le parasitisme qui caractérise l’impérialisme se renouvelle selon les configurations historiques, et se caractérise différemment selon les cadres spatio-temporels dans lesquels il opère. Au sujet de la Palestine, le parasitisme de l’impérialisme se traduit certes par l’exploitation d’un territoire par les classiques et installés « États-rentiers », mais va jusqu’à la réappropriation par ces États de « solutions humanitaires ». Ces dites solutions sont remodelées par la privatisation qui ne permet plus d’amortir les conditions délétères générées par ces mêmes Etats qui transforment l’action humanitaire en stratégies inhumanitaires. L’impérialisme agressif qui s’opère en Palestine n’est plus la somme des colonies de peuplement, de la politique de la terre brûlée, de la torture par la faim et de la déportation des Palestiniens en dehors de leur propre territoire, il intègre désormais ce nouvel élément vicieux et garant d’une caution humaniste mensongère.

L’alliance américano-israélienne connaît les possibles limites de sa collaboration inter-impérialiste – à savoir les opinions de leurs peuples respectifs, mais aussi le regard international sur la situation actuelle. La documentation en direct du génocide colonial ne permet plus d’assouvir l’avidité d’expansion de territoires au sein du Moyen-Orient, il faut contourner le blâme, cacher la bête. Le paroxysme de l’instrumentalisation est atteint quand l’aide humanitaire devient pour l’alliance impérialiste pré-citée un outil nécessairement capitaliste pour l’un et vitalement colonial pour l’autre, matérialisé par l’édification de la « Gaza Humanitarian Foundation ». L’aboutissement final, le projet co-impérial derrière la privatisation et la militarisation reste ambigu. Le Grand-Israël de l’entité sioniste ou le plan Gaza-Riviera de Donald Trump ? L’heure n’est pas au débat sur la répartition de ce bout de territoire entre les pays monopolistes, mais d’accélérer la colonisation tout en générant des profits.

Rendre possible la privatisation de l’aide humanitaire pour contourner ses structures institutionnelles et ses principes fondamentaux

            Dès la sortie de la Seconde Guerre mondiale, une vague de coopération internationale est mise en place. Le paradigme initial d’aide humanitaire organisé par le biais d’un État vers un autre transitionne dans les années 1990 vers un nouveau modèle d’aide centralisé par des Organisations Non Gouvernementales (ONG)[3]. Cependant, la crise des États-providence et plus généralement les crises financières en Occident ont débouché sur un « marché de la solidarité »[4] où règnent désormais des logiques de fusion-acquisition des ONG ou de privatisation. Pour obtenir des fonds de bailleurs publics ou privés, les structures humanitaires entrent dans une dynamique concurrentielle en vue d’atteindre une position monopolistique dans le secteur. Les mécanismes américains d’appel d’offres et donc de sélection des structures – rentables – par les bailleurs, intensifient l’interpénétration des sphères publiques et privées au sein d’une « industrie de l’aide »[5] où les supposés bénéficiaires deviennent des « parts de marché potentielles »[6]. Cette marchandisation de l’humanitaire se caractérise en France entre 1990 et 2007 par la multiplication par dix des financements d’entreprises au nom du développement et non celui des organismes internes aux pays concernés.

            De chaque côté du Pacifique, les acteurs de l’alliance américano-israélienne ont détricoté fil par fil le tissu humanitaire qu’incarnait l’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient), tantôt par les coupes budgétaires américaines dès 2018 – via l’impulsion de Nikki Haley – tantôt par l’interdiction de la présence de l’agence onusienne sur le « territoire israélien » sous prétexte de supposées accointances entre ses agents et le Hamas. Ces décisions – décriées par de nombreux acteurs et ONG à l’international – doivent être analysées sous un prisme spécifique concernant la Palestine, particulièrement à l’heure où le gouvernement israélien ambitionne une stratégie de privatisation et de monopolisation de l’aide humanitaire. L’un des principaux arguments justifiant l’arrêt des financements de l’UNRWA mis en avant par l’administration Trump II concerne la supposée participation de douze agents de l’organisation à l’attaque du 7 octobre 2023. Cette information fut partagée en janvier 2024 par un site d’information israélien siégeant à Jérusalem et affirmant s’appuyer sur des « sources internes au gouvernement israélien »[7]. En dépit d’une enquête annoncée par Philippe Lazzarini[8] – directeur de l’agence de l’ONU chargée des réfugiés palestiniens –, il est compliqué d’accéder à des sources fiables – ou simplement existantes – concernant cette dite enquête, et en conséquent concernant ses résultats avérés ou non. Néanmoins, que cette implication soit réelle ou erronée, l’administration Trump I annonçait déjà la suppression de ces subventions dès 2018. Cette première annonce amène à se questionner sur le caractère catalyseur ou instrumental de l’argument au sujet d’accointances entre les agents onusiens et le Hamas par Trump II. Les raisons étaient déjà multiples et s’inscrivaient dans la stratégie unilatérale-isolationniste – aussi dit jacksonisme[9] – de Donald Trump, à savoir conforter les intérêts internes aux États-Unis en étendant sa puissance à l’étranger de manière unilatérale. Trop éloignée des intérêts américains, l’Organisation des Nations Unies serait selon l’administration Trump également trop politique et détentrice d’un « biais anti-Israéliens »[10]. Largement en amont des accusations d’accointances avec le Hamas, le sort de l’UNRWA et de ses financements étaient ipso facto déjà ficelés par l’administration Trump I et simplement catalysés par Trump II. À l’ère d’un capitalisme globalisé, il s’agit de s’intéresser aux dynamiques néolibérales du glissement de structures publiques comme l’UNRWA vers des modèles privés d’aides humanitaires à l’instar de la Gaza Humanitarian Foundation.

            La loi criminalisant et interdisant l’UNRWA au sein de l’entité israélienne votée en octobre 2024 a parachevé la chute de cette agence tout en générant une concurrence accompagnée d’un marketing hors-sol de nombreuses sociétés privées, à l’instar d’un des premiers groupes à se positionner pour séduire le gouvernement israélien, la Global Delivery Company (GDC) : «When crisis hits, GDC is there for you ». Une concurrence pour monopoliser le secteur de l’aide humanitaire, l’illogisme ou l’antithèse parfaite pour matérialiser le parasitisme de l’impérialisme contemporain. Dans cette compétition entre sociétés privées voraces qui n’accorderont jamais un iota de considérations pour les peuples opprimés, la Gaza Humanitarian Foundation (GHF), dont la récente date de création devrait plus questionner qu’arranger, semble cristalliser les aspirations de l’alliance américano-israélienne. Créée en février 2025, l’organisation « à but non-lucratif » se voit attribuer le monopole de la situation dès le printemps qui suit. L’opacité de son organisation financière, le manque de clarté dans ses statuts juridiques et sa subordination à deux sociétés militaires privées (UG Solutions et Safe reach Solutions) chapeautées elles-mêmes par une holding américaine de gestion de patrimoine (Two Ocean Trust LLC) laissent présager un organisme ancré dans l’impérialisme américain. Son ancien directeur exécutif – Jake Wood – se retire de la partie dès fin mai, en mettant en lumière l’absence de respect des principes constitutifs du droit international humanitaire : le principe d’impartialité, de neutralité et d’indépendance[11]. Il sera – dans un continuel clanisme trumpiste – remplacé par un conseiller de Donald Trump et proche du gouvernement israélien : Johnnie Moore.

            Dans une dimension pratique et juridique, le secteur humanitaire se caractérise par son principe d’indépendance, d’humanité, d’impartialité, et de neutralité[12], et dans une dimension politique par son action et l’intention en arrière-plan de cette même action.[13]

Rony Bauman a émis une définition consensuelle et peu clivante de l’action humanitaire : « (…) l’action humanitaire est celle qui vise, pacifiquement et sans discrimination, à préserver la vie dans le respect de la dignité, à restaurer l’homme dans ses capacités de choix. », puis il ajoute : « L’intention du geste, que doit guider le souci de l’Autre, et non la défense d’intérêts. » Synthétiquement, dans une approche politico-juridique, les intérêts privés ne peuvent accompagner l’action humanitaire et cette action ne peut donc être privatisée sans tromper sa propre essence, voir sans être constitutive de l’ingénierie inter-impériale.

            La décimation progressive de l’UNRWA a pu laisser un terrain vierge et fertile à une structure d’aide humanitaire américaine privée : la GHF. La population palestinienne est le terrain direct d’essai de transitions de modèles d’aide vers des stratégies à buts lucratifs et coloniaux et en conséquent celle-ci subit l’intensification des massacres sous couvert d’aide humanitaire. Cette représentation parfaitement orchestrée d’un glissement du publique vers le privé permet de poursuivre une « aide » essentielle et vitale qui comblerait l’absence d’aide publique – intentionnellement supprimée.

Le retrait de l’État américain des financements peut être considéré comme un redéploiement de ce dernier. Il se décharge de la prérogative humanitaire en Palestine en supprimant les subventions de l’UNRWA, mais n’est pas dans une situation de retrait, car ses sphères privées – en accointance avec l’État – assurent la continuité des services dits humanitaires. En somme, la privatisation comme outil de redéploiement de l’État permet à ce dernier de se redévelopper en prenant appui sur des acteurs privés (la GHF) pour aboutir à davantage de contrôle par le biais d’une souveraineté interne et externe confortées[14] grâce au brouillage des frontières entre sphère publique et privée. Soit la mise en place d’une nouvelle forme de gouvernementalité ancrée dans des logiques néolibérales qui confirment les thèses post-weberiennes d’une décharge de l’État permettant sa réaffirmation par le biais de la sphère privée. Cette présence américaine dans la bande de Gaza permet d’assurer une permanence des structures militaires dans la région faisant du Moyen-Orient un proxy de l’impérialisme américain. Elle permet aussi de se positionner dans le continuum de la stratégie trumpiste d’affirmation symbolique et salvatrice des Etats-Unis au sein du Moyen-Orient. Il est évident qu’en parallèle des gains politico-symboliques, des liens entre l’administration Trump et cette structure humanitaire, la GHF génère également des profits pour les acteurs de la structure économique qui lui permettent de se maintenir. L’accès aux informations concernant les divers financements est compliqué par l’opacité installée, bien que certains articles mettent en avant la source d’une partie des financements : le gouvernement israélien.[15]

            Cette implication des États-Unis via les sphères privées au sein du Moyen-Orient s’accompagne d’une militarisation accrue de l’aide humanitaire. Cette militarisation est le résultat de plusieurs facteurs, et notamment du fait du caractère privé et lucratif de l’agence. En premier lieu, les agents de la GHF sont dépourvus de formations humanitaires ou liées au développement mais sont généralement des anciens agents de sécurité armés américains. C’est en effet au profit de la sécurité et de la défense israélienne que se sont développées les sociétés privées d’aide humanitaire qui recherche davantage la rentabilité que le respect déontologique de la pratique. Ces structures privées sont ipso facto une nouvelle manière de contourner les structures humanitaires classiques, mais surtout de militariser les distributions.

La militarisation des structures humanitaires couplée au techno-colonialisme comme outil impérialiste

            À l’instar de Sami Makki[16], certains chercheurs mettent en lumière dès 2010 le tournant sécuritaire des États occidentaux – impulsé par les États-Unis et les dynamiques post-2001 – qui « (…) reprennent l’initiative de l’action humanitaire [pour l’intégrer] aux composantes de l’action diplomatique et militaire ». C’est aux États-Unis que la directive présidentielle n°56 (PDD 56) issue d’une stratégie visant à interpénétrer les agences du département d’État, du Pentagone et de l’USAID par l’intégration de dispositifs autant civils que militaires, impulse la militarisation des structures humanitaires dans un contexte sécuritaire de lutte contre le terrorisme. Ce double processus de marchandisation de l’humanitaire et de militarisation a fertilisé un terrain prêt pour l’émergence de la GHF.

La loi fondamentale sur l’Armée promulguée en 1976 en Israël crée des rapports spécifiques entre l’autorité civile et l’autorité militaire. Édifiée par David Ben-Gourion, Tsahal repose sur la conscription obligatoire, l’apolitisme (permettant surtout d’éviter les clivages ethniques, religieux, culturels et de conserver l’unité), puis l’extension du rôle de l’armée à des fonctions extra-sécuritaires (éducation, culture…)[17]. Ces caractères propres à l’armée israélienne permettent de fondre la société civile et militaire, de civiliser la dimension militaire et militariser la dimension civile, de ne faire qu’un. 

Cette militarisation s’opère en deux temps. En premier lieu lors de la mise en œuvre en amont et à travers les questions de rapports de forces internes, de politiques, de choix budgétaires, de processus institutionnels mais aussi par le biais de l’application, lors du déploiement de l’aide humanitaire sur le terrain.

Pénélope Lazillère expliquait la façon dont l’apparition de ces réseaux hybrides était issue de choix budgétaires – et donc éminemment politiques – consistant à augmenter les crédits des secteurs sécuritaires tout en baissant ceux consacrés au développement au sein du Proche-Orient[18]. Elle met en lumière la façon dont le « caractère de l’urgence » dans un contexte sécuritaire facilite les répartitions budgétaires pré-citées.

Le 2 mai 2025, le président des États-Unis annonçait les prémices du budget 2026 avec une hausse de 13 % concernant la défense et 65 % concernant la sécurité intérieure[19]. Parallèlement à ces budgets croissants ; le président américain a récemment demandé au Congrès « d’approuver la suppression de 4.9 milliards de dollars supplémentaires d’aide internationale »[20]. De l’autre côté du partenariat, les règles sécuritaires israéliennes priment chez les bailleurs de fonds au détriment de la considération du peuple palestinien et au profit de son extermination. L’écart entre les agendas internationaux et impérialistes d’un côté, et les agendas locaux et réellement humanitaires de l’autre, est large et crée un brouillage des frontières au sein de la population, entre agents humanitaires et militaires, augmentant en conséquent leur méfiance. Ce fut déjà le cas lors des interventions américano-britanniques en Irak, durant lesquelles le brouillage des frontières militaires et humanitaires avait généré un handicap auprès des ONG qui étaient, dans les représentations des populations, associées au conflit.[21]

            Cette militarisation de l’aide humanitaire n’intervient ni dans un conflit symétrique, ni durant une guerre civile, elle intervient durant un génocide colonial où la totalité des stratégies sont utilisées pour poursuivre l’objectif final. En conséquent, cette militarisation de l’aide humanitaire a provoqué de nombreux assassinats dans la bande de Gaza. Le média Al-Jazeera répertorie dès le 27 mai une dizaine de morts et 62 blessés dus à l’attaque de chars israéliens durant les distributions, ce à quoi l’armée israélienne a répondu seulement tirer « des coups de semonce » pour éloigner la population souhaitant se frayer un chemin pour atteindre le point de distribution. Ces massacres se sont routinisés sur les points de distribution avec ceux de Witkoff, le 1er juin 2025, puis se sont pérennisés le 8, 9, 10, 11, 12, 14, 15 juin, etc. La formation militaire des agents nouvellement humanitaires ne permet en rien une expertise concrète, pertinente et adaptée aux réalités concernant ces différentes situations de crimes. Ces « abattoirs humains », pour reprendre les termes du Ministère de Santé de Gaza, sont accompagnés de matériels algorithmiques de surveillance de la population permettant une nouvelle marche de manœuvre arbitraire dans l’interprétation des actions dites légitimes du gouvernement israélien. Ces mécanismes permettent une nouvelle fois de justifier la privation de liberté et les assassinats massifs sous couvert de lutte contre le terrorisme. Néanmoins, quand la soi-disant lutte contre le terrorisme se traduit par l’assassinat de femmes et d’enfants à hauteur de 70 % à Gaza depuis le début du génocide[22], il devient de plus en plus compliqué de justifier les actions de l’entité sioniste par la lutte contre le Hamas. De plus, l’interprétation israélienne de ses cibles a trouvé une continuité dans ces points de ralliement qui permettent de regrouper la population pour effectuer une meilleure « gestion » au sens génocidaire du terme.

Une cartographie du centre de recherche de la BBC réalisée le 31 mai 2025 à 00h01[23] permet également d’analyser la répartition géographique de ces points de distribution afin d’analyser les choix politiques et impérialistes de leur localisation. Trois points sur quatre sont positionnés dans l’extrême sud de la bande Gaza, à la frontière égyptienne, le dernier est isolé au nord de la bande ; les zones géographiques correspondent à celles mentionnées dans les dernières déclarations du gouvernement israélien au sujet des projets de déportation de la population palestinienne. Les assassinats de masse qui s’opérent dans ces zones surpeuplées et militarisées ont été dénoncés par plus de deux-cents ONG arguant qu’en quatre semaines « plus de 500 Palestiniens ont été tués et près de 4000 blessés simplement parce qu’ils essayaient d’accéder à de la nourriture »[24].

            Par ailleurs, le techno-impérialisme est un outil privilégié de l’alliance américano-israélienne à travers le déploiement d’outils de biométrie et d’une technologie de reconnaissance faciale, prétextant la recherche de quiconque en lien avec le Hamas pour généraliser la surveillance dans la bande. Durant l’embargo, le techno-colonialisme israélien préparait déjà l’asservissement du peuple palestinien aux technologies israéliennes. Cet asservissement se poursuit sous une forme renouvelée, qui envisage la bande et ses habitants comme un espace propice à la réalisation de tests et d’expérimentations d’outils technologiques. La servitude technico-économique avait poussé à l’asymétrie et à la dépendance les Gazaouis avant le début du génocide. Elle s’est transformée en réel outil colonial. En janvier 2025, Apoorva PG mettait déjà en lumière la façon dont l’apartheid israélien s’appuyait sur la Big Tech pour surveiller, réprimer et contrôler la population palestinienne qui est en première ligne des victimes du colonialisme numérique[25]. L’autre face de ces technologies coloniales est l’implantation de centres de recherche et de développement des industries technologiques en Israël ayant conscientisé l’apport fondamental qu’un terrain colonial pouvait constituer pour leurs expertises. Des statistiques élaborées par « Stop the Wall », une campagne palestinienne, mettent en lumière le développement du secteur Recherche et Développements (R&D) par l’alliance inter-impérialiste.

« Pendant les dernières décennies, plus de 300 entreprises technologiques multinationales leaders du secteur ont établi des centres R&D [Recherche et Développement] en Israël, ce qui correspond à environ 50 % des dépenses des entreprises en R&D. Ces multinationales ont acquis un total de 100 compagnies israéliennes. Un certain nombre d’entre elles ‒ telles Intel, Microsoft, Broadcom, Cisco, IBM et EMC ‒ ont acquis plus de 10 compagnies locales durant leur temps opérationnel en Israël. Plus de 30 licornes de la tech ‒ des start-up évaluées à plus d’un milliard de dollars ‒ sont situées en Israël. Cela représente environ 10 % des « licornes » dans le monde. »[26]

            Au moment où cet article est écrit, la Gaza Humanitarian Foundation est toujours active sur le territoire gazaoui, en dépit de l’accumulation d’articles de presse dénonçant ses pratiques. Récemment, une enquête menée par la BBC et diffusée – en partie – par Courrier International, dénonce la présence du Infidels Motorcycle Club dans la bande, censé « assurer » les distributions alimentaires. Ce groupuscule politique de motards américains mêlent dans ses revendications, un patriotisme américain prononcé à un fort rejet de l’islam. Ce groupuscule a adopté pour symbole la croix des Croisés qui sont des groupes de chevaliers chrétiens ayant participé aux croisades pour reprendre Jérusalem et la Terre Sainte aux musulmans durant le Moyen-âge. Le déploiement des Infidèles MC s’inscrit dans le continuum non seulement du non-respect du droit international humanitaire et de ses principes, mais surtout de la logique coloniale de haine et de négation de l’existence d’un peuple sur un territoire donné. Un responsable d’un des sites de distribution de la GHF a récemment affiché une photo présentant une banderole avec l’inscription « Make Gaza Great Again ». Un acte permettant de réaliser l’emprise de la stratégie trumpiste au sein de Gaza, mais aussi l’impunité des crimes de l’alliance américano-israélienne bien trop souvent oblitérée des sanctions internationales.

            En somme, le paradigme humanitaire s’est renouvelé sous un stade avancé du capitalisme et répond davantage à des logiques sécuritaires qu’humanitaires. La décimation progressive de l’UNWRA était nécessaire pour l’alliance américano-israélienne afin de créer artificiellement un vide à combler par le biais du secteur privé. L’émergence de la GHF répond à cet appel du privé par la destruction du public, mais n’est pas pour autant analogue au retrait de l’État. L’État américain de Donald Trump voit son caractère décisionnel renforcé par les multiples liens entretenus entre l’administration et la GHF, qui devient une structure dont les objectifs sont aux antipodes des principes de l’action humanitaire. Par le contournement des structures institutionnelles et des principes fondamentaux de l’aide humanitaire, la privatisation permet de militariser cette même aide afin de convenir à l’autre face de l’alliance : le gouvernement israélien. Cette militarisation opère dans un contexte plus général d’augmentation des dynamiques sécuritaires impulsée par les États-Unis sous couvert de lutte contre le terrorisme. Tuer sur place, déporter, ou contrôler, la GHF et ses agents ont l’avantage de cumuler des stratégies coloniales facilitées par un techno-impérialisme développé par la dynamique inter-impérialiste qui voit dans ce génocide une façon d’accroître leurs connaissances et savoir-faire du secteur de la sécurité. La passivité générale des peuples – en partie face à cette action inhumanitaire – dont les gouvernements impériaux perpétuent l’ordre est elle-même issue d’une forme solide du parasitisme de l’impérialisme : celui des esprits.


[1] LÉNINE, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, Science marxiste, 1916, p. 48.

[2] Ibid., p. 55.

[3] JEAN François, « Le triomphe ambigu de l’aide humanitaire », Revue Tiers Monde, 1997, pp. 641-658

[4] LARCHER Jérôme, Le déclin de l’Empire Humanitaire, Fondation pour la Recherche Stratégique, L’Harmattan, 2017, p. 102-112

[5] Ibid., p. 108

[6] Ibid.

[7] MAGID Jacob, « UNRWA sacks staffers who allegedly participated in Oct. 7 attack; US halts funding », The Times of Israel, 26 January 2024, 10:58 pm.

[8] Le Monde avec AFP, « Guerre Israël-Hamas : l’UNRWA se sépare de « plusieurs » de ses employés, soupçonnés d’avoir participé à l’attaque du 7 octobre », 26 janvier 2024 à 17h10.

[9] RUSSELL MEAD Walter, The Jacksonian Tradition : And American Foreign Policy », The National Interest, No. 58, 1999, pp. 5-29.

[10] La Dépêche du Midi, « Réfugiés palestiniens : Trump coupe les vivres à l’ONU », 02/09/2018, 7h46

[11] « Gaza : le chef de la nouvelle fondation humanitaire soutenue par Washington, Jake Wood, démissionne », Le Parisien avec AFP, 26 mai 2025 à 12h01.

[12] Résolution 46/182 de l’Assemblée Générale des Nations Unies : « Renforcement de la coordination de l’aide humanitaire d’urgence de l’Organisation des Nations Unies »

[13] BARNETT Michael, Weiss G. Thomas, Humanitarianism in question. Politics, Power, Ethics, Cornell University Press, Ithaca and London, 2008, p. 98

[14] HIBOU Béatrice, « Retrait ou redéploiement de l’Etat », Critique internationale, 1998, pp. 151-168.

[15] MRAFFKO Clothilde, JO SADER Marie, « À Gaza, le délitement annoncé de la fondation humanitaire GHF », Le Monde, 5 juin 2025 à 11h00.

[16] MAKKI Sami, « Les enjeux de l’intégration civilo-militaire aux États-Unis. Regards d’un sociologue embarqué dans les nouveaux réseaux hybrides », Politique Américaine, 2010/2, n°17, pp. 27-48.

[17] CHARBIT Denis, « La société israélienne et son armée : un singulier rapport », Crise de l’autorité et de la vérité, Désagrégation du politique, 2022, pp. 145-158.

[18] LARZILLIÈRE Pénélope, « L’influence des approches sécuritaires sur les politiques de développement au Proche-Orient », Revue Humanitaire, 2008

[19] La Croix (avec AFP), « Donald Trump présente un budget centré sur la sécurité et la défense », 2 mai 2025, 17h57.

[20] Le Monde avec AFP, « Donald Trump coupe encore dans l’aide internationale et accroît les risques de paralysie budgétaire », 29 août 2025 à 17h51.

[21] MOFARAH Kasra, « Confusion en Irak », Humanitaire, 2008, p.3.

[22] Voir https://news.un.org/fr/story/2024/11/1150406

[23] MURPHY Matt, Nguyen Kevin, « How controversial US-Israeli backed Gaza aid plan turned to chaos », BBC, 31 may 2025.

[24] Médecins Sans Frontières, « Gaza : mettre fin à un système de distribution qui oblige la population à choisir entre mourir de faim ou sous les balles. », 4 juillet 2025

[25] PG Apoorva, « Voir le monde comme un-e Palestinien-nne. Luttes intersectionnelles contre Big Tech et l’apartheid israélien », Ritimo, 13 janvier 2025.

[26] Voir la campagne « Digital Walls » menée par la campagne palestinienne Stop the Wall : https://stopthewall.org/digitalwalls/


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