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Face à la crise du capitalisme : la militarisation de l’enseignement
Dans un contexte de crise avancée du capitalisme, la militarisation de l'enseignement devient un enjeu central. La création des Classes de défense et de sécurité globale répond à un triple objectif : rappeler le pouvoir de la force et de l’ordre à des publics considérés comme problématiques ; recruter des effectifs pour l’armée en offrant un débouché dans des zones géographiques frappées par le chômage ; préparer les esprits et les corps à la guerre. Elles annoncent à la fois un retour à la conscription et au conditionnement imposé des forces vives et un tournant économique et idéologique.
Par N. Publié in #POSITIONS, #SNIPER le 24 novembre 2025 9 min de lecture
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Face à la crise du capitalisme : la militarisation de l’enseignement

« Le service [militaire] de trois ans, tel qu’il existe dans un autre pays, doit, pour porter ses fruits, avoir été précédé pendant longtemps d’un dressage préliminaire spécial acquis à l’école. Il faut donc développer l’instruction, l’instruction à tous les degrés, et surtout l’instruction militaire civique. Apprenons aux enfants ce qu’est que le soldat : quels sont ses devoirs ; quelle charge lui impose sa mission ; et même quelle grandeur et quel honneur il y a dans les charges qui lui sont imposées ».

Ainsi parlait, en 1881, le général Farre au moment où la IIIe République adoptait les lois Ferry rendant l’école gratuite, laïque et obligatoire. 150 ans plus tard, dans un contexte de crise économique bien différent de celui du XIXe dans ses causes, mais à l’origine commune, le capitalisme, une sortie à la crise est envisagée : la militarisation de l’enseignement.

Le 20 novembre, devant une assemblée de maires, le chef d’Etat major Fabien Mandon assène que le pays va devoir recouvrir « sa force d’âme pour accepter de [se] faire mal et protéger ce qu’[il] est ». Et cela passera par le fait d’être prêt à « accepter de perdre ses enfants ». Ces propos ne sont pas anodins et le fait d’un militaire en roue libre. Ce même général, quelques mois plus tôt avait annoncé que la France devait se tenir prête « à un choc dans trois, quatre ans face à la Russie ». De telles sorties doivent servir à la fois à préparer les esprits et à annoncer les orientations stratégiques à venir pour l’économie.

Le capitalisme, dans sa phase néolibérale, s’enferme dans une crise dont il est incapable de sortir. Ne dégageant plus aucuns gains de productivité mais devant poursuivre sa réalisation de profit, il n’a d’autres choix que de contracter les salaires soit par l’inflation, soit par l’allongement de la durée de travail sur fond de menace de chômage. Mais cela ne suffit pas. Les transferts massifs d’argent public vers le privé, estimés à près de 270 milliards d’euros, permettent de maintenir des dividendes élevés pour l’actionnariat mais n’offrent pas de voie de sortie de crise. Le capitalisme ne développe plus les forces productives, appauvrit massivement les populations même dans les économies développées du centre impérialiste, et par ses politiques austéritaires et répressives, ne fait que contracter plus encore la demande de consommation. La surconcentration du capital devient un frein majeur de l’économie car elle empêche l’investissement productif nécessaire, et avec, la création d’emplois et l’augmentation des salaires.

Cet état de fait pose à la bourgeoisie une question essentielle : comment perdurer sans remettre en question sa position de domination ? Les inégalités se creusant, elles produisent une multiplication de mouvements sociaux revendicatifs et les interludes entre deux mouvements se raccourcissent. La lutte des classes se réchauffe et le seul horizon qui se dessine est celui de l’aggravation de la pénurie sur fond de démantèlement des derniers oripeaux d’Etat social.

La solution, Fabien Mandon l’entrevoit, et lorsqu’il s’exprime en direct sur BFM, c’est toute une classe qui parle à travers lui : l’avenir ne fera pas l’économie d’une guerre. Davantage, l’avenir se fera dans une économie de guerre, seule capable de relancer l’investissement et d’engendrer les destructions qui nécessiteront des reconstructions et donc un nouveau cycle d’investissement-production-profit. La guerre n’est pas une fatalité, elle répond aux contradictions du capitalisme. En 1914, celles produites par les rivalités inter impériales. En 1939, celles résultant de la crise de 1929 et de la menace d’un basculement communiste. La guerre à venir pour le partage du monde, de ses marchés et de ses ressources devra trancher entre l’affaiblissement du centre de l’empire, les Etats-Unis, et les puissances concurrentes comme la Russie ou la Chine.

Qui veut la paix sociale, prépare la guerre. L’Union européenne l’a bien compris quand Trump a tapé du poing sur la table et ordonné que les budgets militaires soient revus à la hausse. Emmanuel Macron, dans la foulée, annonçait que celui de la France serait relevé pour atteindre 64 milliards d’euros en 2027 et 413 milliards sur la période 2024-2030. Véritable manne pour le secteur industrialo-militaire, ces investissements doivent servir à rééquiper les armées : remplacements des équipements vétustes, modernisation des systèmes de défense et d’intelligence, production d’armes, missiles, drones, etc. Forte de ces nouveaux outils, l’armée manque de bras pour les utiliser. Les vocations ne suffisant pas, il faut les stimuler et les multiplier. Et cela commence dès le plus jeune âge : à l’école.

Deux articles, l’un de Politis en juin 2023, et l’autre de Médiapart le 11 novembre 2025, alertent sur l’extension des Classes de défense et de sécurité globale (CDSG). Au nombre de 855 classes en 2025, pour 21 000 élèves concernés, ce dispositif a connu une nette accélération ces dernières années – le nombre de classes a été multiplié par 2 entre 2021 et 2023. Il repose sur un partenariat entre le ministère de l’éducation nationale et celui des armées. Chaque établissement est encouragé à passer une convention avec une unité de l’armée présente sur son territoire, permettant à celle-ci d’intervenir plusieurs fois dans l’année auprès des élèves – sans nécessité d’obtenir l’aval des parents[1], celui des élèves n’étant même pas envisagé. Sous couvert d’objectifs de « cohésion de la Nation, d’éducation à la citoyenneté et d’ouverture sociale » ce dispositif qui s’appuie sur le soutien financier d’industries du secteur comme Dassault, Naval Group ou Safran, propose des ateliers au contenu très explicite : « repousser des manifestants hostiles[2] », « fouille d’une cellule carcérale », « zéro-tolérance », « tir au pistolet laser »[3], « vivre le quotidien d’un surveillant de prison[4] ». C’est d’ailleurs ce dernier atelier qui a soulevé une polémique à la suite de l’article de Médiapart révélant que plusieurs jeunes en voie professionnelle s’étaient retrouvés le nez en sang, plaqués au sol par des surveillants de la prison de Fresnes dont le but était de « de montrer qu’il ne servait à rien de s’opposer aux forces de l’ordre, car ces dernières auraient toujours le dessus ».

Le message est clair et le public auquel il s’adresse aussi. Le ministère ne s’en cache pas dans son Vademecum : « les classes de défense s’adressent en priorité à des établissements situés en réseau d’éducation prioritaire (REP ou REP+) ou en zone rurale isolée sans que cela soit exclusif des autres établissements scolaires. ». Dans un contexte de contraction de l’offre d’emplois et de dévalorisation des diplômes, l’armée se présente comme un débouché possible pour des enfants qui pourraient être confrontés à l’échec scolaire, ou aux difficultés de trouver un emploi. L’armée se pose aussi comme le garant de l’ordre auprès de populations considérées comme dangereuses, décivilisées et dénuées de valeurs – lors des révoltes de l’été 2023, suite au meurtre de Naël, l’envoi de l’armée dans les quartiers avaient d’ailleurs été soulevés à plusieurs reprises à droite[5]. Supplétive de l’ordre dominant, l’armée est aussi celle de l’ordre racial. A ce titre, les CDSG sont très implantées dans les départements et régions d’Outre-mer.

Les Classes de défense et de sécurité globale ont donc un triple objectif : rappeler le pouvoir de la force et de l’ordre à des publics considérés comme problématiques ; recruter des effectifs pour l’armée en offrant un débouché dans des zones géographiques frappées par le chômage ; préparer les esprits et les corps à une potentielle guerre – objectif que le Service National Universel (SNU) partageait et qui rappelle les bataillons scolaires de la IIIe République. Dans un contexte de crise avancée du capitalisme, la militarisation de l’enseignement devient un impératif. Elle annonce à la fois un retour à la conscription et au conditionnement imposé des forces vives et un tournant économique et idéologique. La marche à la guerre se prépare, au pas cadencé des uniformes, sous la poigne d’une classe aux abois prête à tout pour éviter d’avoir à perdre sa position dominante. La bourgeoisie se lavera les mains du sang des jeunes générations, protégeant ses enfants de la mort et poussant ceux des autres au front et sera prête au compromis fasciste le cas échéant.

Mais la guerre n’est pas une fatalité. Tout comme la crise, elle est évitable. Elle nécessite la résistance et la mobilisation de toutes celles et ceux brutalisées par son monde. La bifurcation ne pourra se construire que dans un rapport de force déterminé pour sortir du capitalisme.


[1] C’est d’ailleurs un mail d’une parent d’élèves d’un établissement concerné par ce dispositif qui a suscité la rédaction de cet article.

[2] https://www.francebleu.fr/infos/societe/dijon-des-collegiens-en-classe-defense-participent-a-un-rallye-au-contact-des-uniformes-2662668

[3] https://www.politis.fr/articles/2023/06/politis-hors-serie-ecole-quand-larmee-envahit-lecole/

[4] https://www.mediapart.fr/journal/france/111125/dans-un-lycee-professionnel-des-ateliers-vis-ma-vie-de-detenu-degenerent-en-fight-club

[5] Rappelons que 3651 personnes ont été arrêtées, 380 condamnées à de la prison ferme, et 2 sont mortes, l’une à Cayenne et l’autre à Marseille.


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