D’un barrage l’autre
Il y a 3 semaines, nous assistions à une non-défaite dans les urnes lorsque le NFP arriva en tête des élections législatives et finit, contre tous les pronostics, par mettre les forces de l’axe réactionnaire sous hégémonie du Rassemblement national en troisième position. Nous parlons aujourd’hui de non-défaite car nous savons que l’arrivée en tête du NFP s’est faite au moyen de la réactivation du bloc macroniste et du désistement de certains de ses candidats. Ce qui permit la réélection d’anciens députés parmi les plus emblématiques de la politique réactionnaire, autoritaire et impérialiste française, comme Braun-Pivet ou Darmanin. Ce moyen, cette pratique, est la clé de compréhension de la finalité. Elle laisse un espace à Macron dans sa logique anti-démocratique qui dure depuis 6 ans pour refuser la victoire du NFP et imposer son camp comme rempart à l’extrême-droite.
La cérémonie des Jeux olympiques est dans la continuité de cette non-défaite, douce-amère. Beaucoup de camarades et de soutiens aux forces progressistes s’attendaient, lors de cet événement, à un défilé de clichés éculés, conformistes, à la gloire de l’universalisme français, dont on sait qu’il n’est que le paravent de sa domination impérialiste. La promesse de Thomas Jolly, auteur brillant qui a su dans sa carrière illustrer les classiques sans tomber dans l’académisme, en tant que directeur artistique de la cérémonie, laissait espérer qu’on ne tomberait pas dans le poussiéreux des musées et le grossier du Puy du Fou. Il en a été autrement. En effet, loin de tout cela, la cérémonie a pu mettre en avant des tableaux innovants et inattendus, faisant place à un imaginaire moderne et progressiste. Deux tableaux ont retenu l’attention : la mise en avant de la Révolution française sur un style carnavalesque, faisant chanter le « ça ira » à Marie-Antoinette décapitée sur la musique du groupe de métal Gojira, et un banquet composé de drag queens, rappelant également la Cène, tableau de Vinci maintes fois détourné, pastiché et parodié. Ajoutons la performance d’Aya Nakamura sortant de l’Académie française entourée de la Garde Républicaine. Bref, une cérémonie d’ouverture qui portait bien son nom, inclusive, joyeuse et bon enfant.
Cela était pourtant trop pour les cadres de l’axe réactionnaire, de l’empire médiatique Bolloré aux élus du Rassemblement national, en passant par Philippe de Villiers. Tous ceux-là ont cru assister à un défilé satanique de l’anti-France.
Ne soyons pas dupes, trois semaines après le barrage électoral au RN, la cérémonie apparaît comme un barrage culturel, un « bardage » culturel pourrait-on dire plus précisément. Décoratif, anecdotique en façade, pour cacher un édifice monstrueusement réactionnaire : le macronisme tenant d’une France ultra-impérialiste. En témoigne son engagement actif aux côtés du régime génocidaire israélien. Beaucoup ont parlé de « washing », notamment à propos de la récupération de la cause LGBTQIA+ qui est une cause essentielle et loin d’être admise au vu des réactions, ce qui est juste mais insuffisant.
En effet, si l’on peut imaginer que Macron et ses conseillers aient pu concevoir un progressive-washing devant le monde pour apparaître comme la clé de voûte anti-réactionnaire – soit la stratégie utilisée depuis 2017 -, l’imaginaire progressiste de la cérémonie nous semble bien plus révélateur des forces sociales en lutte dans le pays et de la situation politique concrète. Incapable de s’imposer sans l’appui des classes supérieures, composantes du bloc bourgeois, la gauche est coincée entre la satisfaction de voir sa vision du monde portée par Macron et la colère de constater que cette dernière lui profite encore une fois tandis qu’il continue d’attaquer pendant cette fausse « trêve olympique » les droits fondamentaux (telle l’interdiction du port du hijab), les migrants et les classes les plus précaires. La satisfaction et la contradiction au sein du camp progressiste quant à savoir s’il fallait se réjouir de cette cérémonie ou non est un faux dilemme. Il est révélateur de l’hétérogénéité des forces de progrès et de leurs limites actuelles. On peut y voir une potentialité progressiste. En effet, si Macron doit encore se parer d’une image de progrès, même de manière hypocrite, cela montre que la bourgeoisie n’est pas encore tombée totalement dans l’anti-libéralisme et l’irrationalisme et que le fascisme n’est pas encore là. Et on peut également y voir la faiblesse des forces de gauche servant de force d’appoint et de caution au macronisme et à sa politique. La réalité est ce double point de vue.
Cela nous permet de rappeler qu’il n’y a rien d’unilatéral dans le mouvement historique. Le capitalisme ne crée rien. C’est une modalité. Ce sont les sujets collectifs et les classes sociales qui produisent le monde, en contradiction et en lutte. Et chaque production sociale porte en elle cette lutte.
À l’impasse politique et institutionnelle issue du 7 juillet, s’ajoute maintenant une impasse culturelle. Ces deux impasses maintiennent en vie Macron et son monde, empêchant ainsi aux forces progressistes d’accéder au contrôle de la société. Cette impasse sera résolue lorsque la vision progressiste sortira d’une simple vision abstraite, esthétique et passagère, pour devenir concrète et permanente. Pour cela, les classes intermédiaires encore coincées entre Jolly et Castets doivent être radicalisées devant ce choix décisif : pacte égalitaire ou pacte réactionnaire.