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Comme des fourmis face à l'incendie
Cette crise de légitimité qui touche tous les partis et qui vient à la fois des résultats effectifs des appareils politiques palestiniens et à la fois d’un rejet particulier dans la jeunesse ont été parmi les éléments qui ont motivé le Hamas a lancé l’opération Déluge d’Al Aqsa.
Par Thermidor Publié in #POSITIONS le 21 octobre 2023 6 min de lecture
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Comme des fourmis face à l’incendie

Samedi 7 octobre l’opération militaire “déluge d’Al Aqsa” a été déclenchée par les combattants du Hamas (mais pas que) pour répondre à plusieurs objectifs, notamment à la
menace coloniale que fait peser sur l’existence des Palestiniens la politique coloniale et son apartheid. Nous pourrions commenter les images de civils israéliens kidnappés, faire des comparaisons du nombre de morts ou du traitement des prisonniers, morts ou vifs, de la part des différentes forces en présence. Il s’agit ici de dépasser ces constats et de porter une analyse sur ce que disent ces évènements de la situation politique en Palestine, dans les relations internationales et en France. Cet article ne prétend pas donner toute la lumière sur la situation en cours, qui va de toute façon trop vite pour être décrite complètement, mais nous proposons ici, humblement, de donner une partie de la réponse. Ce qui semble être une nécessité face à un paysage à la tension qui traverse le champ médiatique.

Le paysage politique palestinien

Pour comprendre la situation actuelle il faut remettre un peu de contexte. A la suite de
l’échec des accords d’Oslo (1993) et de la défaite des Palestiniens lors de la seconde Intifada (2000-2005), la situation politique s’est crispée en Palestine et les élections qui ont eues lieu n’ont pas été reconnues comme légitimes par toutes les forces en présence. Depuis début 2006, la vie politique est stagnante. Trois partis politiques majeurs structurent la vie politique palestinienne. Il y a le Fatah, le parti de Yasser Arafat, qui représente un arc central, agrégeant des membres à la fois de la social-démocratie, des centristes et des nationalistes arabes. Il était l’organisation centrale de l’OLP et de la première phase de lutte des Palestiniens pour leur autonomie. Il y a également le FPLP qui est un parti marxiste, présent dans la vie politique palestinienne mais ayant perdu de la vigueur notamment depuis la chute de l’URSS. Et enfin il y a le Hamas, qui est un parti islamiste. Il focalise les opinions occidentales au-delà du nécessaire, mais nous en parlerons plus tard.

Si ces 3 partis ont un rôle important, deux sortent du lot :
Le Fatah qui gère la Cisjordanie et le Hamas qui gère Gaza. Car c’est bien de cela dont il est question : de gestion. Le statut de territoire colonisé qu’a la Palestine ne lui a pas permis de développer une économie à l’avant garde de l’économie de marché et une classe capitaliste. Ce sont donc des gestionnaires, des bureaucrates, qui sont à la tête de l’appareil politique dans un moment que certains qualifiaient avant les événements du 7 octobre de “paix économique sous occupation militaire”. Cette situation et le manque de combativité d’un partie de la classe politique ont entraîné une méfiance chez bon nombre de Palestiniens pour les organisations au pouvoir. Bien que cet état de fait soit atténué à Gaza par la dépendance organisée des populations, le blocus et la guerre permanente, c’est une dynamique qui est prendre en compte pour comprendre les événements récents.

Appareils politiques et jeunesse nées sous occupations

Cette crise de confiance se cristallise au sein de la jeunesse palestinienne. Il y a peu d’estime accordée aux grands appareils. La jeunesse palestinienne juge parfois sévèrement ses aînés et elle estime quelquefois que les plus anciens ont raté la lutte anticoloniale, la solution à deux Etats et perdu la deuxième intifada. Pour la jeunesse, les partis ne peuvent donc pas apporter une réponse globale aux problèmes que vivent les Palestiniens.

Les Palestiniens très qualifiés ont décidé de mettre leurs connaissances au service de la
lutte de libération nationale en s’investissant sur des problématiques spécifiques au sein de collectifs dédiés. Les jeunes les plus précaires se sont eux tournés vers des moyens de lutte plus radicaux. Chez les plus diplômés, on voit les avocats former des collectifs juridiques comme Al Haq, les communicants administrer des pages de réseaux sociaux comme Eye of Palestine ou des jeunes cadres s’impliquer dans les camps de réfugiés. Dans la jeunesse plus précaire, les éléments les plus motivés se retrouvent à continuer la lutte contre l’occupant israélien avec un éventail de tactiques allant du sabotage à des modes de combat plus militaires, en passant par la manifestation spontanée, le tout en gardant à distance les partis. Il n’y a pas forcément une séparation complète entre ces jeunes et les partis des plus vieux, mais souvent une démarcation assez nette est tracée. C’est par exemple le cas de l’unité “la Fosse aux Lions”, groupe affinitaire de jeunes créé à la suite de l’assassinat d’Ibrahim Nabulsi par l’armée israélienne ou le groupe “Balata” (du nom du camp de réfugiés éponyme). Tous sont jeunes, l’impérialisme les ayant laissés sans perspectives (ni en Palestine ni ailleurs) et traversent la colonisation depuis qu’ils sont nés, sans espoir d’avoir un jour un Etat palestinien où il ne subiront pas l’apartheid.

Cette crise de légitimité qui touche tous les partis et qui vient à la fois des résultats effectifs des appareils politiques palestiniens et à la fois d’un rejet particulier dans la jeunesse ont été parmi les éléments qui ont motivé le Hamas à lancer l’opération Déluge d’Al Aqsa : la défaite de 2014 et l’absence de réactions contre Israël après les frappes aériennes d’Août 2022 et de mai 2023 laissent un goût amer aux Gazaouis, qui se sont tournés vers d’autres organisations politiques et notamment le Djihad Islamique. C’est aussi pour éviter de se faire dépasser par sa droite que le Hamas a relancé la lutte armée et ainsi s’assurer de nouveau une légitimité de résistant et pas seulement de gestionnaire.

Mais d’autres facteurs ont poussé le Hamas à intervenir. Il nous faut les analyser pour
comprendre ce qu’il se joue là-bas, ici et ailleurs, afin de ne pas rester comme des fourmis
face à l’incendie.
Ce sera l’occasion d’un prochain article.


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