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# Une vie d'employée polyvalente
J’ai 22 ans, j’ai eu mon Bac en 2020 en contrôle continu, en plein Covid. A ce moment-là, je vivais une situation familiale compliquée et je n’avais aucune idée de ce que je voulais faire de ma vie. Après un an à chercher sans trouver, je décide donc de m’inscrire dans une agence d’intérim, histoire de me faire un peu d’argent en attendant de trouver ma voie.
Par Collectif Publié in #CHRONIQUES DE L'EXPLOITATION, #POSITIONS le 23 septembre 2024 10 min de lecture
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# Une vie d’employée polyvalente

Pour poser un peu le contexte, j’ai 22 ans. J’ai eu mon Bac en 2020 en contrôle continu, en plein Covid. A ce moment-là, je vivais une situation familiale compliquée et je n’avais aucune idée de ce que je voulais faire de ma vie. Après un an à chercher sans trouver, je décide donc de m’inscrire dans une agence d’intérim, histoire de me faire un peu d’argent en attendant de trouver ma voie.

Un beau jour, on m’appelle pour une mission d’une journée, sans me renseigner davantage. J’arrive dans un entrepôt appartenant à une grande chaîne de supermarché. Dans cet entrepôt se trouve une toute petite cafétéria, destinée à accueillir les routiers le midi. J’allais donc travailler dans cette cafétéria avec 6 autres personnes. Il s’agissait d’un travail de serveuse. Tous les patrons des magasins de cette enseigne de la région, c’est-à-dire une cinquantaine de personnes ainsi que leurs conjoints se réunissaient pour fêter des départs en retraite. C’était la première journée de travail de ma vie.

J’arrive donc le matin vers 8h. On m’avait dit de venir en pantalon noir et t-shirt blanc, et on m’avait fourni des chaussures de sécurité. Comme elles étaient neuves, elles étaient dures comme de la pierre et ont très vite commencé à me couper la cheville. J’ai eu mal toute la journée et mes chaussures neuves ont fini tachées de sang. Je tiens à préciser qu’étant en t-shirt, on ne m’avait pas mentionné que j’allais passer la moitié de ma journée en cuisine où il faisait particulièrement froid. Pendant cette journée, nous avions préparé pendant plusieurs heures des quantités astronomiques de nourriture raffinée, puis installé des tables et des chaises sous un chapiteau. Le tout sans pause car celle-ci n’était proposée qu’aux fumeurs.

En début d’après-midi, les invités arrivent et le service commence. Alors que mes pieds me torturent pendant que je sers les plats et le champagne, je passe près d’une table où se trouve un homme très âgé. Sans gêne, il me demande de s’asseoir sur ses genoux. Sa femme était assise à côté de lui. J’ai 19 ans à ce moment-là et je suis terriblement gênée. Je parviens à m’échapper et à peine 3 secondes plus tard il demanda la même chose à ma collègue. Toute sa table trouvait ça hilarant.

À 17h, le service se finit enfin et après avoir débarrassé les tables, on nous propose une pause pour la première fois de la journée. Je n’avais rien dans le ventre. On nous sert les restes des invités. Fruits de mers, volailles, petits fours, le tout arrosé de vin très cher. Je suis épuisée, et alors que je me dis que la journée touche à sa fin, on nous annonce qu’il faut faire le ménage dans tout le bâtiment.

C’était donc reparti pour 2 heures. Je suis sortie de là vers 19h30, complètement sonnée.

Ce récit reflète bien le reste de mon expérience en intérim. Après ça j’ai enchaîné les contrats. Je me suis retrouvée à faire du remplacement dans cette fameuse enseigne de supermarché pendant plusieurs mois. J’ai fait de la préparation au service traiteur, j’ai tenu le comptoir de la charcuterie, j’ai préparé des crêpes, des macarons par milliers, j’ai même décoré des bûches de Noël. Je faisais des journées de 12h, généralement de 8h à 20h.

Après quelque mois l’intérim ne me convenait plus, c’était trop fatiguant. Je voulais trouver un emploi qui me permettrait de rester sur le même poste pendant longtemps. C’est ainsi que je me suis retrouvée embauchée en tant que serveuse dans une célèbre chaîne de restaurants de grillades.

Ce que je ne savais pas à ce moment-là, c’est que je remplacerais une jeune fille de plus ou moins mon âge qui avait démissionné pour fuir le harcèlement que lui faisait subir un des responsables de ce restaurant. J’étais donc sa nouvelle victime.

On va l’appeler P. Il était âgé et aurait pu être mon père.

Le premier épisode fut quand P., ainsi qu’une autre responsable de son âge, m’ont fait la remarque devant tout le monde que ce serait bien que je porte un soutien-gorge sous mon uniforme sous prétexte de ne pas perturber les clients. Je n’en mets jamais, et ce n’était pas précisé dans mon contrat. On m’avait donné un polo, j’avais mis mon polo, point.

J’étais jeune avec peu d’expérience et je ne voulais pas risquer de perdre mon travail, alors bêtement, j’ai commencé à porter un soutien-gorge pour venir travailler.

Quelques jours plus tard, c’était le week-end du carnaval. On nous a forcé à porter des costumes de « La Casa De Papel » pour faire le service pendant ces 3 jours. Ce soir-là, pendant le brief d’avant service en cuisine, je jouais machinalement avec la fausse fermeture éclair à l’avant de mon costume. Elle n’ouvrait sur rien, mais elle se trouvait au niveau de ma poitrine. P. n’a pas pu résister à faire semblant d’essayer d’attraper mes seins, tout en me regardant dans les yeux. Le tout devant le gérant du restaurant qui n’a rien dit.

Une autre fois encore, j’étais dans une salle à part, en train de gonfler de ballons pour les enfants. J’étais toute seule et il faisait particulièrement chaud dans cette pièce étant donné que le soleil tapait sur la baie vitrée. P. n’avait absolument pas besoin de venir me voir, mais il l’a fait quand même. Il m’a demandé si je n’avais pas trop chaud. L’ayant pris au premier degré et n’étant pas très concentrée, j’ai répondu que si, j’avais chaud. Ce à quoi il m’a répondu qu’il pourrait m’offrir un costume de « soubrette sexy » avant de quitter la pièce.

Il faut savoir que je ne suis restée qu’un mois dans ce travail. Mois que j’ai détesté. En plus du comportement de P., ce travail était ingrat. Les gérants nous traitaient mal, les horaires étaient épuisants, les gens se détestaient. Bref, l’ambiance était affreuse. Quand je me suis fait virer, car je le reconnais, je n’étais pas très douée, j’ai parlé au gérant de ce que P. m’avait fait subir. Il m’avoua qu’il était au courant et me parla de la serveuse que j’avais remplacée et qui avait subi la même chose. Il me confia que tout le monde attendait désespérément qu’il parte enfin à la retraite.

J’ai continué comme ça, à passer de boulot en boulot.

Pour finir je voudrais raconter mon expérience de femme de ménage à domicile. Tout d’abord, il faut savoir qu’à ce moment-là, je n’étais pas véhiculée. Je devais donc transporter mon matériel généralement à pied ou, si j’avais de la chance, en bus.

J’avais différents clients, dont certains qui étaient des perles et qui restent un bon souvenir. Mais malheureusement la plupart de mes clients ne me considéraient pas du tout. Je n’avais pas de prénom, j’étais juste la femme de ménage.

Parmi mes clients principaux il y avait cette famille de nouveaux riches. Ils avaient un forfait de 6 heures de ménage par semaine (en moyenne les gens qui peuvent se le permettre prennent 2 heures par semaine). Ils me voyaient donc 2 fois chaque semaine, pourtant je n’ai pu créer aucun lien avec eux, j’avais à peine le droit à un bonjour. La maison était gigantesque. Elle était divisée en trois parties : la suite parentale, les pièces communes et la dépendance pour les enfants. Dans cette dernière partie, je ne n’avais que les toilettes à faire. La maîtresse de maison m’avait bien spécifié qu’ils (les enfants, plutôt adolescentss) se débrouilleraient pour le reste. Concernant la suite parentale, cela impliquait la chambre, la salle de bain, les toilettes, ainsi que le dressing/buanderie. Elle me faisait repasser ses vêtements hors de prix (Chanel, Maje, etc.). Il faut savoir que la plupart des gens respectueux s’arrangent pour ne pas laisser traîner leurs affaires, mais pas eux. Je devais nettoyer par exemple le comptoir de la salle bain, qui était envahi de tous ses produits de beauté, eux aussi très onéreux.

Tout était cher et neuf dans cette maison, les voitures, le mobilier, le chat, très négligé d’ailleurs, sauf les appareils ménagers bien sûr. Même son déodorant était du Dior.

Ils avaient une piscine chauffée à l’intérieur, ce qui est très rare dans ma région. Bien évidemment, ils avaient également un jacuzzi ainsi qu’un sauna. Elle me faisait nettoyer le frigo presque chaque semaine, alors qu’il était généralement quasiment vide, puisqu’ils commandaient ou sortaient au restaurant presque tous les jours.

Un jour, elle m’a demandé de faire un ménage complet de toute la cuisine. J’avais donc sorti tous les éléments des placards pour les nettoyer et les réorganiser selon ses instructions. Elle est arrivée avec des amis ou des collègues à elle pour parler affaires. Ils ne m’ont pas dit bonjour, se sont installés à la table de la cuisine, en déplaçant nonchalamment les contenus des placards d’un mouvement de bras, et ont fait comme si je n’existais pas.

Je suis allée chez ces gens plusieurs fois par semaine pendant des mois. Je ne suis pas sûre qu’ils connaissaient mon prénom. Comme je l’ai dit, je me sentais vraiment comme un robot ménager.

Je pense pouvoir conclure que cette période m’a fait comprendre que dans le monde du travail j’étais complètement inconsidérée. Avant de commencer à travailler j’aurais aimé savoir que, du fait que je suis une femme, j’allais constamment être rabaissée, infantilisée et que la plupart du temps, on ne ferait pas confiance à mon jugement. Je me suis souvent sentie comme une cible facile, on m’a mise dans des situations humiliantes, en sachant très bien que je n’oserais rien dire, en raison de mon jeune âge et de ma position hiérarchique. Enfin, ne faire que des travaux extrêmement fatigants physiquement m’a fait comprendre que pour certains, je n’étais qu’un corps très facilement remplaçable.


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