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Qui sommes-nous ?

Positions est une revue trimestrielle thématique présentant une lecture matérialiste du monde et s’ouvrant à des contributeurs extérieurs.

 

L’Histoire se réchauffe

 

Nous le savons, nous le sentons : la période de glaciation qui s’est ouverte avec la chute du bloc soviétique commence lentement à prendre fin. La dernière décennie n’a cessé de nous montrer que le capitalisme est entré dans une nouvelle phase de crise, plus dure, plus violente, où les secousses se font de plus en plus rapprochées. La plus évidente d’entre elles est indéniablement la crise économique de 2008, où l’accumulation exponentielle du capital fictif a conduit à une explosion.

Mais une autre crise couve, peut-être plus grave et plus fondamentale : celle qui résulte de la contradiction entre pays impérialistes. Tous ces phénomènes de plus en plus nombreux et visibles prennent racine dans la crise générale du mode de production capitaliste : pour celui-ci l’état de crise tend à devenir la règle. Les conséquences possibles et réelles de contradictions internes au mode de production capitaliste plongent l’humanité dans le désarroi ; il semble que son destin échappe de plus en plus à son contrôle. 

La crise écologique, la possibilité d’un antagonisme direct entre puissances impérialistes, la casse continuelle des conquêtes du mouvement ouvrier, autant de menaces qui pèsent sur nous et qui ne peuvent être saisies dans leur totalité si l’on persiste à les analyser à la seule lumière du discours bourgeois dominant. Le mal-être au travail, le burn-out, le suicide sont des phénomènes qui rentrent peu à peu dans le quotidien des nations, dans notre vie à tous, par suite de l’exploitation grandissante de notre force de travail. Pour inverser cette tendance mortifère nous recourrons à un postulat rationaliste essentiel : il est possible de l’analyser et d’en analyser les causes scientifiquement.

 

Une colère montante

Le rapport de force entre le camp socialiste, URSS en tête, et le camp impérialiste a indirectement permis des avancées sociales pour les peuples vivant en régime capitaliste. Jusqu’au début des années 70, s’est maintenue une dynamique de régulation favorisée par l’émergence d’un “capitalisme technocratique”, où les forces luttant dans le camp du travail s’asseyaient en relativement bonne place à la table de négociation. En France, le souvenir de la Résistance communiste a contribué à renforcer dans le bon sens ce rapport de force, jusqu’à ce que les falsifications de l’Histoire parviennent à effacer presque entièrement cette mémoire.

Mais des “Trente Glorieuses” il a bien vite fallu tourner la page : une avancée momentanée des forces socialistes en régime capitaliste n’a pas suffi à faire chuter le mode de production dans son ensemble. Donc, en parallèle, l’accumulation et la concentration du capital se sont poursuivies, pour s’accentuer lors de la contre-révolution libérale des années 70. La crise des subprimes qui a marqué notre jeune époque n’est donc pas LA crise : elle n’est que le prolongement d’une logique libérale ultra-réactionnaire enclenchée depuis au moins 40 ans déjà. Elle est le phénomène tournant qui indique que, comme lors des précédentes phases, la phase actuelle de capitalisme technocratique libéral conduit nécessairement à sa propre fin. On le voit même dans la conservation de la logique libérale, qui se mue en une forme de protectionnisme au fur et à mesure que le commerce international sous l’égide de l’OMC, du FMI et la Banque Mondiale se révèle destructeur pour les nations.

Avec chaque nouvel épisode de crise s’érode la confiance des peuples envers lesdites “démocraties libérales”. La croyance que celles-ci sont les seules à pouvoir proposer durablement un progrès matériel et humain ressemble de plus en plus à une farce tragique. Les effets politiques nous les connaissons, ils se font sentir de manière toujours plus pressante : du mouvement Occupy Wall Street aux Printemps arabes, en passant par le mouvement des places en Espagne, avec bien-sûr ce qui nous touche le plus en tant que Français aujourd’hui : le mouvement des Gilets Jaunes.

A l’échelle de l’Histoire ces mouvements insurrectionnels se propagent comme une traînée de poudre. Mais la colère va plus vite que les idées. Aussi, la démocratie bourgeoise (que l’on persiste ou non à l’appeler “libérale”) se révèle-t-elle dans le même mouvement, mais bien plus lentement, dans sa vérité nue : la dictature du grand capital sur l’ensemble de la société.

Mais cette dictature ne comprend que partiellement ce mouvement d’idées qui engendre la révolte des masses, et tente donc d’offrir de nouveaux débouchés institutionnels, de nouvelles formes de représentations à même de contenir l’éruption sociale.

 

« L’alternative » populiste

La naissance des mouvements “populistes” est un de ces nouveaux débouchés ; elle est la réponse d’un capitalisme mourant à la crise du clivage gauche/droite. Ainsi avons-nous vu fleurir de nouvelles grilles de lectures politiques : ceux d’en haut contre ceux d’en bas, les 99% contre les 1%, la France périphérique contre la France des métropoles… Par leur simplisme ces nouvelles grilles ont en commun de maintenir la domination bourgeoise dans les représentations ; davantage, elles masquent la seule grille de lecture qui permette de véritablement saisir les enjeux actuels : la lutte des classes. C’est ce cadre d’analyse que nous devons poser pour comprendre et dépasser la crise.

Nous constatons en effet que toute tentative bourgeoise de “repenser le politique” s’avère en dernière analyse n’être qu’une mystification reposant sur une philosophie confuse et dangereuse. Il suffit pour s’en convaincre de constater ce que donne le “populisme” lorsqu’il accède au pouvoir – dans ce cas il est systématiquement de droite. Voyez Trump, Salvini, et même Macron, bien plus “populiste” que ce que l’on voudrait nous faire croire.

Dans ce contexte la tentative de gagner par une stratégie du “populisme de gauche” s’avère être un échec, voire une catastrophe pour la “gauche” en particulier et pour les peuples en général, en témoignent Podemos, Syriza ou la France Insoumise. Ce populisme-là, pourtant progressiste face à l’ennemi de classe, s’avère être une synthèse inefficiente entre l’ère du consensus néolibéral et l’ère de sa crise généralisée. Parce qu’il s’acharne à penser que la luttes des classes est dépassée, il se condamne à l’impuissance.

 

Le nécessaire retour du matérialisme

La lecture matérialiste de l’histoire que nous voulons remettre à jour est donc aux abonnés absents pour une partie de la gauche. Par ailleurs, le manque est tout aussi patent lorsque la lutte des classes est fétichisée et mystifiée. C’est ce que l’on observe chez les organisations gauchistes issues d’anciens agencements historiques : NPA, LO et même PCF… Celles-ci n’ont plus à revendiquer sur le plan théorique qu’un passé muséifié, ou l’ergotage ad aeternam sur leurs reniements perpétuels.

Ce dont la classe révolutionnaire a besoin aujourd’hui c’est d’une vision matérialiste actualisée, efficiente et adéquate au moment historique dans lequel nous nous situons. Analyser, comprendre, expliquer les leviers et les possibilités de dépassement du capitalisme est pour nous la seule manière immédiate de faire advenir une renaissance communiste véritable. Le matérialisme peut s’emparer de tout et peut s’appliquer partout. C’est notre ambition. C’est le moyen d’une refondation critique profonde. Cette refondation doit se faire autour d’un pôle intellectuel Démocrate, Socialiste et Révolutionnaire. Il est important d’expliciter ces trois termes.

 

Une refondation Démocratique, Socialiste et Révolutionnaire

Démocratie d’abord. Démocratie avant tout, démocratie par tous et démocratie partout.

La domination bourgeoise a produit un acquis anthropologique majeur : l’individu tel que nous le connaissons. Sans revenir sur ce que cet acquis peut avoir de positif, il nous faut constater les contradictions de cet individu, libéral mais pas encore libre, atomisé mais non pas encore autonome. L’individualisme tend à se dégrader en égoïsme sous l’effet de ces contradictions. Confronté à l’impossibilité de se développer librement dans la société telle qu’elle est, l’individu se replie sur lui-même et vient à en nier le collectif.

Le libre développement de chacun est entravé par des conditions sociales intenables. La démocratie qu’offre tout régime bourgeois n’est que purement formelle ; la libre expression et la libre réalisation de l’individu y sont des chimères. La démocratie bourgeoise est démocratique tant que l’on souscrit à l’idéologie bourgeoise, c’est-à-dire tant que l’on persiste à dire que la démocratie est une question de pure forme, indépendante des rapports sociaux réels.

Tout au contraire nous appelons de nos vœux une démocratie réelle, maximale. Notre démocratie est radicale car elle prend l’Homme à la racine, elle saisit les Hommes concrets dans leurs rapports sociaux, dans la production de leur vie sociale et non pas dans une abstraction floue. Pour parer au repli égoïste, pour refonder un pacte social durable et libre, nous devons dépasser cet individu atomisé, sans renoncer à ce qu’il porte historiquement de positif. Pour faire cela, nous devons créer les sujets collectifs – trans-individuels – capables de réaliser pleinement l’individu. Il ne fait nul doute que ces sujets seront – sont déjà – politiques. Tous leurs efforts devront tendre à cette démocratie appliquée : démocratisation du travail, démocratisation de la famille, démocratisation de l’éducation…

La production des grands sujets politiques de notre époque ne sera réelle qu’à condition de dépasser bien des contradictions stériles. En notre époque chargée d’identitarisme – à gauche comme à droite – il est décisif de rappeler qu’on ne peut opposer dogmatiquement la lutte des classes aux luttes antisexistes ou antiracistes. Penser un antiracisme qui ne soit pas un anticapitalisme est pour nous une faute politique majeure, non pas pour des raisons tactiques mais bien pour des raisons objectives : les souffrances infligées par le sexisme, celles infligées par le racisme et celles infligées par l’exploitation ont toutes ce même substrat qu’est la violence des rapports de classe. En cela nous sommes infiniment plus radicaux que tous ceux qui prétendent faire du progrès sociétal à coups d’identités réelles ou fantasmées. Notre socialisme comprend les rapports sociaux réels dans le but de les transformer. Il cherche à constituer un sujet politique social englobant le “sociétal” – c’est là la condition pour empêcher que les deux ne soient concurrents.

Enfin, notre socialisme est tel car il est le socialisme de Marx, c’est-à-dire un socialisme qui ne se contente jamais de plaquer les théories de Marx sur la réalité actuelle. Notre socialisme conserve le but : l’expropriation des puissances capitalistes, la démocratisation de la société dans son ensemble, la socialisation des moyens de production, la création d’un Etat qui matérialiserait la célèbre formule : “le libre développement de chacun serait la libre condition du développement de tous.” Notre socialisme conserve la méthode : les outils fondamentaux de la théorie marxiste que sont les catégories du matérialisme dialectique. Mais outre le but et la méthode, notre socialisme se donne toute latitude pour développer les catégories les plus adéquates à son époque. Dans la théorie comme dans la pratique, pas de guerre sans mouvement.

Nous sommes démocrates, contre ceux qui prétendent par une façade libérale s’arroger le monopole de la démocratie. Nous sommes socialistes, contre ceux qui ont tant galvaudé ce terme. Nous sommes révolutionnaires, enfin, par simple bon sens.

Les travailleurs Russes demandaient en 1917 “le pain et la paix” : ils ont eu en retour les coups de fusil des armées blanches et de leurs multiples alliés. Les communards de 1871 demandaient que l’on sauve l’honneur de leur nation : ils ont eu la semaine sanglante. Les exemples se suivent et se ressemblent à travers l’Histoire. La bourgeoisie, au fur et à mesure qu’elle enserre le pouvoir, devient réactionnaire et prête à tout pour réprimer la contestation. Les gilets jaunes demandaient le RIC, une mesure de bon sens si l’on est réellement démocrate : ils ont eu des yeux crevés et des mains arrachées. L’Histoire se répète, il serait temps de la connaître. Face à cette violence contre-révolutionnaire, se dessine un courant qui n’aura vocation qu’à préserver les intérêts du capital et à contenir la colère social : le réformisme.

Nous ne serions pas pleinement révolutionnaires si nous tenions un discours du type “pas de salut en dehors de l’insurrection.” La révolution n’est pas un beau rêve que l’on réalise dans une nuit sacrée, elle est un combat de longue haleine qui se prépare mentalement, physiquement et politiquement. Pour cela la révolution n’est pas, contrairement à ce qu’en pensent certains gauchistes, l’opposé de la réforme. En période de domination bourgeoise chacune des réformes que nous pourrons porter devra mener à la révolution. En période de domination révolutionnaire chaque réforme aura pour tâche de prolonger et d’amplifier la révolution.

Nous le savons donc, la liberté ne fera de nouveaux progrès ici-bas que si la bourgeoisie est définitivement écartée de l’arène de l’Histoire. La liberté n’avancera que là où les institutions capitalistes reculeront et où triompheront les révolutionnaires. 


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