menu Menu
« Face à l’urgence climatique, la seule réponse est l’urgence révolutionnaire. », entretien avec Anasse Kazib
Anasse Kazib est un cheminot, syndicaliste, membre du parti Révolution permanente et candidat à la présidentielle. Nous l'avons interviewé pour l'interroger sur son parcours, les raisons de son engagement politique, et sa conception des dynamiques et rapports de force actuels dans un contexte de crise organique du capitalisme.
Par N. Publié in #3 50 nuances de gauche, #ENTRETIENS le 11 mars 2022 43 min de lecture
Tribune : Mélenchon, candidat de la souveraineté nationale et populaire Précédent MMT#2 : L'économie internationale et ses rapports de force Suivant

Anasse Kazib est un cheminot, syndicaliste, membre du parti Révolution permanente et candidat à la présidentielle. Nous l’avons interviewé pour l’interroger sur son parcours, les raisons de son engagement politique, et sa conception des dynamiques et rapports de force actuels dans un contexte de crise organique du capitalisme.

[Ndlr : cet entretien a été réalisé avant l’annonce par le conseil constitutionnel des candidats retenus pour la présidentiel pour avoir obtenus cinq cents parrainages.]

Positions : Pour commencer, et pour te présenter à ceux qui ne te connaissent pas – encore -, pourrais-tu rappeler qui tu es pour que l’on sache d’où tu parles ?

Anasse Kazib : Je m’appelle Anasse Kazib, j’ai 35 ans, je suis né à Sarcelles dans le Val d’Oise. Je suis fils d’une mère nourrice, assistante maternelle et femme au foyer sur la fin de sa carrière, et d’un père qui a été pendant près de quarante ans agent SNCF. Mon père a fait partie du procès des chibanis – des travailleurs marocains discriminés – et a gagné. Je suis aussi, et c’est une fierté énorme, petit-fils d’un tirailleur marocain. Mon grand-père a participé à la Seconde Guerre mondiale et en est ressorti avec des blessures de guerre. Je suis cheminot depuis 2012 et en avril prochain ça fera dix ans que je suis à la SNCF. Auparavant, j’ai eu un parcours très éloigné de la SNCF. J’ai fait des études d’architecture au lycée et j’ai obtenu un diplôme de « collaborateur d’architecte » avant de passer un concours pour rejoindre l’école supérieure publique d’art graphique et d’architecture de la ville de Paris. Mais malheureusement, le fait d’être enfant d’ouvrier fait qu’on a besoin de manger, de sortir, de passer le permis, d’avoir une voiture, etc. Or, en parallèle de mes études, je travaillais les weekends au guichet à la SNCF. Même si j’avais de très bons résultats, je manquais beaucoup les cours pour travailler et l’école craignait que je ne sois pas rigoureux en deuxième année et m’a donc mis dehors à l’issue de ma première année. J’ai alors fait un BTS en alternance et j’ai travaillé comme commercial dans une agence d’intérim avant de rentrer à la SNCF.

Sur le plan politique, je suis délégué syndical SUD RAIL depuis 2014. Je les ai rejoints parce que j’ai subi les conditions de travail terribles que l’on réservait aux « nouveaux embauchés » et le syndicat m’a défendu.

Sur le plan médiatique, de juin 2018 jusqu’à mars 2020, j’ai été intervenant aux Grandes Gueules avant de me faire virer le jour de l’annonce du confinement. Ma parole, trop subversive dans un « temps de guerre » où le pouvoir est en difficulté et un révélateur des inégalités sociales et raciales, ne pouvait pas être entendue. J’ai eu la confirmation par des syndicalistes du groupe Altice que ma mise à l’écart venait d’en haut.

Positions : Qu’est-ce qui chez toi a fait déclic pour te faire prendre conscience que tu ne pouvais pas vivre sans t’engager politiquement ?

« La réforme El Khomri m’a permis de prendre conscience de deux choses : la première : le rôle de la gauche institutionnelle et de la social-démocratie […] [et] la deuxième chose dont j’ai pris conscience durant ces années-là : c’est le rôle de la bureaucratie syndicale. […] Dans un pays où aujourd’hui il y a neuf millions de personnes sous le seuil de pauvreté, six millions de chômeurs, c’était inacceptable de se dire que pour les défendre on avait que cette gauche et ces directions syndicales qui appellent à des journées saute-mouton. »

Anasse Kazib : Le tournant pour moi, c’est 2014 et la loi El Khomri. Si auparavant j’avais fait pas mal de manifestations avec la réforme du CPE, je n’étais pas à un âge où je maîtrisais les tenants et les aboutissements de la loi. La réforme El Khomri m’a permis de prendre conscience de deux choses : la première : le rôle de la gauche institutionnelle et de la social-démocratie. En 2012, j’avais voté Hollande lors du second tour et c’était la première fois que je votais, préférant l’abstention. En 2012, j’avais voté utile, en tombant dans le piège aussi de « mon ennemi c’est la finance » mais surtout, je suis allé voter par anti-sarkozisme. Faut comprendre qu’en tant que jeune de banlieue, c’est avec la mort de Zyed et Bouna que j’ai commencé réellement à me politiser sur les questions des violences policières et du traitement des quartiers populaires par le pouvoir. A cette époque, quand je rentrais dans mon quartier, je voyais des voitures brûlées et des affrontements avec la police. Zyed avait quasiment mon âge. Ça aurait pu être moi à sa place. Ce moment a été un déclic. C’est pourquoi en 2012, après les épisodes du karcher, de la sortie d’Hortefeux sur le fait que « lorsqu’il y a un arabe ça va, mais quand il y en a plusieurs il y’a un problème », le débat sur l’identité nationale, Buisson, le jambon à la cantine, le mépris… je me suis dit qu’il fallait voter Hollande, car cinq ans de plus avec Sarkozy serait l’enfer. Au final, je n’ai jamais fait autant de grèves que face au parti socialiste. Je n’ai jamais été autant réprimé que face au PS. On n’oublie pas le 49-3, le premier pacte ferroviaire en 2014 où Hamon en tant que ministre de l’éducation nationale nous traitait de « preneurs d’otages » parce qu’on faisait les grèves reconductibles et que cela tombait en pleine période du BAC. Donc, à cette période, j’ai fait l’expérience de la traîtrise de la gauche institutionnelle et de la social-démocratie. Toute la période des années 2010 m’a servi d’enseignement sur les nombreuses grèves qu’il y a eu : Goodyear, Conti, les raffineries… A cette époque, même si je n’étais pas encarté, je regardais beaucoup les informations et je me sentais impacté par cette radicalité. En 2010, j’étais coursier en 2010 et je me souviens de l’impact des raffineurs en grève et de comment, en tant que coursier, je galérais pour trouver de l’essence.

La deuxième chose dont j’ai pris conscience durant ces années-là : c’est le rôle de la bureaucratie syndicale. Les journées saute-moutons et les grèves perlées m’ont montré que le rôle de cette bureaucratie n’était pas de remporter une mobilisation, de participer à un processus à minima radical et à maxima révolutionnaire, mais simplement de maintenir une fonction institutionnelle de contestation encadrée : la photographie sur le perron de l’Elysée, la pochette cartonnée sur le bras, le regard ferme pour feindre la défense des camarades.

Cette double expérience, de la trahison de la gauche institutionnelle et des syndicats, alors que j’avais à peine 30 ans, que j’étais père, m’a poussé à interroger quel avenir je voulais pour mes enfants.

Dans un pays où aujourd’hui il y a neuf millions de personnes sous le seuil de pauvreté, six millions de chômeurs, c’était inacceptable de se dire que pour les défendre on avait que cette gauche et ces syndicats. Les camarades du NPA-Révolution Permanente qui étaient toujours avec nous sur les piquets le matin m’ont parlé de Trotski mais j’étais plutôt hostile au départ – c’était les souvenirs de 3e qu’il me restait, d’un manuel de Fernand Nathan où Lénine, Staline et Trotski, suivis d’Hitler étaient associés à ces massacres. Mais, en lisant, en découvrant ce qu’est le marxisme et le trotskisme, j’ai changé d’avis. Et d’ailleurs, ma volonté d’entrée en politique tient à mon amour viscéral pour Marx et Trotski, et même, j’ai envie de dire, de Lénine. J’aurais aimé, s’ils étaient en vie aujourd’hui, les rencontrer et discuter avec eux. Les premières fois que j’ai lu les textes de Trotski, j’avais le sentiment qu’il était derrière moi dans les rassemblements de Nuit Debout. Ces idées qui ont près d’un siècle résument les choses avec tellement d’adéquation avec la situation actuelle. Il y a un sentiment de recommencement : celui qui ne connaît pas l’histoire est condamné à la revivre. Les stratégies des bureaucraties syndicales d’aujourd’hui sont si proches de celles de 34 ou 36. Je me rappelle cette phrase de l’appel de la CGT à la grève en 36 qui disait : « ils n’ont trouvé que la lance à incendie pour appeler à la grève et ils appellent les ouvriers au son de ‘chut, chut !’ ». Tout était fait pour que ça ne fonctionne pas. Déjà Trotski disait que les ouvriers n’étaient pas prêts à des grèves minoritaires sans perspective mais qu’ils étaient prêts à faire des manifestations de masse et qu’il fallait appeler à la grève générale tandis que les syndicats projetaient leur scepticisme et leur défaitisme sur les masses qu’ils ne connaissaient pas. A développer des stratégies perdantes, on ne produit que des défaites. Les gens sont prêts à des sacrifices, mais pas à faire des sacrifices inutiles. Face à une classe coordonnée, qui a ses médias, sa police, sa justice, ce n’est pas avec une grève de vingt-quatre heures, même massive, que tu peux gagner. Il a fallu tenir soixante jours pour obtenir ne serait-ce qu’un recul sur la réforme des retraites !

Positions : Dans plusieurs interviews tu blâmes cette « gauche institutionnelle » que tu distingues d’une autre gauche à laquelle tu appartiens. Quelle est cette gauche, comment la définirais-tu ?

« Ma gauche, c’est la gauche révolutionnaire et marxiste. C’est celle qui considère qu’il faut en finir avec le capitalisme et toute forme d’oppression. […] il est essentiel de dire que c’est à travers la lutte de classes, les grèves et les soulèvements que l’on fera reculer le pouvoir. Parce que cette classe dominante possède les moyens de production et ne les lâchera pas sans un sérieux rapport de force. »

Anasse Kazib : J’appartiens à ce que je qualifie de « gauche révolutionnaire », et plus particulièrement du mouvement trotskyste de la quatrième Internationale. Révolution permanente fait d’ailleurs partie d’une fraction internationale appelée « La fraction trotskyste quatrième Internationale » dont l’organisation la plus connue est le Parti des Travailleurs Socialistes en Argentine qui compte plusieurs centaines de membres. Ma gauche, c’est la gauche révolutionnaire et marxiste. C’est celle qui considère qu’il faut en finir avec le capitalisme et toute forme d’oppression. Cela implique de lutter pour l’avènement du communisme et la fin de la propriété privée des moyens de production.  Au-delà de la France, on voit combien la gauche institutionnelle a trahi les espoirs qui étaient placés en elle. Elle vend des rêves et une fois au pouvoir fait totalement l’inverse. Elle explique aux masses laborieuses que tout peut changer avec un bulletin dans l’urne sans rapport de force. On a vu comment Syriza en Grèce s’est couché en seulement trois mois ! Après la désillusion glacée de cette gauche, c’est Aube Doré et l’extrême-droite qui ont pris la relève. En Espagne, après Podemos, c’est Vox qui prend de l’ampleur. En France, après Mitterrand et récemment après Hollande, l’extrême droite a connu une forte ascension. Aux Etats-Unis, après Obama, on a eu Trump. Il y a tant d’exemples dans l’histoire. Il n’y a rien de pire que la désillusion des classes laborieuses ; rien de pire que de les désarmer idéologiquement en leur faisant croire qu’il n’y a pas de rapport de force à construire, que toute coordination et organisation est inutile et qu’il suffit de mettre un bulletin dans l’urne pour faire changer les choses. Ce « néo réformisme » est néfaste, et je reproche ça à Mélenchon. C’est pour cela que je m’y oppose, et ça n’est pas tant une question de programme que de processus. Il n’y a rien d’envisageable sans lutte de classes et Mélenchon n’est pas pour. Il a dit, avant la grève du 5 décembre : « Votez pour moi et ça vous fera éviter des kilomètres de marche ». Il a aussi dit qu’il soutenait cette grève mais qu’il regrettait que cela ne soit pas organisé un samedi pour que davantage de personnes puissent manifester. La grève, le blocage de l’économie ne se fait pas gratuitement. Ça coûte. Ça veut dire quelque chose. Frapper aux poches et au cœur du capitalisme est important. Même, dans ses meetings, lorsqu’il dit que le SMIC à 1400 € ou la retraite à soixante ans, les gens l’auront s’ils votent pour lui et ne l’auront pas s’ils votent pour Macron… comment peut-on faire croire cela aux gens ? Comment peut-on croire que l’on puisse faire augmenter le SMIC de plusieurs centaines d’euros sans aucun rapport de force, simplement parce que l’on a été élu ? Et c’est la même chose en revenant à la retraite à soixante ans. Tenir de tels propos exige que l’on rende des comptes. Les masses laborieuses qui sont très loin de la politique politicienne, n’accepteront pas d’attendre ce qu’on leur a promis. Il faut cesser de faire croire des choses aux gens. Mélenchon n’appelle pas à ce que l’on vote pour lui afin d’ensuite entamer un rapport de force ou une grève générale, en encourageant les travailleurs à bloquer leur entreprise et à faire grève. Il dit qu’il va faire économiser aux gens des kilomètres de marche, sous-entendu qu’avec lui, les manifestations seront inutiles car il appliquera son programme. Il l’a dit sur France Info, le rapport de force : c’est lui. Pour moi, cette gauche institutionnelle paralyse le mouvement ouvrier avec ses illusions. Et pour autant, nous au sein de Révolution permanente, on ne met pas en équivalence Macron et Mélenchon. Mais, il est essentiel de dire que c’est à travers la lutte de classes, les grèves et les soulèvements que l’on fera reculer le pouvoir. Parce que cette classe dominante possède les moyens de production et ne les lâchera pas sans un sérieux rapport de force. Et ce rapport de force devra être internationaliste par la suite pour lutter face à la contre-révolution qui ne manquera pas d’arriver si on prenait le pouvoir en France. C’est pour ça que l’on porte la nécessité d’une Union européenne socialiste où l’ensemble des travailleuses et des travailleurs pourraient prendre le pouvoir et être protégés. A l’inverse de l’extrême-droite qui criminalise l’ouvrier polonais ou africain, la réalité c’est que ce sont les patrons les criminels qui envoient les ouvriers à l’abattoir en se moquant des conséquences sociales de leurs politiques. Après Good Year ou Continental, il y a eu énormément de suicides et de misère, parce que le chômage tue. Et sur les piquets de grève on retrouve Marine Le Pen pour dire que les ennemis ce sont les ouvriers roumains ou polonais et non pas le patron de Whirlpool ou Continental.

La classe possédante, la bourgeoisie, est ultra radicale lorsqu’il s’agit de défendre ses intérêts, et c’est encore pire lorsqu’il n’y a aucun rapport de force. Que fera-t-on quand les patrons fermeront volontairement des usines pour envoyer comme message : vous avez voulu cette personne au pouvoir, regardez les conséquences. Derrière, on revivra le tournant de la rigueur comme avec Mitterrand. La conciliation de classe avec la bourgeoisie s’imposera très vite et au détriment des travailleurs. Dire aux gens que le rapport de force est inutile c’est du charlatanisme, notamment lorsque l’on sait ce que coûte une grève ou ce que la mobilisation a coûté aux Gilets jaunes. Comment faire croire qu’avec un bulletin dans l’urne, Mélenchon va imposer un rapport d’un à vingt entre le plus bas des salaires et celui du taulier. Un petit exemple : Carlos Tavarez, le patron de PSA, gagne presque vingt millions d’euros par an. Comment faire croire qu’il va accepter de réduire son salaire de vingt millions à vingt-mille ou trente-mille euros par mois ? Il ne va pas payer un million d’euro à tous les ouvriers pour que lui garde son salaire de vingt millions. Les patrons fermeront des usines et ils n’ont même pas besoin de la gauche pour le faire. Ils le font même avec le CICE ou la suppression de taxes sur les entreprises comme l’a fait Macron. Nous exigeons l’expropriation des grandes entreprises mais pas avec l’illusion que le patronat va se laisser faire. C’est pour cela que nous parlons de grève et de lutte de classes, pour expliquer qu’il n’y a pas d’avances pour notre classe sans lutte pour les arracher. Quand on pose la question à Mélenchon, il dit qu’il compte sur le patriotisme des patrons français… C’est n’importe quoi ! En Grèce, à l’époque il y a eu des fuites importantes de capitaux, des queues immenses de grecs au distributeur pour retirer ne serait-ce que dix euros. La démocratie bourgeoise c’est l’arme du capitalisme et elle ne se laisse pas déposséder par le parlementarisme qu’elle a mis en place pour protéger ses intérêts.

Positions : On assiste depuis plusieurs années, aussi bien dans le discours médiatique que politique, à un retour de « la lutte des classes ». Pour certains elle est dépassée face aux enjeux « civilisationnels » – ligne Zemmour – ou « climatiques » – ligne Jadot. A chaque fois, le capitalisme n’est pas nommé. Quelle est l’actualité réelle de la lutte des classes ? Comment la réactualiser à la lueur d’enjeux nouveaux, notamment les enjeux environnementaux ?

« On ne peut plus vivre dans un monde où vingt-six milliardaires détiennent la moitié des richesses de l’humanité. […] Face à l’urgence climatique, la seule réponse est l’urgence révolutionnaire. »

Anasse Kazib : Selon nous, il y a toute une nouvelle génération ouvrière qui a émergé ces dernières années dans les différents mouvements sociaux : réforme des retraites, du ferroviaire, Gilets jaunes, la marche contre l’islamophobie, le Comité Adama, etc. Les éditorialistes ne l’ont pas manqué. Yves Thréard, du Figaro, a dit à propos du mouvement Gilets jaunes que c’était le mouvement le plus subversif de la Ve République. Le mandat de Macron aura eu deux intérêts majeurs : faire émerger le mouvement le plus subversif de la Ve République et la grève la plus longue de l’histoire du mouvement ouvrier français avec la réforme des retraites qui a dépassé les cinquante jours de mobilisation dans un certain nombre d’entreprises (RATP, SNCF, Opéra de Paris, Education nationale…). La période de la crise sanitaire a provoqué une forme d’accalmie et d’atonie consciente des directions syndicales alors même que dans certaines entreprises les salariés se mobilisaient pour cesser les métiers non-essentiels qui mettaient en péril leur vie. On le voit aujourd’hui alors que l’inflation est galopante, il n’y aucun plan de bataille de la part des confédérations syndicales pour la combattre. Martinez et Berger ont disparu. Ils ne disent rien. C’est conscient et volontaire de leur part. On assiste uniquement à des grèves locales, type Leroy Merlin, Sephora, Louis Vuitton… Contre la vie chère il n’y a pas de plan de bataille collectif. Et pourtant, lors de la crise sanitaire, on a bien vu que la classe ouvrière en première et seconde ligne a permis au pays de tenir. Cette atonie entretenue par les directions syndicales ne va pas durer longtemps. Je suis convaincu que ça va finir par exploser. On ne peut plus continuer ainsi. Il n’y a pas besoin d’être marxiste ou révolutionnaire pour en prendre conscience. Il n’y a qu’à lire le rapport d’Oxfam sur les inégalités et l’enrichissement délirant de l’actionnariat pour s’en convaincre. Ils ont même leurs propres classements : Forbes, Challenge… Ils publient tout ! Ils étalent au grand public leurs immenses richesses ! On ne peut plus vivre dans un monde où vingt-six milliardaires détiennent la moitié des richesses de l’humanité. Les crises s’additionnent : financière, économique, écologique. Aujourd’hui, la question environnementale permet, selon moi, de résumer le mieux tout ce qu’est la lutte révolutionnaire et internationaliste. D’une part, parce que l’on observe que la question environnementale ne touche pas une usine ou un territoire, mais l’ensemble de l’humanité. Elle met au cœur et à nu l’ensemble des problématiques du système capitaliste à travers cette forme de mondialisation qui conduit Total à fermer la raffinerie de Grandpuits et raser des villages en Ouganda pour faire passer un pipeline de mille-cinq-cents kilomètres détruisant la biodiversité ou encore son rôle dans l’aide à la junte militaire dans la répression des mobilisations au Myanmar. L’internationalisme prend tout son sens : lutter, ici, contre le dumping social pour, qu’ailleurs, les populations puissent aussi vivre dignement au sein d’un environnement préservé. L’internationalisme vise à freiner les puissances impérialistes dans leur désir d’expansion illimitée. Internationalisme, question environnementale et impérialisme se mêlent. On le voit notamment au Mali aujourd’hui. La France se rapproche de la frontière du Niger pour protéger ses mines d’uranium. Face à l’urgence climatique, la seule réponse est l’urgence révolutionnaire. 57 % des gaz à effet de serre résultent de l’agrobusiness, 70 % de la destruction des océans tient à la surpêche et à ses tankers qui détruisent les fonds marins. Ce ne sont pas les pistes cyclables ou l’interdiction des véhicules dans Paris qui vont changer quoi que ce soit quand tu vois qu’à côté, le pétrochimiste saoudien Aramco pollue 4,5 fois plus à lui tout seul que la France entière ! Toutes les bonnes mesures du monde ne suffiront pas si on ne s’attaque pas aux grandes entreprises capitalistes, et il faut le faire dans une perspective internationaliste de soutien aux peuples opprimés et exploités. Sinon, on peut continuer à laisser Bolsonaro brûler des pans entiers de l’Amazonie pour faire de gigantesques champs de soja qui vont alimenter des super usines de bétail en disant que ça ne nous concerne pas, nous Français de l’hexagone. La lutte environnementale doit donc être envisagée dans une perspective internationaliste et révolutionnaire.

Positions : Tu aspires à la constitution d’un « gouvernement des travailleurs ». Concrètement ça consiste en quoi ? Comment concilier la nécessité d’une structure organisationnelle tel que l’Etat pour organiser un certain niveau de division du travail, et sa tendance centralisatrice qui fait obstacle aux initiatives locales et à une démocratie réelle ?

Anasse Kazib : Si on aspire à un gouvernement des travailleurs, on est bien conscients que chaque processus révolutionnaire a sa singularité. On ne peut pas prédire en combien d’étapes cela va se dérouler, ni en combien de temps. Dire le contraire serait du charlatanisme. Il y a la nécessité d’un état transitoire qui soit cette dictature du prolétariat qui n’est ni plus ni moins qu’une démocratie ouvrière. Et c’est ça la véritable démocratie ! Actuellement, on vit sous une dictature de la bourgeoisie et d’une classe contre une autre. Pour en finir avec ce système, il nous faut dans ce processus révolutionnaire arracher le pouvoir politique. Et cela doit se faire par la classe qui par sa position stratégique au cœur de la machine capitaliste a les moyens de déposséder la classe dominante. On part du principe que ce gouvernement des travailleurs va se faire par en bas, par l’auto-organisation, par des coordinations ouvrières mais pas seulement. On considère qu’il ne faudra plus produire pour les profits de quelques groupes capitalistes mais pour le bien de l’humanité toute entière. Ça ne pourra se faire qu’avec un gouvernement des travailleuses et des travailleurs et non avec un gouvernement de conciliation de classe, ou de réformisme avec une Constituante. C’est à travers un processus révolutionnaire de grèves et de soulèvements massifs que l’on pourra renverser ce système.

Positions : Aujourd’hui, Anasse Kazib, candidat aux élections présidentielles en France, en 2021, c’est des menaces quotidiennes sur Twitter et en dehors, envers tes enfants, ta famille et ta personne. Eric Zemmour, journaliste médiatique, est sous protection policière permanente ; sous protection de l’Etat, de la République, avec l’agent du peuple – même musulman ! Rappelle-nous, quelles sont tes condamnations devant la justice ?

Anasse Kazib : Je n’ai aucune condamnation judiciaire.

Positions : On a donc, d’un côté, un homme plusieurs fois condamné qui est protégé par l’Etat, et de l’autre, un citoyen candidat aux présidentielles qui est laissé à l’abandon malgré le tombereau de menaces qu’il reçoit. Aujourd’hui, on préfère protéger un homme longtemps même pas candidat, soutenu par l’empire médiatique Bolloré, et qui répand en permanence une vision du monde réactionnaire et historiquement fausse – on ne compte plus les historiens qui ont démoli le discours pétainiste de Zemmour. Qu’est-ce que ça dit de la situation française actuelle ?

« Face à Zemmour, Le Pen, Pécresse et Macron, on a un bloc qui a produit des mesures réactionnaires : loi séparatisme, loi sécurité globale, etc. Tout ça ne va pas disparaître. Il va donc falloir un bloc de résistance. Contre le discours de l’extrême-droite, mais aussi contre ses bases matérielles. Il faut donc un projet par la positive et non pas qu’une posture défensive. »

Anasse Kazib : Ça montre le « dix poids, dix mesures », et même plus le fameux « deux poids, deux mesures ». Dans le sens où, en première et en dernière instance, la bourgeoisie est raciste. Entre la révolution socialiste et le fascisme, elle choisit toujours le fascisme. Zemmour est islamophobe et xénophobe mais pour le maintien du système néolibéral. Pour la bourgeoisie, il n’attaque pas leurs intérêts. Ce qu’il se passe en ce moment est une réponse réactionnaire de la bourgeoisie aux cinq années de lutte de classes que j’ai décrites juste avant. La bourgeoisie a pu constater que la nouvelle classe ouvrière qui se mobilise n’est pas que blanche, mais elle a aussi la gueule d’un Anasse Kazib, ou de ces machinistes de la RATP issus de l’immigration qui bloquaient les dépôts avec leurs collègues blancs. C’est ça le « wokisme » pour eux : ce sont les passerelles qui se tissent entre différents fronts et entre différentes composantes de la société qui avant étaient séparés. Les directions politiques et syndicales ne contrôlent plus le mouvement ouvrier comme il y a cinquante ans alors que, par le bas, il est profondément est en train de changer. Cette spontanéité, il va nous falloir apprendre à la coordonner et à l’orienter de manière stratégique. C’est en ce sens que nous considérons qu’il faut un parti révolutionnaire des travailleurs pour éviter que les erreurs se répètent et pour profiter des fruits de nos expériences passées. L’urgence est d’autant plus grande face aux multiples attaques du système tant sociales que sociétales sur les minorités, les personnes racisées ou les LBGTI. Face à une classe coordonnée et organisée, même si elle a des désaccords, il nous faut nous structurer car cette dernière a bien conscience de ses intérêts de classe. L’extrême-droite représente le secteur le plus réactionnaire de cette bourgeoisie. Lorsque Luc Ferry, qui n’est pas considéré comme un fasciste, appelle à ce que l’on tire à balles réelles sur les Gilets jaunes, on n’a pas affaire à un fou, mais à un bourgeois « éclairé » qui voit sous ses yeux un processus subversif, quasi insurrectionnel, qui met en danger sa classe. Il s’exprime à ce moment-là en tant que bourgeois. La défense de Zemmour par l’Etat valide ce moment réactionnaire. Il est un outil de cette classe.

Il faut bien comprendre que la marche contre l’islamophobie a été un véritable succès pour réunir derrière des associations qui la subissent et des dirigeants politiques et syndicaux de la gauche. Le pouvoir y a vu un danger et il y a eu une réaction extrêmement forte notamment avec le « wokisme » et « l’islamo gauchisme ». Pour la démocratie bourgeoise, les directions ouvrières et politiques de gauche ont un rôle central pour neutraliser et canaliser la contestation. Dans Démocratie ou fascisme, Trotski explique que la différence entre le fascisme et la démocratie bourgeoisie repose sur la domestication du prolétariat par les directions politiques et syndicales de la classe ouvrière quand le fascisme c’est la bourgeoisie qui dirige les classes moyennes et la petite bourgeoisie contre le prolétariat. Il y’a des digues qui sautent au fur et à mesure. Il y’a plusieurs années les mobilisations étaient plus ou moins sous contrôle, aujourd’hui l’émergence de coordinations indépendantes ou encore de mouvements spontanés comme les Gilets jaunes, participe à cette forme d’autoritarisme que l’on voie émerger avec Macron. La crise organique que l’on vit aujourd’hui donne à la gauche authentique un rôle essentiel et provoque en opposition des courants réactionnaires. Il faut utiliser les termes et les définitions politiques avec beaucoup de prudence, car crier au loup trop vite c’est être désarmé lorsqu’il est finalement là. Le fascisme apparaît à une période ou le risque révolutionnaire est aussi réel et cela il ne faut pas l’oublier. C’est une mutation de l’Etat bourgeois. Hitler arrive après la tentative révolutionnaire des Spartakistes. Pétain arrive après les grèves immenses de 36. En Espagne, Franco prend le pouvoir après la révolution espagnole. Il faut être lucide face à la crise que l’on traverse. L’inquiétude seule déboussole ; notre inquiétude doit nous pousser à tisser des passerelles, à se servir, par exemple, de ma candidature pour faire comme le disait le camarade Youcef Brakni : « un bloc révolutionnaire, un bloc de résistance ». Pour cette campagne mais aussi pour après. Face à Zemmour, Le Pen, Pécresse et Macron, on a un bloc qui a produit des mesures réactionnaires : loi séparatisme, loi sécurité globale, etc. Tout ça ne va pas disparaître. Il va donc falloir un bloc de résistances. Contre le discours de l’extrême-droite, mais aussi contre ses bases matérielles. Il faut donc un projet par la positive et non pas qu’une posture défensive. C’est lorsque l’on attaque, que l’on réclame, et que l’on revendique, que l’on finit par avancer. Pendant le mouvement Gilets jaunes ou celui de la réforme des retraites, on se fichait de Le Pen. Ça ne parlait pas d’immigration ou d’islam. Le pouvoir cherchait à briser les contestations. Mais après cette séquence-là, on a eu le retour de ces thèmes pour diviser et distiller la haine parmi la population. Ma candidature, celle d’un ouvrier racisé, issu de l’immigration, vient dialoguer non pas seulement avec les quartiers populaires, mais profondément avec l’ensemble de la classe laborieuse. Et c’est un danger pour l’extrême-droite parce que je viens lutter contre ses bases matérielles qui lui permettent de profiter de la misère sociale et des trahisons de la gauche institutionnelle. C’est pour cela que ma candidature est autant attaquée et fait l’objet d’un barrage médiatique, politique et bancaire important depuis le début. L’extrême-droite est inquiète et a besoin de me menacer de mort jusque dans des conférences que je dois donner, comme à la Sorbonne.

Positions : Dans une interview au Point, tu dis : « [Ma candidature à la présidentielle] est subversive parce qu’on ne veut pas d’un ouvrier issu de l’immigration post-coloniale… ». Peut-on considérer que tu portes en toi une double domination que l’on ne veut pas reconnaître : celle de la classe laborieuse ouvrière, et celle d’être un fils de l’immigration ?

Anasse Kazib : Je suis le seul candidat qui vit le racisme systémique, qui a connu et vu des violences policières. J’adresse ce message à la gauche institutionnelle : malgré tous nos désaccords, ses partis devraient nous aider à obtenir nos parrainages. Parce que l’extrême-droite de Zemmour, Le Pen et Dupont Aignan sera là. A travers ma candidature s’ouvre non seulement la possibilité de montrer le visage de cette lutte de classes qui s’est produite durant les cinq dernières années, mais aussi de voir cette classe ouvrière racisée, issue des quartiers populaires, traditionnellement désintéressée de la politique et qui pourrait rallier ma candidature. L’invisibilisation totale de ma candidature, jusqu’à enlever mon nom des listes des candidats à la présidentielle, confirme combien cette double domination est forte et combien on ne veut pas la reconnaître. D’après les chiffres du CSA, j’ai parlé trois minutes et douze secondes [Ndlr : au moment de l’interview] quand Gaspard Koening qui a déclaré sa candidature fin janvier et qui n’a que trente parrainages, pu s’exprimer deux heures. Même chose pour Taubira qui s’est exprimée trente-cinq heures. C’est ahurissant. Mais au moins, cela révèle le traitement politique et discriminatoire de ma candidature et de ce que je porte. Il s’agit non pas seulement d’effacer mon nom, mais aussi de nier mon existence et d’effacer la voix des exploités et des opprimés que j’aspire modestement à porter dans cette présidentielle.

Positions : N’est-ce pas cela, au fond, ce qui est ressorti lors de cette polémique sur l’absence de drapeau bleu-blanc-rouge dans tes meetings ? Pour l’univers médiatique largement dominé par l’hégémonie culturelle des thèmes d’extrême-droite, il n’est pas admissible pour un immigré éternel de prétendre se détourner de ce qui symboliserait la France. En somme, pour dire ça autrement : tu n’es pas assez légitime à être Français pour te permettre de repousser la France – entendu que pour nous, adhérer ou non au drapeau tricolore ne préjuge nullement d’un brevet de francité. C’est ce que te reproche Matthieu Delormeau quand il te dit que tu n’aimes pas assez la France. Comme si le Français descendant de l’immigration devait, sans cesse, prouver qu’il est assez Français en donnant des gages d’adhésion.

« Notre France, c’est celle qui se revendique des communards et des communardes, des insurgés de Saint-Domingue, des grandes grèves de 36 et de 68, des grands processus révolutionnaires. »

Anasse Kazib : Quand tu es un descendant de l’immigration, peu importe ce que tu dis ou fais pour prouver que tu aimes la France, on te reprochera toujours, à minima, d’être un « Français de papier ». Pour l’extrême-droite, rien ne suffit et rien ne suffira jamais. Alors, que dire d’un ouvrier communiste issu de l’immigration, qui dénonce l’impérialisme français ? Il faut comprendre que cette question du drapeau bleu-blanc-rouge n’est qu’une offensive réactionnaire raciste de l’extrême-droite contre ma candidature en affirmant qu’Anasse Kazib est un homme anti-France. Ce que je ne suis évidemment pas. Je le dis et le réaffirme. Mon grand-père, qui ne vivait pas dans ce pays, s’est battu pour le sortir du nazisme et de la barbarie. Il est reparti après la guerre avec des éclats d’obus et de plomb coincés au-dessus de sa fesse gauche. Mon grand-père n’est pas venu pour un drapeau, ou un pays qu’il ne connaissait pas, il est venu pour défendre une humanité en prise avec la barbarie et le fascisme. Mon père, on a été le chercher dans son pays pour venir le faire travailler en France à dix-huit ans. On a tâté ses bras comme si c’était un esclave. Il a travaillé pour ce pays. Il a construit le chemin de fer français pendant quarante ans. Moi, je suis né en France, tout comme mes enfants et ma femme. On vit ici, on travaille ici, on paye nos impôts ici. On est profondément chez nous. Mais notre France à nous, n’est pas celle de Zemmour, des hommes idéalisés tels que Bugeaud ou Pétain. Notre France, c’est celle qui se revendique des communards et des communardes, des insurgés de Saint-Domingue, des grandes grèves de 36 et de 68, des grands processus révolutionnaires. Notre France c’est celle des Gilets jaunes. C’est celle de la lutte contre la réforme des retraites. C’est celle qui se casse le dos chaque matin et qui est tellement méprisée et exploitée. Notre France n’est pas colonialiste, ni impérialiste. Elle ne déstabilise pas des pays, elle ne les pille pas. En réalité, comme le disait Orwell : « Derrière le patriotisme, il y a la guerre ». Le patriotisme de l’extrême-droite est belliqueux et sanguinaire. C’est celui qui s’exerce contre le plus faible. Leur France est celle des massacres, du racisme, de la domination et de l’exploitation de classe. Ils n’ont aucun problème à aller s’installer au Luxembourg ou en Suisse pour échapper à l’impôt. Ils sont Français sauf pour leurs intérêts économiques. Là, ils veulent bien devenir résidents chypriotes ou luxembourgeois. Mais nous, qui disons que nous sommes internationalistes et solidaires non pas de Bernard Arnault, mais du travailleur polonais, roumain, sénégalais ou brésilien, ça, ça les emmerde ! Parce qu’on tisse des passerelles. Eux sont solidaires du patronat ou de Bolsonaro, qui a dit à une députée qu’il ne lui ferait même pas l’honneur de la violer parce qu’elle était moche… Eux félicitent Trump, les émirs et les princes arabes qui bombardent le Yémen. Ils donnent la légion d’honneur à Al Sissi qui a fait un putsch militaire en Egypte et qui bombarde aujourd’hui des contrebandiers à la frontière grâce aux renseignements militaires de la France comme l’a révélé l’enquête de Disclose. Ça ne leur pose aucun problème. Cette France-là, ce patriotisme-là, on leur laisse. On préfère notre internationaliste socialiste et humain. Notre solidarité va vers les exploités et opprimés à travers la planète. On ne sera la victime de personne et on ne se laissera intimider par personne. Notre détermination est totale. Nous ne sommes donc pas anti-France, mais contre leur histoire et leur récit dominant. La France n’est pas un bloc monolithique. Notre solidarité est une solidarité de classe et non une solidarité patriotique. La patrie, pour eux, ne leur sert qu’à enrichir leur classe et asseoir leur domination. Bolloré trouve qu’il y’a trop d’immigration africaine, mais bizarrement ça ne le dérange pas de piller et exploiter les Africains depuis des années. 

Positions : Mohamed Mbougar Sarr, avec son livre La plus secrète mémoire des hommes, a obtenu le prix Goncourt 2021. Ne peut-on pas voir derrière cette récompense décernée à un Sénégalais francophone, un signe d’espoir qui nous ferait dire, avec Kaoutar Harchi « que la soif de justice, en France, est forte » ?

« Notre fierté, aujourd’hui, c’est cette nouvelle génération racisée comme Kaoutar Harchi, Youcef Brakni, Assa Traoré, Taha Bouraf et tant d’autres. Ce sont ne sont plus des intellectuels blancs qui parlent de sujets qu’ils ne vivent pas ; cette fois-ci, ce sont ceux d’en bas, ceux qui sont confrontés à ces sujets, qui s’en emparent. »

Anasse Kazib : Je ne connais pas son travail, je ne l’ai pas lu. Mais il faut faire attention à la reconnaissance de la classe dominante. Personnellement, je ne la recherche pas. Elle nous méprise profondément et ses prix n’ont que peu de valeur. Ils sont obligés, de temps en temps, de donner quelques miettes pour faire accroire qu’une forme de pluralité existe. Ne soyons pas naïfs quand quelqu’un d’en bas devient chef étoilé ou prix Goncourt. Ne calquons pas nos luttes collectives et nos espoirs sur les récompenses individuelles concédées par la classe dominante. Il faut bien faire attention au cadre dans laquelle on concède une reconnaissance à quelques Noirs et Arabes : ça n’est jamais dans le cadre subversif. Assa Traoré va être reconnue par le Times aux Etats-Unis, mais en France elle n’a pas le droit à la parole. Et ça ne fait pas des Etats-Unis un pays antiraciste ; on parle d’un pays où des groupes suprémacistes blancs peuvent se balader et faire des manifestations sans aucun problème. C’est une fierté quand Assa Traoré fait la Une d’un tel journal, mais c’est lié à toute une forme de pression par le bas. C’est parce qu’on lutte que derrière on obtient quelques gages, un peu de visibilité. On peut partir de mon exemple aussi : j’ai été aux Grandes Gueules parce qu’ils voulaient se donner cette image de pluralité des opinions et des origines. Il ne faut pas être dupe, mais dès qu’ils voient qu’on prend de plus en plus de poids, ils préfèrent nous dégager. Notre fierté, aujourd’hui, c’est aussi cette nouvelle génération racisée comme Kaoutar Harchi, Youcef Brakni, Assa Traoré, Taha Bouhafs et tant d’autres. Aujourd’hui ce sont ne sont plus des intellectuels blancs qui parlent de sujets qu’ils ne vivent pas ; cette fois-ci, ce sont ceux d’en bas, ceux qui sont confrontés à ces sujets, qui s’en emparent. Kaoutar Harchi, qui est une intellectuelle brillante, est encore trop absente des médias dits de gauche. Même chose pour Youcef Brakni. Il faut mettre en avant ces gens qui ont fait des études pour qu’ils s’expriment et pas que sur des sujets liés au racisme. Leur vision du monde doit être entendue sur des sujets internationaux, sur la politique intérieure, etc. D’ailleurs, j’en profite pour vous remercier Positions revue parce que vous donnez la parole à ces nouveaux visages issus de l’immigration qui parlent politique comme n’importe quel intellectuel. Je n’ai pas fait de longues études, je ne suis pas chercheur au CNRS, mais j’espère avoir fait la démonstration, ici, qu’on peut être aussi un prolétaire qui a découvert le marxisme il y a cinq ans et avoir une analyse politique structurelle du monde. Il faut que tout cela change. Les jeunes chercheurs qui veulent travailler sur la race ou le genre sont contraints aujourd’hui d’aller en Belgique, au Canada ou aux Etats-Unis tellement ils sont discriminés en France. Les espaces de parole sont déjà étroits dans les médias de gauche, mais l’accès aux grands médias mainstream comme France Inter, BFM ou autre est impossible. On ne verra jamais sur un plateau Youcef Brakni pour évoquer la situation au Mali, on préfèrera aller chercher un mec du Figaro


Précédent Suivant