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Gilets jaunes : la révolution ne se fera pas en un an
"Qu'est-ce qu'un mouvement révolutionnaire ? Un mouvement incompatible avec l'ordre qui l'a vu naître. Le mouvement des gilets jaunes n’a rien à voir avec un mouvement syndical encadré et légitimiste. Il s’agit bien au contraire d’une lutte pour la légitimité politique."
Par Harold Bernat Publié in #1 Gilets jaunes : apports, limites, risques le 17 novembre 2019 20 min de lecture
Du réel au virtuel, des ronds-points à Facebook, sociologie des Gilets jaunes. Précédent Les Gilets Jaunes, l'Europe et la nation Suivant

Bossuet, l’un des derniers théoriciens de l’Ancien Régime, faisait référence en 1709 à l’Épître aux Romains de Saint Paul, chapitre 13 : « Que tout homme soit soumis aux autorités qui exercent le pouvoir, car il n’y a d’autorité que par Dieu et celles qui existent sont établies par lui. Ainsi celui qui s’oppose à l’autorité se rebelle contre l’ordre voulu par Dieu, et les rebelles attireront la condamnation sur eux-mêmes. » Dans la Politique tirée des propres paroles de l’Écriture sainte, « De l’obéissance due au prince », Bossuet retenait ceci : obéissez aux puissances. Rousseau, en 1762, lui répond dans Du contrat social, chapitre III : « Toute puissance vient de Dieu, je l’avoue ; mais toute maladie en vient aussi. Est-ce à dire qu’il soit défendu d’appeler le médecin. » Son médecin aura une unité, le peuple ; une voix, la volonté générale ; une vie, le corps politique. Il n’échappera à personne que le divin marché aux mains des puissants de ce monde a pris la place du Dieu de Bossuet. Il échappera aux mieux lotis que l’autorité qui en découle n’en ait pas moins implacable que celle de l’Ancien Régime. Quand les puissances écrasent les hommes, la révolte, pour Rousseau, est de droit. Son ironie médicale, que le père Berthier jugea indécente à l’époque, a revêtu, depuis un an, un gilet jaune et elle a entrepris une longue marche hebdomadaire dans les rues de France, elle s’est mise à occuper des ronds-points en province, à planter des drapeaux jaunes un peu partout. C’est cela qui est en jeu depuis un an en France : quelle révolte face aux puissances quand l’obéissance due s’effrite comme un pain sec dans le poing déterminé et opiniâtre d’un peuple qui a un jour décidé de porter le stigmate de l’accidenté avec fierté et courage pour en faire une force politique sans pareil depuis des décennies. C’est cela les gilets jaunes.

D’autres feront mieux que moi le bilan humain de ces innombrables manifestations, de ces marches, de ces courses dans des rues bondées le samedi après-midi, aspergés de gaz lacrymogène, les yeux en pleurs et cette nausée au ventre devant le cynisme froid d’un pouvoir politique qui préfère crever des yeux, mutiler des citoyens français, les asphyxier jusqu’au malaise que de faire réellement de la politique. Le pouvoir sans politique n’est plus qu’une police. D’autres décriront l’inventivité loufoque, la créativité bigarrée de ces femmes, de ces hommes sur les ronds-points de France, ces cabanes, ces abris, dans le froid, tout l’hiver, avec une détermination lucide qui ne recule que devant les pelleteuses. La camaraderie, la solidarité, l’amour des citoyens qui redressent la tête, ensemble, avec l’assentiment majoritaire des français qui savaient très bien, dès le 17 novembre 2018, qu’elle était exactement le fond du problème qui refaisait surface en France : le politique. D’autres feront les comptes d’un échec qu’ils estiment définitif, ce qu’ils appellent un épuisement du mouvement, incapables par bassesse de vue et intérêt bien compris de comprendre que les contradictions d’un tel mouvement font partie de sa vie, que la contradiction même est justement ce que la soumission aux puissances empêche. Les froids calculateurs de l’impuissance des peuples finissent toujours balayés par l’histoire. C’est une loi d’airain.

De semaine en semaine, dans la diversité de ses formes, le mouvement a cherché à se comprendre, à se réfléchir lui-même. Immense est la difficulté pour le peuple qui n’a d’autre unité que politique, mais sans représentation justement, de mettre en œuvre sa souveraineté. Aucun porte-parole ne pouvait à lui seul se faire le représentant du mouvement car sa volonté était trop générale pour se laisser enfermer dans une volonté particulière. Un sentiment commun circulait pourtant de proche en proche, de ronds-points en ronds-points, celui de poser un problème politique insoluble à un pouvoir qui ne veut justement pas de politique, un pouvoir qui n’a plus de compte à rendre au peuple, un pouvoir qui retire toute fonction au processus démocratique de formation de la volonté politique – le RIC (référendum d’initiative citoyenne) est justement une de ses formations. Les gilets jaunes cherchent à faire entendre quelque chose qui n’a pas de place dans la logique répressive de ce qu’est devenu l’institution de la société sans autre imaginaire que celui de l’obéissance aux puissances du divin marché.

La répression, avant de se traduire par des actions policières concrètes, consiste à déterminer ce qui peut être énoncé ou non, ce qui peut être montré, ce qui doit être dissimulé, caché.  C’est de cette répression imaginaire là dont il faut parler pour comprendre ce mouvement politique inédit. Son enracinement en province, dans des bourgs, des villes moyennes, dans des zones indifférenciées du territoire national, à la surprise d’un pouvoir hautement centralisé, a rappelé à tous que la France n’était pas seulement le pays des grands centres urbains, des lieux où l’on se montrent, où l’on est vu. Mais comment se faire voir sans endosser le stigmate de l’invisibilité après l’accident. En acceptant le stigmate, en se faisant stigmate pour le retourner dans une révolte. Se présenter volontairement aux autres comme un « perdant » dans une société de « gagnants », sur des ronds-points, des non-lieux, des espaces inhabitables, des friches.

Le tour de force des nouveaux potentats est d’escamoter les conditions réelles d’existence, de frapper le travail d’indignité, au profit d’un ordre fantasmatique de réussite ou d’échec. Quand un président de la République peut affirmer, narcisse, devant un parterre de maires atones, que « la mise en capacité de chacun est une part de la solution pour lui-même » (1), le port d’un gilet jaune s’apparente à une mise en incapacité provocante, un défi radical. Dans une société où il est de plus en plus difficile de se situer, enfiler un gilet jaune revient à dire : « je suis là les amis. Excusez ce peu que je suis mais je suis ce peu. J’existe et ma parole est aussi légitime ». L’exact opposé du fantasme irréaliste de se croire libre dans un état d’aliénation consommé, l’exact opposé de cette société des flottants, sans attaches ni racines. L’expression d’une prise de conscience individuelle qui permet à des catégories socio-professionnelles de marcher ensemble sans contradiction, sans se bouffer le nez pour des raisons identitaires serves mais qui ne servent jamais la cause du peuple.

Les chroniqueurs subventionnés mettent en avant le caractère disparate de ces marches mais omettent, par sottise et impuissance imaginaire, de préciser l’acte commun de conscience qui consiste à accepter, dans l’espace public, une forme d’échec. Les slogans font symptôme : « tu ne nous baiseras plus Macron ». Encore faut-il reconnaître s’être déjà fait « baiser » au moins une fois dans ledit jargon. A côté du courage réel, accepter d’endosser ce qui peut être visé par « les armes administratives » (Nunez, Castaner), le courage symbolique de s’énoncer sur une modalité négative est évident. Rappel, au milieu des consommateurs étonnés, de l’ordre du travail et de son invisibilité dans une société qui le refoule, pire, qui le nie. Le gilet jaune renvoie le négatif à cette société des « gagnants » qui n’est d’ailleurs plus une société mais un modèle d’individualisation de la réussite ou de l’échec.  Il lui rappelle que nous sommes tous situés, que nous ne flottons pas dans une irréelle « startup nation ».

Ce rappel est au plus haut point politique. Il échappe justement à l’emprise d’une sociologie réductrice, à une lecture en termes de classes économiques. Son extension est transversale, elle fonctionne par contamination. C’est un processus viral, potentiel, latent. Nous sommes désormais dans le temps de cette latence, tout aussi inquiétant pour le pouvoir de dépolitisation des puissances du divin marché que la présence manifeste de l’occupation visible. Les analyses non politiques ne peuvent faire que cela, réduire à des déterminations sociales, reproduire la logique répressive qui consiste à délimiter ce qui est à partir d’une affirmation sans partage sur ce qui doit être vu. En refusant radicalement cette assignation, le mouvement des gilets jaunes a pris en défaut les professionnels de la contestation encadrée, celle qui reproduit dans la rue la logique des appareils d’État. Il a fait surgir le politique dans la conscience, dans les cœurs et dans les actes de citoyens français qui, pour beaucoup, n’avaient jamais manifesté de leur vie. Qu’avaient-ils en face ? La police ? Pas seulement. Une violence sociale intériorisée par ceux qui n’ont pas, qui n’ont plus, la force d’affronter politiquement les logiques d’assignation dont ils souffrent aussi. Depuis des décennies, le discours est invariablement le même : il n’y a pas d’alternative. A l’image de cette automobiliste qui percuta mortellement, dans un état de panique, il y a juste un an, à Pont-Beauvoisin, Chantal Mazet, 63 ans. Encapsulée dans son 4×4, la conductrice choisit la ligne droite car elle ne voit aucune autre solution, aucune alternative. Baisser la vitre, initier un dialogue sensible, expliquer qu’elle amène sa fille chez le médecin, comprendre. Non, en marche.

Il y aura toujours plus de cohérence politique dans l’action d’un homme qui se rallie à un autre puis à un troisième face à ceux qui écrasent que dans les mille bavardages qui justifient ou condamnent après coup leur révolte. C’est aussi cela qu’aura cruellement révélé le mouvement des gilets jaunes. Qui a droit à la parole ? Plus profondément encore, qui détient le pouvoir de nommer l’autre ? Un détour s’impose. Le magnifique Discours sur le colonialisme d’Aimé Césaire porte très au-delà de la cause décoloniale. Lisons : « Chaque jour qui passe, chaque déni de justice, chaque matraquage policier, chaque réclamation ouvrière noyée dans le sang, chaque expédition punitive, chaque car de C.R.S, chaque policier et milicien nous fait sentir le prix de nos vieilles sociétés ». Des sociétés, pour Césaire, « pas seulement anté-capitalistes mais anti-capitalistes ». La défense de ces sociétés repose sur un principe simple, une idée fondamentale et irréductible. L’axe philosophique de son discours, le point autour duquel tout gravite. Car le seul crime de ces sociétés anti-capitalistes, comme le seul crime de ces hommes dans la rue, pour l’écrasante majorité d’entre eux, c’est de n’avoir « aucune prétention à être l’idée », contrairement à ceux qui les nomment, les réduisent ou parlent quotidiennement en leur nom. Les sociétés broyées par l’impérialisme colonial « n’étaient, malgré leurs défauts, ni haïssables, ni condamnables. Elles se contentaient d’être », conclue Aimé Césaire.

Mais face à la jouissance de ceux qui ont besoin d’écraser pour se sentir exister, de statuer sur ceux qui ne statuent pas, se contenter d’être, c’est déjà trop. Ils veulent la docilité, l’humiliation, la maîtrise sans reste des domaines de l’homme. Tout ce qui leur échappe doit rentrer dans le rang. Ils veulent vous faire être à votre place. Rendre pénible la digestion de ces petits bourgeois dont parle Aimé Césaire, ce qui reste d’ailleurs une bonne formule, est un projet ambitieux. Ce rendre indigeste, non comestible pour ces bons hommes et ces bonnes femmes. Ce qui ne peut pas être nommé, réduit, ramené à l’ordre doit disparaître, voilà le sel de leur violence. Ce que vous pouvez vouloir, désirer, penser hors de leurs clôtures doit disparaître. Votre liberté les menace, vos mauvais goûts contrarient leur esthétique, vos mauvaises manières leur donnent la nausée. « On ne peut pas dire que le petit bourgeois n’a rien lu. Il a tout lu, tout dévoré, au contraire. Seulement son cerveau fonctionne à la manière de certains appareils digestifs de type élémentaire, ajoute Césaire. Il filtre. Et le filtre ne laisse passer que ce qui peut alimenter la couenne de la bonne conscience bourgeoise. »  Le gilet jaune, en fin de repas, lui reste sur le ventre.

Qu’est-ce qu’un mouvement révolutionnaire ? Un mouvement incompatible avec l’ordre qui l’a vu naître. Le mouvement des gilets jaunes n’a rien à voir avec un mouvement syndical encadré et légitimiste. Il s’agit bien au contraire d’une lutte pour la légitimité politique. Ce en quoi il est violent, de fait, pour des hommes et des femmes qui ont perdu l’habitude d’être contestés par des citoyens déclassés, l’élite au pouvoir n’étant plus qu’une élite sociale de petite facture reproduite par cooptation dans des logiques promotionnelles rarement remises en question. C’est aussi pour cette raison que ce mouvement échappe aux formes classiques de la représentation politique, charriant tout ce qui est privé d’une forme sociale directe de légitimation ou de pouvoir. C’est aussi sa part d’ombre. Il est en cela révolutionnaire, ce qui ne présage rien de son issue.

La violence étatique qu’il reçoit en retour n’a donc rien d’arbitraire. Une lutte à la mort symbolique de l’autre s’est engagée depuis un an. Le mandat présidentiel d’Emmanuel Macron est devenu incompatible avec la logique politique de ce mouvement. Cette contradiction doit être comprise dans sa radicalité. Elle part d’une rupture entre le gouvernement en place et la conscience politique d’une partie des citoyens français. Nous sommes bien en présence d’un affrontement d’ordre révolutionnaire avec pour enjeu ce que doit être et ce que ne peut pas être la République française.

La révolte contre l’augmentation des taxes, la limitation de vitesse à 80 kilomètres à l’heure, symbole d’un harcèlement économique sur ceux qui n’ont pas de niches fiscales, qui ne peuvent pas se payer une voiture électrique ou éviter de prendre la route pour aller travailler s’est transformée au fil des semaines. La nature des réponses, la répression policière inédite et la morgue d’un pouvoir qui ne fait pas de politique et qui dénie le droit aux citoyens d’en faire (à moins qu’ils ne suivent comme des zombies et tous les cinq ans les consignes de vote contre les désormais fameux rouges-bruns) ont politisé le mouvement. Derrière le référendum d’initiative populaire (RIC), c’est donc la nature de nos institutions qui est désormais questionnée. Moins nos institutions d’ailleurs que leur dévoiement par des hommes et des femmes qui utilisent à leurs profits exclusifs la force de l’État.

La lecture économique de ce mouvement est très insuffisante. Derrière une légitimité démocratique de façade, sous prétexte de défendre « la maison France » (formule marketing ridicule du porte-parole du gouvernement qui ne l’est pas moins), en faisant usage de la force publique pour casser le mouvement, le parti opportuniste champignon La République en marche est en train de piétiner les institutions républicaines et les valeurs fondamentales sans lesquelles nous ne pouvons envisager de vivre pacifiquement ensemble. Ce piétinement, doublé d’une morgue et d’un mépris manifestes et largement perçus, reçoit quotidiennement l’assentiment d’une classe qui confond allègrement visibilité et légitimité.

Depuis la fin des années 70 en effet, des divertisseurs ont utilisé le marché médiatique comme une tribune personnelle. Cette promotion s’est faite contre l’intérêt général et au profit d’un commerce, non sans effets, qui n’a plus de compte à rendre aux citoyens devenus simple public de consommateurs. Les grands médias ont toujours besoin de figures, de noms. Logique du fétichisme de la marchandise intellectuelle. Faux débats, fausse participation, fausse réflexion politique, faux philosophes, faux compétents mais vrais cuistres

Dans ce contexte établi, l’annonce d’un débat national fut d’aucun effet. Cette fausse démocratie de participation, ce paternalisme jouant du simulacre et de la communication de foire pour simuler une concertation de rien, de l’avis même de ceux qui l’instaurent, a vécu. Ces insultes répétées à l’intelligence collective ne fonctionnent plus. Nous ne faisons pas simplement que constater les simulacres du politique, nous les vomissons littéralement. C’est aussi cela les gilets jaunes. Tout comme nous vomissons les pseudo philosophes et les animateurs de culture qui ne répondent pas de ce qu’ils font, qui ne rendent raison de rien et surtout pas d’eux-mêmes. Vomir, est-ce encore penser me direz-vous. Nietzsche faisait de la rumination la nature même de la pensée. Mais tout ce qui est ruminé n’est pas digestible. Cette volonté d’expulsion des mauvaises nourritures prend, avec le mouvement des gilets jaunes, une forme collective. Nous devons expulser quelque chose de la République française, des attitudes, des discours, des postures, une profonde malversation des signes qui est incompatible avec la nécessaire cohésion du corps politique.

Oui, cette expulsion est aussi violence comme l’est une critique qui n’est plus simplement décorative. Mais une violence proportionnée à la violence première, celle qui transforme les citoyens en sujets et les sujets en consommateurs passifs de leur impuissance politique. Oui, le processus est révolutionnaire au sens où il remet en question les fondements de la légitimité du pouvoir, ce que les hommes au pouvoir comprennent très bien derrière leurs grenades. Il est surtout et fondamentalement cohérent, ce que doit démontrer à terme un travail intellectuel exigeant et réflexif qui ne peut être aujourd’hui porté par une seule personne, en son nom propre. Il exige un travail collectif.

Là encore, il s’agit bien d’instituer collectivement ce travail de l’esprit sans lequel la colère se referme sur elle-même, se consume dans une violence stérile qui ne sait plus ce qu’elle ne fait ni ce qu’elle veut. Ce travail enfin est dénié par ces mêmes divertisseurs et animateurs de la dépolitisation d’ambiance qui préfèrent lui substituer quelques « grandes gueules » (c’est aussi le titre d’une émission radiophonique exutoire) désarticulées et vociférantes. Cette désarticulation est aussi un effet induit du spectacle, une façon de démembrer, d’émietter, de particulariser, le spectacle s’attribuant seul le droit d’unifier la bouillie tiède qui doit tenir lieu de penser pluraliste. Les gilets jaunes leur demandent aussi des comptes. Cette nullité, le mot est faible, dans son implacable logique, fonctionne aujourd’hui à plein régime. La photographie, le soir du premier tour de l’élection présidentielle, du « philosophe en politique » (Le « 1 », juillet 2015), Emmanuel Macron, avec le bouffon millionnaire du décervelage de masse, Cyril Hanouna, restera, à ce titre, un document historique de choix et un sommet de confusionnisme mental. Une immense défaite aussi.

Alors la question se pose en effet : que peut-il sortir de tout cela, de ce mouvement exceptionnel ? A priori rien de bon, tant le niveau de malversation et de cynisme est aujourd’hui élevé. Le contentement médiocre à une situation qui pourrait être pire, pour ceux qui ne subissent pas complètement ce qu’ils contribuent par indifférence à faire subir aux autres, fait le reste. Pour autant, la République apparaît comme un dénominateur commun, à la fois un principe de justice et la garantie d’un ordre social, à condition que celle-ci retourne à sa légitimité première : la souveraineté populaire. Avant de se donner à un roi, explique Rousseau contre les « fauteurs de despotisme », au chapitre V, Livre I, Du contrat social, un peuple doit se donner à lui-même. Il s’agit de l’acte premier, constitutif, qui fonde la légitimité des actes législatifs ultérieurs. Quand la question de la légitimité des fondements républicains est posée, et elle est aujourd’hui clairement posée, la logique du contrat social est la seule issue. Cette logique n’exclut pas le soulèvement contre ceux qui la trahissent, les factieux de l’intérêt général. Les gilets sont aussi l’expression de ce soulèvement.

Un peuple qui se déchire doit se reconstituer, réactualiser son unité. Ce n’est pas une question de sondages mais de cohésion politique. Personne en France n’a intérêt à créer les conditions d’une guerre civile, d’un affrontement des citoyens entre eux pendant que le pouvoir, lâchement, se cache derrière une police militarisée. Les discours martiaux nous y conduisent pourtant. Le suivisme d’une grande bourgeoisie culturelle, cynique et profondément immorale, quand il s’agit bien sûr de préserver ses intérêts, accompagne cette logique sans issues autre que politiques. Ceux qui pensent que nous n’en sommes pas là se trompent d’époque. Qu’ils ne soient pas gilets jaunes ne saurait nous surprendre, ils obéissent aux puissances et toute puissance vient du divin marché. Les vieilles culottes des 80’s ne sont pas celles de la révolution.

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(1) Emmanuel Macron, Souillac, 18/01/19.


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