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La répression n’éblouit pas les yeux des citoyens 
Que l’on se souvienne un instant du XIXème siècle. En 1891, Ravachol, inaugure en France une vague d’attentats anarchistes qui perdura jusqu’en 1905, avec la tentative d’assassinat du roi d’Espagne et du président de la République. L’Etat prend peur, les inégalités sont au plus haut (les 10% les plus riches touchent alors en France 45% des revenus du pays), la population est mécontente, il faut agir, il faut obtenir la paix sociale, par la force, afin de protéger les biens de ceux qui « enrichissent » la France.
Par Louis Malignan Publié in #1 Gilets jaunes : apports, limites, risques le 17 novembre 2019 8 min de lecture
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Article 12 : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression. »
Article 13 : « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. »

Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (1789), fondant la constitution et tout le droit de la Vème république.

Que l’on se souvienne un instant du XIXème siècle. En 1891, Ravachol, inaugure en France une vague d’attentats anarchistes qui perdura jusqu’en 1905, avec la tentative d’assassinat du roi d’Espagne et du président de la République. L’Etat prend peur, les inégalités sont au plus haut (les 10% les plus riches touchent alors en France 45% des revenus du pays), la population est mécontente, il faut agir, il faut obtenir la paix sociale, par la force, afin de protéger les biens de ceux qui « enrichissent » la France. Une série de lois (connues sous le nom de « lois scélérates ») furent votées en 1893-1894, limitant la liberté de la presse ; interdisant la publication de propos anarchistes ; permettant d’inculper et d’arrêter tout membre d’un groupe considéré comme association de malfaiteurs. En 1897, la loi permit que toute personne soupçonnée et arrêtée ne soit plus conduite devant un juge pour que celui-ci mène une enquête ; toute personne arrêtée pouvait rester aux mains de la police. Celle-ci disposait de 24h pour la retenir, avant de la relâcher ou de la présenter devant un juge.

Au lendemain de la première guerre mondiale, le ressenti de la population était fort contre les puissances d’argent qui s’étaient enrichies pendant que des enfants de 17 ans tombaient au front par dizaines de milliers. Pour celles-ci, contrôler la population devint une obsession et la carte d’identité fut créée en 1921. Ce ne furent pas la tentative de coup d’Etat et de prise du Parlement par des groupes fascistes en 1934 ou les attentats du groupe d’extrême droite, La Cagoule (qui tenta entre-autre en 1936 d’assassiner Léon Blum) qui firent peur aux puissants. La seule réponse, venant de la frange la plus progressiste de la bourgeoisie fut de permettre la dissolution de groupes appelant à la violence, en 1936 (loi toujours en vigueur). En revanche, c’est devant les attentats de la Résistance, composée de communistes et de républicains que la bourgeoisie, alliée à l’Allemagne nazie, prit peur et que la carte d’identité devint obligatoire en 1943 (si depuis 1955 la carte d’identité n’est plus obligatoire légalement, sa possession est dans les faits obligatoire : outre que l’on doive pouvoir en permanence justifier de son identité, il est impossible sans elle de voter, de s’inscrire à Pôle Emploi, et même de passer un un examen national comme le baccalauréat ou le permis de conduire). Imagine-t-on que jusqu’ici, on vivait dans une société sans carte d’identité, ou les individus n’étaient pas à priori massivement fichés et dont les empreintes digitales n’étaient pas connues à l’avance ?

Cet accroissement des outils répressifs ne s’est pourtant pas atténué avec la fin Seconde Guerre mondiale. Comme un effet de cliquet, il n’y-a jamais en ce domaine de retour arrière. En 2004, la garde à vue est étendue à 96 heures et en 2011, à 144 heures, à 6 jours. Dans le même temps, depuis 1996, le plan Vigipirate est activé sans interruption ; et depuis 2005, il est au rouge, à son niveau maximum (jusqu’à l’abandon du code couleur en 2014…). Créé en 1978 pour répondre aux actes des groupes d’extrême gauche, le plan Vigipirate est mis en application depuis 20 ans sans discontinuité. C’est-à-dire que depuis 20 ans, un protocole en partie secret – l’ensemble des dispositions n’est pas donné –, impose la présence de militaires armés de fusils d’assaut, en toute circonstance dans différents lieux des villes ; et permet la surveillance et l’inspection des individus dans les lieux collectifs. Depuis 2015, le gouvernement socialiste a lancé la mission Sentinelle, renforcée depuis par Emmanuel Macron. 10 000 militaires ont pour mission de patrouiller dans les villes, armes à la main. En mars 2019, leur mission évolue et on demande à ces militaires de faire un travail de police contre les manifestants lors de l’acte 19 des Gilets Jaunes. Le gouverneur militaire de Paris, le général Leray, annonça même la possibilité pour ces militaires de faire feu au besoin. Pour s’assurer que la population reste calme, l’état d’urgence est déclaré en 2015. Il reste en application jusqu’en 2017, où Macron prit une de ses premières décisions : le rendre définitif et normal en l’inscrivant dans la loi. Cet état d’urgence, créé en 1955 dans le cadre de la guerre d’Algérie, est maintenant devenu un état permanent. Ce qui veut dire que depuis 2015, un préfet, nommé directement par le gouvernement peut interdire la circulation des personnes ; assigner à résidence qui il souhaite, qu’importe que celui-ci ait un travail ou une famille ; interdire des manifestations ; faire perquisitionner chez n’importe qui. Il n’y a plus besoin de passer par un juge, le gouvernement se charge de tout et sans aucun résultat (entre 2015 et 2016, 4 000 perquisitions non judiciaires ont donné lieu à pas même 100 assignations à résidence, sans jamais passer par un juge). En revanche, cette surenchère répressive a des conséquences concrètes pour les citoyens. Dès 2015, les manifestations contre la destruction du droit au travail ont été empêchées. La force a été déployée de façon gigantesque alors même que depuis des décennies les manifestations étaient, aux dires des policiers, de plus en plus calmes. Au point qu’il fallut suite à cela renouveler les stocks d’armes de la police… En somme, une répétition générale avant la crise des Gilets Jaunes.

Cette surenchère répressive a-t-elle apporté le moindre résultat ? Aucun. L’Etat n’a cessé d’étendre son équipement, adoptant en 2004 des grenades de désencerclement, sans réussir à étouffer la colère sociale légitime. Depuis 2018, pour répondre à la crise des Gilets Jaunes, l’Etat a commandé 10 000 de ces grenades de désencerclement par an ; 10 000 grenades contenant chacune 25 grammes de TNT, qui provoque une explosion de 160 décibels (à 120 décibels, des dégâts sont irréversibles sur l’oreille) ; il a multiplié les LBD qui projettent des balles de caoutchouc à 130 km/h jusqu’à 30 mètres. Encore une fois, pour quels résultats ? Des mains arrachées ; des yeux crevés ; des vies brisées ; mais le désir de justice lui reste intacte. Pire, certains policiers commencent même à rechigner à employer ces armes ; au point que celles-ci soient confiées à des policiers non formés à leur maniement et peu conscients des conséquences de leurs actes.

Le gouvernement panique tant et tant, réprime à tout va, utilise un arsenal légal et d’armes de plus en plus fortes sans résultats. Ce n’est pas l’inauguration de l’usage de blindés anti-manifestants, utilisés pour la première fois depuis leur achat en 1970, contre la manifestation des Gilets Jaunes le 8 décembre 2018 ; ça n’est pas l’autorisation donnée en 2016 à la police municipale, aux agents de sécurité de la SNCF et de la RATP de porter des armes ; ce ne sont pas les arrestations arbitraires, les perquisitions inutiles, les astreintes à domiciles, faites par le pouvoir sans aucun jugement qui viendront à bout de l’ardent désir de liberté et de justice qui anime les Français. En revanche, cette répression aveugle peut venir à bout des avancées démocratiques concédées de longue lutte. En supprimant 1 800 postes dans l’éducation nationale, 500 à la santé, et en en ajoutant 3 500 dans la police, c’est le gouvernement, qui au nom de la « République », s’aveugle et signe la fin de la République.

En ces temps de crises où la bourgeoisie sent sa domination menacée ; où elle peine à cacher son parasitisme et son inutilité, il ne lui reste plus que la répression féroce et implacable de tout soulèvement social. Mais aucun arsenal, aussi brutal soit-il, ne saurait étouffer le désir légitime du peuple de bâtir une société plus juste et plus égalitaire.


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