Tenir la situation, de la nécessité de comprendre le moment politique
Le 10 avril, nous voterons Jean-Luc Mélenchon. Non pas en tant que militants, non pas en tant que partisans, mais en tant que marxistes conséquents. Plus que jamais il est nécessaire de bien saisir le moment politique que nous traversons pour comprendre combien le vote Jean-Luc Mélenchon, plus que celui d’un homme, est celui d’un basculement potentiel dans la dynamique historique à l’œuvre. C’est pourquoi nous assumons, ici, nos Positions.
Le matérialisme dialectique nous oblige à deux efforts : penser la situation concrète avec un maximum d’adéquation à la réalité et, conjointement, garder à l’esprit que cette analyse est également une action sur cette réalité et sur cette situation.
Être marxiste, c’est donc toujours éviter le dualisme entre agir et penser. Tenir la situation c’est donc tenir dans la situation et inversement.
La situation en avril 2022 quelle est-elle ? La crise. La crise profonde mais encore larvée du mode de production capitaliste. Cette crise en gestation dans les consciences collectives fait émerger des impossibilités et des possibilités.
Les impossibilités sont évidentes : ce sont les impossibilités des tenants du mode de production. La bourgeoisie est aujourd’hui incapable de comprendre et donc de sortir de la crise dans laquelle elle a plongé la société. La phase libérale du capitalisme technocratique, appelée communément néolibéralisme, est en bout de course et ne peut plus rien ; ses solutions sont aujourd’hui des problèmes, ses moyens des entraves.
La division du travail mondial, la dérégulation, et la financiarisation ont permis au capitalisme de relancer ses profits à la fin des années 70-80 et de trouver un point d’équilibre entre les classes grâce au développement du crédit. Pendant ce temps, de manière violente mais efficace, les classes productives occidentales furent peu à peu démantelées. Aujourd’hui, la bourgeoisie néolibérale bégaye ; après avoir démantelé les classes productives du secteur privé, elle s’attaque aux classes productives du secteur public. Incapable de faire autre chose, elle tend à détruire les services publics : hôpital, éducation, transports, énergies… Incapable de comprendre que cette fuite en avant n’optimisera pas ses profits mais la conduira à sa perte, par le pourrissement d’un système productif inefficient. L’impossibilité de la bourgeoisie aujourd’hui prépare la possibilité du fascisme de demain, telle est la situation.
Néanmoins, nous n’y sommes pas encore et l’histoire humaine n’est pas une suite d’évènements déterminés mais bien une production permanente de l’humanité elle-même. Les impasses bourgeoises font émerger également une conscience critique, des consciences critiques. Ces dernières sont plus ou moins adéquates à la réalité et l’analyse marxiste doit nous permettre d’en rendre compte.
Nous l’avons dit plus haut, de Macron à Zemmour, nous avons là les fausses consciences bourgeoises et leur possible pourrissement.
A la gauche de Macron nous trouvons également des fausses consciences d’apparence progressiste. Les premières sont les reliquats d’une forme passée de consensus capital/travail, précédent la crise néolibérale : c’est le Parti socialiste. Cette « social-démocratie » où « social-libéralisme » est aujourd’hui une bureaucratie en dégénérescence complète, sa vision de la société ne recouvre rien d’autre que la nostalgie d’une société où elle était encore efficiente, donc hégémonique et au pouvoir. Ne s’appuyant sur aucune réalité ni sur aucun sujet social, cette tendance va signer son arrêt définitif le 10 avril prochain. Et c’est tant mieux.
En parallèle de ce mouvement, nous trouvons le PCF, bureaucratie en crise également, celui-ci s’en tire mieux car il surfe sur une fausse conscience romantique de la société. Un peu plus efficiente que la nostalgie « socialiste », cette stratégie permettra au PCF de terminer devant le PS. Romantique, le PCF fait campagne sur l’idée d’une classe ouvrière fétichisée issue de la contre-culture communiste sous le capitalisme fordiste. Ce fétiche ne recouvre plus rien de la réalité, sa société « Des jours heureux » qu’il appelle de ses vœux n’est que l’expression d’une inadéquation à la situation historique réelle. Evidemment que le programme du CNR doit rester dans les mémoires des progressistes et qu’il doit être inspirant, néanmoins, les structures productives de la société française de 2022 ne permettent plus son rétablissement. Pire, le romantisme de Roussel communique également avec la réaction, dans sa dénonciation des wokes, des bobos, et sa fascination pour une « vraie France » dont on voit bien les aspects conservateurs que cela recouvre. Roussel l’a d’ailleurs explicitement exprimé en parlant de « fraction radicalisée des quartiers populaires ». Cette fausse conscience est donc non seulement une impasse en tant que sortie de crise mais également, et c’est son plus grand danger, une route parallèle et non opposée vers le pourrissement fasciste.
Dernière fausse conscience progressiste et c’est indéniablement celle qui a le plus de chance de se solidifier dans l’avenir : la fausse conscience idéaliste. Cette vision du monde s’incarne dans la candidature Yannick Jadot. Elle est caractérisée par son refus total des rapports productifs et ses offensives morales en tout genre. Incapable de s’attaquer aux causes des crises, cette vision du monde refuse toute compréhension et explication de ces dernières. Pour cette gauche conservatrice, tout est possible car rien ne lui est faisable pour l’instant. Si l’on voit cela de manière évidente lorsque M. Jadot bégaye sur l’analyse des rapports de production, cela crève les yeux lorsqu’il parle de la guerre en Ukraine. Esquivant toute tentative de compréhension rationnelle du conflit, c’est-à-dire toute signification, cette vision du monde résume alors tout au dualisme bien/mal. Incapable de comprendre que ses jugements de faits sont aussi des jugements de valeurs, elle déploie alors une idéologie totalement culturo-centrée, un nationalisme européen ultra-violent et réactionnaire. Cette voie est encore en gestation et elle sera limitée en 2022, mais nul doute que la crise s’aggravant la bourgeoisie pourra compter sur ce progressisme idéaliste qui gèrera la pénurie des ressources grâce à son puritanisme moral d’apparence écologique. M. Jadot a de l’avenir, car il maintiendra la bourgeoisie dans les mêmes rapports de force mais gérera ses crises avec une violence verbale et une outrance morale inversement proportionnelle à ses capacités réelles et pratiques comme il l’a esquissé avec le conflit russo-Ukrainien.
Du côté de la radicalité deux voix se distinguent : le réformisme et la révolution. Classique mais réductrice opposition dans l’histoire marxiste.
Tout d’abord les révolutionnaires. Coincés dans les mêmes contradictions, précédemment citées, LO et le NPA tombent dans le fétichisme et le romantisme également, fétichisme d’une classe disparue pour LO, romantisme révolutionnaire pour le NPA. S’il est clair que les discours tenus par ces derniers sont indéniablement justes et recouvrent l’actualité que la crise capitaliste permet, ils ne s’appuient aujourd’hui sur aucune classe ou aucune masse permettant la mise en œuvre de leur programme. A ce titre nous aurions souhaité qu’Anasse Kazib puisse être le candidat révolutionnaire lors de cette élection, sa vision du monde antiraciste et anticapitaliste semble la plus cohérente et la plus à même de trouver un écho dans la situation actuelle. Malheureusement, le système a verrouillé cette candidature ; mais il ne ne fait aucun doute qu’il a planté en 2022 des graines qui fleuriront plus tard.
Le réformisme, donc. L’analyse concrète de la situation concrète n’est pas un choix par défaut, au contraire, elle nous permet de faire le choix nécessaire. Nous le pensons, L’Union populaire est la seule possibilité efficiente d’une bifurcation vers le progrès social et humain d’une société bloquée aujourd’hui dans le conservatisme et la réaction.
La première force de L’Union populaire est son programme, fruit d’une vision cohérente de la société. Ce dernier propose un nouveau consensus capital/travail an s’appuyant sur une division du travail concrète et en adéquation à la réalité. Il prend acte d’une classe productive éparpillée : des ouvriers non qualifiés aux cadres moyens. De cela découle un programme cohérent de répartition plus juste de la valeur ajoutée. Cette répartition s’appuie sur un changement intellectuel radical dans la gauche de gouvernement : la sortie du fétichisme du marché régulateur. « Le marché c’est le chaos », formule répétée à l’envie par Jean-Luc Mélenchon, prouve l’efficience de l’analyse de départ et donc la fonctionnalité de son programme. La situation lui donne raison, les leviers mis en jeu par la bourgeoisie pendant la crise Covid s’apparentent bien plus à de la planification et de la socialisation qu’au « laisser faire » libéral. Enfermée dans sa fausse conscience, la bourgeoisie conservatrice va tenter de revenir au libéralisme. Pour le pire. Des mesures interventionnistes radicales sont nécessaires et peuvent trouver un appui au sein même de la part la plus progressiste de la bourgeoisie.
Enfin, sur un plan concret, le nombre de mesures capables de changer la vie des classes sociales les plus violentées par la crise capitaliste est conséquent : hausse du smic, retraite à 60 ans, retour de services publics gratuits, etc. Rien que pour cela, un choix rationnel oblige à se diriger vers L’Union populaire.
Seconde force tout aussi importante, le programme prend également acte de la réalité sociale du pays. Il prend acte du racisme systémique en France. Ce dernier, contenu mais toujours présent pendant des périodes moins critiques, se déploie aujourd’hui avec une violence de plus en plus décomplexée. La pénurie de travail et de biens permet à la bourgeoisie d’effectuer un arbitrage entre les possédants et les dépossédés grâce aux structures mentales racistes dont elle est la cause en même temps que la production. Les moyens qu’elle se donne sont objectivement racistes. En particulier la police, qu’il est nécessaire de totalement démanteler et refonder. C’est fondamental.
Troisième force, en cohérence avec les deux précédentes, ce programme permet de penser sur le temps long sans tomber dans le repli national. Les outils sociaux économiques en dehors du marché peuvent permettre de répondre à la crise écologique imminente, mais aussi à l’indépendance économique et géopolitique. L’indépendance est un moyen de sortir de l’impérialisme occidental, d’aller vers plus de coopération avec le Sud global et donc plus de multipolarité. Le retour du concept de non-aligné est à ce titre particulièrement significatif ; un monde moins eurocentré permettant in fine un dépassement possible des structures mentales racistes, maintenues par la dissymétrie Nord/Sud et l’impérialisme capitaliste.
Pour terminer, nous l’avons dit plus haut, il n’y a ni sujet révolutionnaire, ni situation révolutionnaire en France. Toute contestation du réformisme de L’Union populaire à partir de cet angle est inefficiente. Le dualisme révolution/réforme est anti marxiste dans le sens où il est anti dialectique. L’histoire nous montre en effet que lors d’une situation hégémonique de la bourgeoisie, seule une percée progressiste au sein de la bourgeoisie et une alliance transclasse permet la bascule d’une situation figée dans la crise à une situation de transformation sociale, potentiellement révolutionnaire. Personne ne peut dire de 1789 si c’est une situation révolutionnaire ou réformiste ; il en est de même pour 1848, 1936, ou 1967. La clé est ici, pour nous marxistes. Faire l’histoire. Mettre les sujets collectifs en mouvement, élargir l’espace des possibilités. Penser aujourd’hui à partir de l’avenir qui s’ouvre et non du passé qui se referme.
L’élection de Jean-Luc Mélenchon le 24 avril ne sera pas la fin de l’histoire. Lui-même et son programme expriment comme nous tous des limites qu’il faudra dépasser. Ce sera simplement une autre histoire que celle qui semblait écrite à l’avance et dont nous savons qu’elle conduit à la barbarie et la mort. Cette autre histoire est déjà largement suffisante car elle offre pour la majorité des individus une perspective vitale.
Non par efficacité, non par utilité, mais par cohérence et nécessité, à Positions nous voterons L’Union populaire !
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