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Un dîner presque parfait
Par N. Publié in #SNIPER le 6 avril 2021 7 min de lecture
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Un dîner presque parfait,

 

Tout eût été parfait, dans le meilleur des mondes, si la délation journalistique n’avait pas fracturé l’intimité feutrée d’un restaurant clandestin dont l’entrée était jalousement réservée à une certaine population. Sans aucun respect pour la vie privée des personnes publiques, ces délateurs ont révélé, par l’entremise d’un truculent personnage, Chalençon, que plusieurs personnalités médiatiques et politiques aimaient à se détendre la panse et la truffe, sans masque ni gestes barrières, en un temple de la gastronomie dont le prix du menu offre certification.

Et voici la meute lâchée.

Les réseaux sociaux aboient de concert après ces pauvres hommes et femmes ayant eu le malheur d’aller s’offrir un peu de détente – entre 180 et 490€ – gustative chez un ami qui sait recevoir. Déjà, quelques semaines auparavant, Le Canard enchaîné avait caqueté avant tout le monde pour épingler Marc-Olivier Fogiel dans un restaurant clandestin jouxtant les locaux de BFM-TV. Et voici Bruce Toussaint accablé – à défaut d’être attablé – à son tour pour une réservation chez Chalençon. Acculés, journalistes et ministres font bloc. Courageux. Unanimes jusqu’à la désorganisation. Non, Gabriel Attal qui fustigeait le manque de sérieux des Français n’a jamais entendu parler de ce trublion, jusqu’à l’intervention de Marlène Schiappa précisant qu’il avait décliné son invitation. Il n’en fallait pas davantage pour que l’ire populaire se déverse en gif et montages sarcastiques ! Que celui qui n’a jamais oublié avoir refusé une invitation chez quelqu’un qu’il ne connaissait pas jette la première cuillère de caviar !

D’ailleurs, et pour anticiper la sortie de la guillotine, les écarts ne sont pas le propre de l’élite. Rappelons cette honteuse famille du sud de la France qui savourait quelques verres de rosé à la plage pour un montant de 405€. Décidemment, du haut en bas de la pyramide, les privilèges pleuvent.

Oserions-nous dire que ces hommes et femmes moralisant à longueur de plateaux télévisions, d’allocutions interminables, d’interviews, n’accepteraient la mise en place de dispositions sanitaires liberticides que dans la mesure où celleS-ci ne viendraient pas freiner leur mode de vie ? Ce serait alors considérer qu’il existerait deux mondes. Un premier, pour le commun des mortels, où le couvre-feu frappe dès 19h, où les restaurants, bars et commerces non-essentiels sont plongés dans la crise, où toute infraction vaut soit matraque soit amende selon la couleur de peau, où le personnel hospitalier et enseignant est jeté dans le marasme sans moyen ni reconnaissance matérielle, où chacun prend sur soi pour le bien de tous ; et un monde où une minorité qui blâme en permanence la majorité réfractaire, coûtant un pognon de dingue, responsable du déficit public, vivrait de ce même argent public qu’elle retire aux hôpitaux, aux écoles, aux universités, aux étudiants (5€ de moins c’est une tartine de pain en plus chez Chalençon), aux services ferroviaires, et qu’elle dépense allègrement et sans aucune conscience morale dans des restaurants clandestins. Poursuivant cette hypothèse délirante – aux airs de poisson d’avril –, nous pourrions supposer que c’est la distance entre ces deux mondes qui rend l’existence du second possible.  La fracture géographique (des quartiers, des écoles, des restaurants réservés), matérielle (des rentiers de l’argent public) engendrerait une fracture morale (une distance psychologique complète avec le réel du premier monde) rendant tous les excès possibles dans la mesure où ils cessent immédiatement d’en être. Quand, en tant que résident du second monde, vous ne rentrez jamais dans le premier, celui du commun, dans quelle mesure devriez-vous respecter les règles que vous édictez pour lui ? Vous n’en êtes pas. Vous êtes hors-sol.

Au-delà des règles, au-delà des couvre-feu, confinements, et autres restrictions. Parce que Chalençon l’a dit, et avec un brio qui n’a d’égal que sa coiffe : « On est encore en démocratie, on fait ce qu’on veut ! ». On. Les autres, vulgaires manants aux restaurants fermés, aux hôpitaux engorgés, aux écoles contaminées, au télétravail-garderie, n’en font pas partie. La sécession s’étend jusqu’à la sémantique. Dans leur monde, l’exercice de la démocratie c’est la préservation des privilèges. Mais il n’y en a pas pour tout le monde. C’est comme autour d’une table, il y a un nombre limité de sièges et de couverts. Pour les uns, l’argenterie et les coussins, pour les autres le sol et les miettes.

Ce « On » exige sans cesse que le mammouth soit dégraissé, que les comptes de l’Etat reviennent à l’équilibre, que la ceinture se serre ; quand il retire un cran pour digérer son dernier festin célébrant la hausse de 20 % des frais de dépenses de députés. La première dépense publique, c’est On. Mais le premier responsable c’est eux. Eux, qui ne respectent par le devoir d’exemplarité, eux qui par leur comportement condamnent des millions d’autres, eux qui se réunissent à plus de six, eux qui bravent le couvre-feu, eux qui par leur manque de courage plongent le pays dans la crise. Eux, vous pensiez que c’était nos gouvernants ? Mais non, voyons, eux, c’est vous qui me lisez ! Vous qui vous accrochez à vos privilèges : votre retraite, votre assurance chômage, votre remboursement de vos dépenses de santé assassinant la Sécurité Sociale, vos allocations familiales et logement, vos bourses universitaires.

On est en démocratie. On fait ce qu’On veut. On t’emmerde. Toi et tes principes, toi et ta famille, toi et tes fins de mois, toi et ton budget, toi et ton masque. On a placé son argent dans des paradis fiscaux ; On détourne de l’argent public ; On est élu sans avoir à présenter de casier judiciaire vierge ; On trafique ses déclarations de patrimoine ; On peut tout car On possède les entreprises, les banques, la justice, les ministères ; On fait les lois. On vit dans un monde sans prison, sans tribunal, sans hôpitaux pressurés, sans écoles surchargées et dégradées, sans transports en commun bondés. On vit dans un monde où les entrées sont filtrées. Pour y pénétrer, On doit en être.

 

Alors, la meute peut bien hurler. Ses cris n’atteindront jamais le seuil de leur monde.

 

Et au loin, remontant le cours des Champs Élysées, retentit une multitude de voix qu’aucune grenade ne sut étouffer, comme un présage, comme une annonce. Après 1788, vint 1789.

 

« On est là ! Même si Macron le veut pas, nous on est là ! Pour l’honneur des travailleurs et pour un monde meilleur, même si Macron le veut pas, nous on est là. »

 

On arrive.

 

 


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